Présentation
Note d'intention
Quelques extrait de texte
Avec 26 auteurs, 35 textes en langues française et étrangère, 35 voitures, 62 comédiens professionnels et amateurs, 350 mètres d’asphalte et… un embouteillage.
Une trentaine de véhicules sont coincés là, sans raison apparente. La voiture qui conduisait les mariés à l’autel, celle qui transportait le représentant vers son motel, celle qui emportait cette femme à la recherche de la Vénusie ou ce tueur à gage accompagné de sa mère.
Chacun des conducteurs ou passagers se trouve immobilisé dans cette tôle qu’il est impossible d’abandonner.
Alors les spectateurs entrent à l’intérieur des voitures, s’assoient, et les portières se referment sur l’intimité de gens qui se retrouvent, au point mort, à attendre.
Quel rapport entretient-on avec le temps quand celui-ci n’a plus de limite ?
Et si on (re)construisait sa vie sur la chaussée ?
Sur ce thème, Anne-Laure Liégeois a passé commande de textes à vingt six auteurs contemporains pour ce spectacle.
Tour à tour confident, témoin privilégié, acteur, voyeur, dans un rapport de promiscuité extrême avec les autres occupants du véhicule, le spectateur-compagnon de route découvre à chaque fois des propositions très différentes, comme autant d’expériences déroutantes.
35 habitacles de tôle, autant de lieux de vie privée, de lieux d'échange.
Embouteillage est né dans le train. C'était le 26 avril 1999. Je revenais des "Déferlantes" de Fécamp. "En résidence" à la Scène Nationale, je venais de présenter, The Great Disaster de Patrick Kermann. Un monologue. Dans le train, je me suis demandé quel spectacle proposer hors les murs, que faire de l’espace libre. Et comment réunir en un seul spectacle tous les désirs, les plaisirs, les recherches et les savoirs.
Réunir l'écriture contemporaine -depuis plusieurs années déjà, je côtoyais les auteurs vivants-, les équipes vastes (Le Fils de Christian Rullier en 1992 mettait en jeu 60 comédiens), un rapport particulier au spectateur -toutes mes créations ont tenté d'aborder la relation scène/salle-.
Dans le train, il était question de temps de celui qui est perdu ou gagné. De l'attente. Du chemin à parcourir. Le train est souvent favorable aux grandes questions !
Le spectacle devait être une interprétation de l'immobilité définitive. Mais non pesante. Et devait dire la capacité humaine à poursuivre quand tout s'est arrêté. Telles étaient les directions que je me fixais.
Dans le train est arrivée inévitablement la voiture ! Où tout se fait, tout se dit. Les mots lancés vers la route ont plus de courage. J'ai toujours entretenu un rapport particulier avec la voiture, entre l'admiration et la peur de la machine, entre le désir et l'ennui. À 34 ans, je ne me suis toujours pas décidée à apprendre à conduire !
La voiture m'offrait de poursuivre ma recherche en direction du spectateur : explorer le rapport du spectateur à l'acteur (et vice-versa) dans un lieu de grande proximité, et aussi appréhender un nouveau type de rapport : celui du spectateur au spectateur. Serrés les uns contre les autres, les voisins par le jeu des roulements, à l’intérieur des véhicules, ne sont jamais les mêmes, ou rarement.
Foule/attente/voiture/temps le titre du spectacle était trouvé.
J'ai écrit en décembre 1999 à 32 auteurs pour leur proposer le mot Embouteillage. 25 auteurs ont répondu.
En février 2000, La Ferme du Buisson m’a invité à tenter un "échantillon", lors d’un week end à la Ferme. Cette expérience m’a enseigné que les voitures ne devaient pas être scénographiées, que les textes imposaient eux-même le décor ; c’est eux qui inventaient l’espace. M’a enseigné que la ligne, comme un chemin vers l’avenir que l’on s’est tracé, était incontournable ; que le spectacle dans son sens même n’était pas urbain mais réclamait l’ailleurs.
Françoise Villaume et Daniel Girard du Centre National des écritures du Spectacle m’ont offert une résidence d'écriture en décembre 2000. 15 des auteurs sont venus en résidence à la Chartreuse de Villeneuve les Avignon.
Il y a eu les répétitions à la Villette qui me montrèrent que deux lignes parallèles ne "fonctionnaient" pas car la ligne devenait un bloc, que les voitures s’observaient et perdaient en solitude, que les spectateurs étaient cantonnés dans une circulation centrale entre les voitures.
Et puis Embouteillage a suivi sa route. Une belle route.
A Alès, il y avait 5 voitures et 8 comédiens en embouteillage pendant 1 heure dans un quartier de la ville, puis le spectacle se déplaçait et créait ailleurs une perturbation du trafic avec d’autres textes, puis l’expérience se répétait encore une fois. C’était une "version rue" du spectacle : avec interpellations de voitures à voitures, phrases d’accroche pour inciter les spectateurs surpris à entrer dans les véhicules, concert de klaxon. Depuis la forme a été retentée à Tarbes ; elle le sera encore à Antony. "Tentée" car le spectacle n’a pas vraiment là son sens. Cependant ce "petit embouteillage" offre la possibilité d’emporter dans la rue, auprès de spectateurs étonnés, une écriture théâtrale contemporaine.
A Avignon, 11 voitures et 17 comédiens occupaient une cour d’école. Le spectacle durait 2 heures. Il avait fallu inventer dans cet espace, décalé du propos, une raison d’être là. Sur le mur, devant lequel s’arrêtaient les voitures, était papiété un poster. De ceux que l’on trouve chez les dentistes pour nous faire oublier que l’on est là. Les voitures butaient contre cet ailleurs inaccessible.
A Aurillac, nous étions stationnés sur une route pastorale. Perdus au milieu des champs verts, sur une route noire avec pour horizon les monts d’Auvergne. Nous avons pu vivre le spectacle la nuit. La représentation qui s’étend du jour et à la nuit est la plus belle ; le passage d’une durée à l’autre aide là la perte de la notion du temps. A Aurillac, je trouvais un lieu idéal à Embouteillage : le monde en marche était arrêté en pleine nature.
Puis il y a eu dernièrement les deux résidences : à Chalon et à Sotteville. J’ai pu répéter avec les "nouveaux" comédiens de l’équipe (puisqu’elle s’est élargie de 13 comédiens) et faire venir aussi des "anciens". Il fallait travailler de nouveaux "textes voitures" et aussi mettre en place toute la partie hors voitures du spectacle. Ces deux résidences m’ont permis d’organiser les temps d’errance des spectateurs et des comédiens, les temps d’attente. Il a fallu répartir les nouveaux textes qui se jouent à l’extérieur des véhicules, ceux qu’on appelle "les textes mobiles", que l’on joue en proximité des spectateurs. Travailler pour que les comédiens épousent l’errance des spectateurs, pour mieux la rompre. Il me fallait ces temps de création pour doser l’attente, l’errance, l’ennui aussi. Trouver la juste mesure pour que attente-errance-ennui soient présents mais joués, que tout ne tienne que par un fil, parfaitement tendu. Trouver les longs moments d’occupation du public à l’extérieur et en même temps ne pas se détourner du propos par ces occupations. Trouver les brefs temps précis de prise en charge du spectateur par lui-même, pour qu’il puisse se créer son spectacle, qu’il reste actif. Envisager le spectacle dans sa durée de 3h30 ou 4h (la réponse ne saurait tarder !). Il me fallait ces temps de création pour comprendre poétiquement le spectacle et le réaliser dans ce sens. Ces moments de création, ces reprises du spectacle après des mois, cette confiance et écoute des partenaires, sont un luxe que je souhaiterais m’offrir à chaque spectacle !
Il y aura encore des répétitions individuelles et des répétitions collectives où nous huilerons la mécanique de cette grande machine. Les 3 et 4 mai à Fécamp, sur la falaise, commence une nouvelle aventure.
À La Ferme du Buisson, à Cavaillon, à Sotteville les Rouen, à Chalon, Soueich, Mulhouse, Grenoble, aux usines Peugeot, il y aura entre 20 et 28 voitures, perdues dans des champs de lavande, sur des bretelles d’autoroutes désaffectées, dans des fabriques en ruine… puis il y aura la Grande Halle de la Villette.
À l’intérieur de la Halle, en une ligne légèrement courbe, 35 voitures. Toutes semblables, empoussiérées comme après un long voyage. Enfin à l’arrêt. La longue file sera mise en lumière, l’espace scénographié. Plus de 50 comédiens, pour fêter l’étape parisienne d’Embouteillage. Tandis que dès 2003, nos véhicules stationneront sur des routes européennes
Anne-Laure Liégeois / juin 2001- mai 2002
Chauffeur : On est mort.
Client : Vous croyez ?
Chauffeur : Aussi morts que des moutons.
Client : Pourquoi des moutons ?
Chauffeur : Quoi de plus immobile qu'un mouton mort ?
Jean Cagnard "Une douce insulte"
Ne me dites pas que vous aussi vous êtes de la race ferroviaire, ne me dites pas que vous aimez voir défiler les poteaux, les bornes et les kilomètres. Mais la terre tourne toute seule, bon sang ! pourquoi devrions-nous ajouter au mouvement céleste nos agitations personnelles ? L'air se déplace tout seul, il n'a pas besoin de nous pour se régénérer. A Vesoul, j'ai respiré du pollen venu du Mexique, je suis sûr de ça. Pas vous ?
Philippe Crubézy "L'homme qui ne voulait pas"
2: ce serait dommage ?
1: quoi ?
2: pas pouvoir continuer si jamais !
1: ça !
silence
2: du temps perdu à attendre !
1: ça !
2: ça aurait été du temps perdu à attendre !
1: oui !
Christian Caro "ça passe"
Robert :
Je remonte la file, les mains dans mes grandes poches - à gauche la petite ventouse, à droite le flingue - le type qui bade un peu, qui secoue ses crampes. La voiture, je l'aperçois d'ici, vingt mètres, j'y suis. Après, il me faut dix secondes : je colle le caoutchouc sur le pare-brise. Forcément, le type s'approche, un débouche chiottes sur sa vitre, ça l'interroge, il ramène le museau. Tuf! Tuf! Tuf! Toujours trois, la vitre, elle fait même pas de bruit, elle dégringole pas à cause de la ventouse.
Gilles Granouillet "Maman"
Alors des nouvelles de ce qui bouchonne en durée ? … Besoin de secours en la circonstance ? oui de ceci aussi c'est de moi que vous l'attendez…Bien sagement malgré l'évidence vous désirez encore prévoyances…merci, c'est ce qui misérablement a nourri toutes mes années de route…perdu donc vos clés pour ouvrir vos suites ultérieures…ou trop de peurs peut-être pour y regarder tout seul… de hontes, alors?…
Valérie Deronzier "Oui"
Château National de Pierrefonds 60350 Pierrefonds