Spectacle en espagnol surtitré en français.
Une farce tragique
Une forme théâtrale nouvelle
Eva Perón à Santiago du Chili
Un monde irréel
Eva Perón a un cancer et vit ses derniers jours. Mais loin de consentir à sa fin, elle trépigne, vocifère, insulte l’infirmière et injurie sa mère. Non, elle ne va pas mourir... et si cela se produisait, c’est qu’on l’aurait empoisonnée, assassinée... Mais alors qui l’embaumera ? Et cette infirmière... qu’elle serait belle avec sa robe, son vison blanc, son émeraude... Mais devenue Eva, est-il juste qu’elle vive puisque Eva doit mourir ?
Cette farce tragique, violente et rapide, donne une dimension nouvelle au théâtre de Copi. À l’humour grinçant et cruel se mêle ici l’accent du drame, et le personnage d’Eva qui balance entre l’effrayant et le grotesque a quelque chose d’inoubliable.
Là où les dramaturges contemporains font le plus souvent de la littérature ou de la poésie dialoguée, Copi est bel et bien l’un des plus rares à faire exclusivement du théâtre. Il n’écrit pas des textes à lire, il ne prétend pas y greffer la poésie - il s’agit, et violemment, de textes à jouer, qui ne prennent vraiment toute leur violence que s’ils sont incarnés, déployés dans l’espace. Débarrassés du leurre de la poésie, du psychologisme, du didactisme, de la glu de l’intériorité. Un véritable théâtre de la cruauté qui aurait accompli une fois pour toutes, en les dépassant, les propositions de Antonin Artaud.
Là où la plupart des dramaturges trouvent leur truc ou leur manière qu’ils exploiteront jusqu’à la nausée, Copi confronte à chaque fois son univers personnel à une forme théâtrale nouvelle.
L’œuvre de Copi serait une comédie onirique. Les limites étroites de la vie ordinaire commencent peu à peu à élargir leurs frontières. La mort n’est plus un cauchemar mais un rêve comique, un rêve où les bornes et les finalités auraient depuis longtemps cessé d’exister. On croit trop souvent que le théâtre de Copi est « rigolo » ou « drôle » ; never mind, on a pu lire aussi dans un grand quotidien que Gertrude Stein était un écrivain dadaïste ou qu’Erik Satie était un compositeur mineur. L’humour de Copi existe, mais en tant que manifestation extrême de délicatesse et de pudeur, comme une manière d’éviter les pièges de la pédanterie et de l’emphase.
Les personnages de Copi n’ont d’autre épaisseur que celle de la parole, et que le théâtre leur donne. Tout, absolument tout, peut leur arriver, comme des amibes, par scission, ils deviennent multiples ; ils meurent et ressuscitent ; ils sont beaux et hideux ; animés par des soubresauts de bonté et des crises de méchanceté ; ils sont illimités, car ils ne connaissent d’autres limites que celles du théâtre.
Si jamais comédie humaine a été écrite à notre époque, c’est bien celle constituée par les personnages de Copi. Putes, arabes, folles, rongeurs, marsupiaux, vaches, travestis, insectes, metteurs en scène, prêtres, comédiens, détectives, concierges, extra-terrestres, femmes de chambre, ouvriers, infirmières, présidents. L’ironie doublée de l’illimitée peut faire rire, c’est certain.
Armando Llamas, août 1987
Copi a évolué dans les années 70 à Paris, fuyant une des atroces dictatures comme celles qui se sont installées, avec plus au moins de régularité, dans presque tous les pays d’Amérique du Sud. Cet exil lui donne une grande force et il dessine cette Eva Perón, monstrueuse, brutale, sauvagement lucide. Un grand hommage en somme. Un texte tellement fort et réel que les frontières du théâtre commencent peu à peu à s’effondrer. Voilà ce qui s’est passé au Chili.
Les frontières avec la réalité sont confuses. Le projet arrive à un moment de la vie politique chilienne où il est drôle d’imaginer que l’on puisse parler d’Eva Perón de cette façon. L’affaire Menem Bolocco donne une force supplémentaire à l’histoire. Drôle de hasard. On arrive alors à croire que le texte de Copi, écrit il y a trente ans, est une réponse immédiate à la réalité.
Le travail avec Alfredo, Mario, Pablo et Rodrigo reste pour moi une expérience inoubliable et une importante réflexion de ce qu’est le théâtre.
Les grands acteurs sont indéfinissables, c’est peut-être pour çà qu’ils sont grands.
Marcial Di Fonzo Bo
C’est un cauchemar. Dès le début, Eva lutte avec la mort. Les personnages qui l’entourent, sa mère, le général Perón et Ibiza la traitent comme si elle était déjà morte. D’ailleurs personne ne s’écoute vraiment. Ce sont des gens mauvais. Ils ne jouent pas des personnages.
Ils jouent tout le temps. Ils font semblant. Capables de tuer pour un peu plus d’argent sur leur compte en banque.
De temps à autre, l’infirmière va et vient avec des seringues et du linge sale. Elle tue le temps. Ibiza ne cesse de s’exprimer avec des grands gestes, les mêmes qu’on voit dans les affiches pour les prochaines élections. Derrière eux, des militaires vont et viennent, ils montent la garde et les empêchent de sortir.
C’est un monde irréel, ponctué de visions d’horreur, de fantasmes érotiques, de soumission et de pouvoir. Le monde militaire se déploie devant nos yeux comme tel. Les différents plans se superposent, les panneaux glissent doucement, les néons montent et descendent. Jusqu’au vertige.
15, route de Manom 57103 Thionville