Présentation
Extrait
Question de temps
Réalité fiction pour professionnels et amateurs
Une vieille femme dans une salle de bain. Elle raconte qu’elle s’est vue nue dans le miroir, « sans le faire exprès ». D’ordinaire, elle veille toujours à s’habiller dans l’obscurité. Son commentaire est laconique : « C’était écœurant »…
Avant/Après tente de capter des moments d’illusion et de désillusion. Dans un premier temps, les scènes semblent se suivre sans aucune logique. On trouve un chasseur qui traque un organisme extraterrestre destructeur à travers tout le continent, ou un homme qui disparaît dans un tableau accroché à un mur de sa chambre d’hôtel pour commencer une nouvelle vie.
Les personnages sont comme prisonniers de leur solitude et de leur tristesse. Les plus vieux regardent leur vie passer, les plus jeunes nient la réalité ou s’en désespèrent. Les couples semblent intimement convaincus que les hommes et les femmes ne sont pas faits les uns pour les autres et font tout, pourtant, pour gagner du temps sur la séparation.
Roland Schimmelpfennig
Une parabole en cinquante et une séquences dont la tangente n’est nulle part. Dans la confusion savamment orchestrée des modes personnel et impersonnel, une trentaine de personnages, parfois récurrents, tentent de rendre compte du caractère fatal d’événements imperceptibles dont ils ne savent pas eux-mêmes s’ils sont les acteurs ou les « passeurs ». Partant de ce constat, Roland Schimmelpfennig décline la multitude des formes que prennent les combats perdus d’avance. Monologues, dialogues et récits à la troisième personne se succèdent dans un système d’arborescences aléatoires, de croisements improbables, de renvois hasardeux, convoquant les personnages pour une apparition unique ou une histoire à épisodes. Les fils rouges en sont l’incertitude, le repli sur soi, les espoirs trompés, les malentendus, les risques à prendre, les conséquences à subir, la trahison, l’ailleurs, le rien, son origine, le cycle du temps et l’impossible réponse à la question de la responsabilité.
Laurent Muhleisen
La femme de soixante-dix ans passés :
Ce matin en m’habillant je me suis vue nue dans le miroir, sans le faire exprès. C’était écœurant. On aurait dit une éponge.
Normalement dans ce genre d’hôtel je me garde d’allumer la lumière dans la salle de bain. Je fais tout dans le noir, je prends même ma douche dans le noir, pour ne pas être obligée de me voir.
Ensuite, je me peins les lèvres à l’aide du petit miroir, sur le bord du lit, à la lumière du jour.
Extrait de Avant/Après, Séquence 1
texte français Laurent Muhleisen
Roland Schimmelpfennig est très prudent quand il parle du rapport de ses pièces à ce qu’on appelle la «réalité».
«Elles racontent probablement quelque chose de l’atmosphère climatique de nos conditions de vie actuelles», dit-il.
C’est peut-être pour cette raison que ses petites et grandes pièces sont considérées comme des approximations poétiques, un peu vagues et confuses sur un monde qui pourrait être le nôtre. Il a cette réputation de poète sorti du cadre de notre présent. Et pourtant, un historien futur pourrait bien y trouver des clés. Il ne découvrirait dans ces pièces aucun dessin net de notre société, aucun point de vue sur elle. Rien n’ennuie davantage Schimmelpfennig que ces lamentations largement répandues dans la jeune littérature.
L’historien ne trouverait guère d’éléments sur la politique ou ce qu’on
appelle les «débats de société ». Mais plus qu’ailleurs, il trouverait dans les
pièces de Schimmelpfennig des indices sur la relation des choses entre elles et sur ce qui fait que les choses sont comme elles sont.
En procédant plutôt selon les règles d’une composition musicale que sur celles d’une simple narration,
Avant /Après observe ce qu ’on appelle couramment la «relation », de son degré le plus neutre à celui qui annonce
le conflit. Chez Schimmelpfennig, une fêlure traverse en profondeur la structure étrange qui fait se lier ou se repousser les êtres humains entre eux.
Ils sont ensemble mais ne s’atteignent jamais vraiment. Même quand ils désirent se coller l’un à l'autre, la querelle s’insinue dans leurs dialogues.
C’est ainsi que les individus vont de l’avant à l’après. Ce n’est qu’après qu’on sait ce qu’on a fait avant, mais sans jamais aucune certitude. La méfiance de l’auteur envers toute forme de relation est énorme. Quand on essaie de le faire parler, quand on le contredit et qu’on lui objecte la possibilité du bonheur comme thème dramatique, que les contes fragiles qu'il écrit pour le théâtre devraient peut-être raconter le bonheur, il répond tout au plus : « Ce qui me pousse, c’est la description de l’échec. Ce n’est pas original. Mais c’est comme ça. La perte traverse toutes mes pièces.» […]
Peter Michalzik
texte français Christine Seghezzi
In Franfurter Rundschau, 22 novembre 2002
Cinquante et une histoires courtes qui, sous prétexte de saisir cet instant où le temps bascule entre l’avant et l’après, sous couvert de nous raconter des « brèves de vie » sous un air de faux réalisme, enclenchent le mécanisme de l’illusion et créent un poème onirique, parfois même fantastique. Drôle, souvent.
Cinquante et une séquences pour une trentaine de fictions, déclinées selon des modes de représentation extrêmement différents. Certains individus n’apparaissent qu’une fois, d’autres, le plus souvent pris dans des histoires de couples, reviennent à plusieurs reprises. Certaines de ces histoires plus développées ressurgissent, intercalées entre deux autres. Ces croisements font que la fiction chaque fois s’entend différemment. Chaque fragment est nourri de celui qui le précède et de celui qui va suivre.
Construite sur des morceaux d’intime, la pièce avance par l insistance qu’elle
met à évoquer les relations entre les êtres, les possibilités et les difficultés
d’entente. Avant/Après, ce sont aussi ces moments infimes qui nous
constituent ou nous séparent.
Ces individus ne peuvent pas être traités comme des «personnages». Il ne peut y avoir ni incarnation, ni identification, l’histoire racontée sinon devient
creuse.
Trente-deux personnages qui ne sont pas vraiment ceux que l’on rencontre
dans la vie.
Des gens de tous les jours et des comédiens.
Les acteurs amateurs, au moment où ils sont sur le plateau, jouent un rôle de personnage faussement réel, ils ne sont plus vraiment eux-mêmes. Les
acteurs professionnels jouent eux aussi des rôles, c’est leur réalité.
Michèle Foucher
Notes, mars 2003
15, rue Malte Brun 75020 Paris
Station de taxis : Gambetta
Stations vélib : Gambetta-Père Lachaise n°20024 ou Mairie du 20e n°20106 ou Sorbier-Gasnier
Guy n°20010