En 1955, Jean Genet rencontre Abdallah Bentaga, acrobate algérien. Cherchant à faire de son ami un funambule d'exception, Genet l'invite à suivre des cours auprès de professeurs prestigieux, le fait lui-même répéter, le met en scène et s'investit éperdument dans son entraînement. Sa passion pour l'art du funambulisme et son amour pour ce jeune acrobate le pousseront à écrire ce court texte initialement intitulé Pour un funambule. Genet brûlant et intransigeant crie ici son amour pour un homme et pour la création, le travail de l'artiste.
Alternativement, un soir après l'autre, la mise en scène qui ouvre la soirée change.
La mise en scène du jeune Julien Fisera a d'abord quelque chose de dérangeant, d'étouffant. La mise en espace est blanche telle la page blanche à laquelle tout créateur est avant tout confronté, seul et l'acteur est seul en scène pendant 50 minutes. D'autre part, le plafond nous écrase et imperceptiblement au cours de la pièce, il s'élève pour nous donner un souffle, nous respirons enfin : jolie métaphore de l'acte de créer. En effet, c'est bien à l'acte de créer que nous avons assisté : la parole est apparue, a émergé avec toute la responsbilté du créateur.
Dans la mise en scène de Cédric Gourmedon, l'homme qui dit n'est pas seul, le funambule est là : jeune homme musclé, d'une virilité juvénile et à la fois animale. Il fixe pendant toute la pièce l'autre : celui qui dit, qui conseille, qui aime. Ici, la mise en scène est beaucoup plus chaude : lumières, voix, corps font apparaître la sensualité du texte de Genet. Le travail de Gourmedon révèle avant tout un cri, une célébration d'amour. D'abord amour pour l'art, pour la création et pour la grande famille des artistes qui protège du monde ces créateurs qui 'n'en comprennent pas la logique'. Mais cet amour est aussi incarné : c'est égalemant une déclaration d'amour à ce funambule.
L'idée est donc ici de donner à voir le même texte avec deux approches différentes et de voir comment elles se répondent, se révèlent réciproquement. C'est une véritable expérience pour le spectateur, nous sommes actifs, on nous demande implicitement de participer avec ce procédé et cette expérience a lieu en goûtant la langue de Genet...
" Jean Genet est l’auteur qui a le plus fondé mon désir de théâtre. Quand je fréquente son écriture j’ai l’impression d’être au coeur de mon travail. Ce texte ciselé, clair, est un concentré de sa langue. Les conseils qui y sont prodigués par Genet s’appliquent à tous les champs artistiques. Ce n’est pas un traité de funambulisme mais un poème sur la grave et belle responsabilité de l’artiste. Un chant d’amour à l’acte de création.
Genet nous invite, comme souvent dans ses textes, à une cérémonie, une célébration. Il applique à une discipline qui nous parait ancestrale, le funambulisme, la même haute exigence qu’il s’impose, lui, dans son travail d’écrivain, afin de la métamorphoser en un art majeur. Le funambule n’est pas là pour nous divertir, mais pour nous fasciner. De tous les artistes il est celui qui affronte le plus directement le danger, la mort. C’est par ce combat renouvelé chaque soir qu’il devient un maître de son art. L’art exige de la gravité et de la solennité. Pour briller de milles feux le soir, l’artiste de scène devra d’abord affronter la solitude, l’angoisse, la mort… ou encore tenter de se préserver de la banale médiocrité du quotidien, du luxe et du confort, en se faisant discret, quitte à s’avilir ou se déguiser. La journée, tout son être doit être tendu vers cette fête sacrée qui se déroule le soir.
Genet mêle à cette série de conseils adressés à l’artiste des réflexions sur son travail d’écrivain, sa propre histoire. C’est dans ce texte qu’apparaît la formule « On n’est pas artiste sans qu’un grand malheur s’en soit mêlé ». Genet y est le plus souvent inflexible, intransigeant, mais toujours brûlant d’un profond amour pour le funambule et son fil. N’admettant de l’artiste qu’une volonté de perfection. Quitte à ce qu’il y laisse sa santé, son image ou sa vie. Par contre s’il survit…
Par ce texte il nous déclare plus généralement son amour pour cette fête, qui a lieu le soir, à l’approche de la nuit, « la plus grave, la dernière, quelque chose de très proche de nos funérailles ». Celle du théâtre ou du cirque : ce ventre de toile monstrueux remonté des époques diluviennes peuplé de magiciens, écuyères, jongleurs et autres bêtes féroces… Dans lequel on se sent bien, à l’abri du monde. "
Cédric Gourmelon
Une superbe représentation de ce chef d'oevre absolu, jeu d'acteur superbement calibrée, du grand art actoral, Raoul Fernandez est tout simplement poétiquement unique. Nous entrons dans le monde de Genet par la grande porte.
Une superbe représentation de ce chef d'oevre absolu, jeu d'acteur superbement calibrée, du grand art actoral, Raoul Fernandez est tout simplement poétiquement unique. Nous entrons dans le monde de Genet par la grande porte.
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