« Je n’écris pas de la fiction, j’invente des faits. » Jorge Luis Borges
L’Emma d’Elle brûle doit quelque chose au personnage d’un célèbre roman, lui-même inspiré d’une histoire vraie...
Le fait divers en tant qu’il est chargé d’imaginaire, la littérature en ce qu’elle lance des coups de sonde dans le réel, la porosité entre vie et fiction : tels sont les matériaux de prédilection de Caroline Guiela Nguyen, jeune metteure en scène qui a travaillé sur Racine et Duras avant de réaliser avec sa compagnie les Hommes Approximatifs Se souvenir de Violetta, variation contemporaine autour du personnage de Marguerite Gautier.
Selon le même processus de création, Elle brûle se construira en va-et-vient entre improvisations et écriture : Mariette Navarro, auteure, est associée au projet. Les répétitions feront dialoguer le théâtre comme machine à fiction et le théâtre comme événement réel, personnes réelles, espace réel. En écho à l’autre Emma, Elle brûle parlera d’amour, c’est sûr, mais aussi de l’endettement, du besoin d’argent – de ce qu’il comporte de désir de participer au monde, d’y exister enfin, d’y jouir. Et en face d’Emma, il y aura celui qui l’aime et ne voit rien de ce qui se passe – tant le déni de réalité est inhérent à la passion, autre machine à fiction.
Par la Compagnie Les hommes approximatifs.
À ce stade du travail, où le processus de création se précise jour après jour, et où, tout en même temps, le spectacle commence à être annoncé dans les lieux où nous jouerons, à sortir du secret (relatif) où nous le tenons depuis deux ans ; à ce stade où il faut ouvrir un peu l’atelier où ça se fabrique, le plateau et son bord – tout près –, il est important de revenir sur la façon dont prend corps Elle brûle, de zoomer sur le fonctionnement de la recherche commune.
Pendant deux ans, nous avons avancé autour de Caroline à la fabrication d’un univers commun, en circonscrivant le coeur des choses, les endroits sensibles qui cristallisaient à la fois ce qui nous paraissait essentiel à partager aujourd’hui autour de l’univers d’Emma, et à la fois un désir de théâtre, une esthétique.
Au premier jour des répétitions, nous avions dans les mains la formidable machine à jouer qu’est la scénographie d’Alice Duchange, mais aussi tout un “hors champ” : biographie des personnages, chronologies, détails, anecdotes, images, ancrages dans le temps et dans l’espace, dans le monde contemporain. À partir de toute cette
matière, que nous avons appelée “Bible” en référence à la façon dont travaillent les scénaristes de série en recensant tous les possibles, plus qu’à un quelconque évangile, les comédiens ont improvisé, ils se sont inventé une mémoire commune, ils ont traversé des pans entiers de la vie de leurs personnages, ils sont devenus les habitants de cet espace, de cette histoire.
Nous entamons maintenant la phase de construction du spectacle, celle où il faut renoncer à faire entrer le monde entier sur un plateau, et en même temps pousser encore plus loin la précision, le détail de la machine. Aller au coeur de ce projet de théâtre qui donne aux détails, à chaque objet, à chaque geste, une place décisive. Chaque scène se trouve d’abord par des improvisations, à l’intérieur de ce cadre fictionnel précis, et autour d’un enjeu clair, d’une tension, d’un “centre”. Parfois, j’amène en amont quelques lignes de texte, parfois un passage écrit arrive après que nous avons trouvé la scène, en soutien de ce qui se joue, pour aller un tout petit peu plus loin, pour aller un tout petit peu ailleurs, pour venir au secours du personnage avec des mots à mettre sur quelque chose qui déborde, qui se formule à l’instant même où ça jaillit. D’autre fois, les mots sont ceux amenés par le comédien, et d’autres fois encore, un tremblement suffit.
Nous filmons tout ce qui se passe au plateau, pour pouvoir retrouver les moments justes, les charnières, et s’y appuyer pour construire. Construire un canevas déjà plein de la mémoire commune du travail, de l’écriture collective dans le temps-même de la répétition.
Mariette Navarro
Extrait de son blog le 3 octobre 2013
« Comme chacun d'entre nous, dont Elle brûle, qu'on ne saurait trop conseiller d'aller voir, renvoie un miroir, avec une grâce inquiétante. Ou, au choix, une inquiétude gracieuse. » Brigitte Salino, Le Monde, 27.11.2013
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