Le Bunraku est le vieil art japonais des marionnettes. C’est à lui que rêve Fanny de Chaillé, artiste en résidence au Théâtre de la Cité, quand elle s’improvise metteur en scène japonais. Du Bunraku, elle reprend la structure traditionnelle : un récitant qui joue tous les rôles, un musicien qui accompagne les émotions du récitant, des marionnettes de grande taille manipulées à vue par trois manipulateurs.
Mais comme elle n’est quand même pas entièrement japonaise, elle introduit de légères et décisives modifications dans l’art traditionnel : la marionnette n’est pas une poupée mais un danseur de chair et d’os, le musicien ne joue pas du shamizen mais du yukulélé, le récitant ne raconte pas une histoire légendaire mais reprend Minetti, un texte de Thomas Bernhard. Pas n’importe quel texte donc, mais l’histoire d’un vieil acteur qui n’a pas joué depuis des dizaines d’années sauf Le Roi Lear et encore devant son miroir. “ Un vieil acteur est forcément japonais, souligne avec humour Fanny de Chaillé, parce que là-bas, plus on est vieux, plus on est un grand acteur ”.
Je suis un metteur en scène japonais est donc, de toute évidence, une réflexion sur les puissances du théâtre. Parce que dans le Bunraku, même occidentalisé, la forme théâtrale est comme dépliée : on y voit les manipulateurs manipuler et pourtant on y croit, on accepte artifices et illusions de la scène. On jouit à la fois et en même temps – et c’est l’essentiel du spectacle – de l’art et du travail qui fabrique cet art.
Comment le texte et le mouvement sont-ils liés dans le spectacle ?
Au début, le récitant est sur le côté. Il est comme Minetti qui ne peut plus jouer et comme sont les récitants dans le Bunraku. Mais c’est sa voix qui fait voir les images au spectateur. La façon de dire de Guillaume Bailliart, le récitant, est très liée au mouvement de la poupée : il joue sa respiration, lente ou rapide, il essaie d’être au plus juste de sa voix quand elle fait tel ou tel mouvement, quand elle se déplace. Si les manipulateurs tremblent, alors la voix du récitant se met à trembler. Ce qui fait que ce n’est pas une voix off mais que la voix s’incarne. Et puis dans une seconde partie, les danseurs en ont marre d’être manipulés par la voix donc ils viennent chercher le récitant et commencent à le manipuler en retour et essaient de lui faire cracher son texte.
Vous disiez que ce qui vous a intéressé, c’était de créer une image à plusieurs, seulement visible de l’extérieur, donc vous avez un rôle essentiel dans la création de cette image.
Oui. Je travaille beaucoup en amont, dans mes cahiers, j’écris les partitions : celles du récitant, du musicien, des danseurs.
C’est très précis ?
Oui. C’est quelque chose comme : Christophe (Ives) quatre pas à gauche ; Christine (Bombal) cinq pas à gauche. Je veux dire, je travaille beaucoup sur l’occupation de l’espace. Sur la façon dont on le sillonne, le traverse, l’occupe.
Et le rôle du musicien ?
Il a le rôle de celui qui fait les émotions du récitant, il produit en quelque sorte sa voix intérieure, il reproduit sa respiration. Il fait de la musique pour charger une voix, ici de la tristesse, là de la colère. Donc en fonction du texte, de ce que dit le texte ou de ce qu’il laisse entendre, je décide de donner telle ou telle couleur, telle ou telle matière, à la musique. Si bien que le texte, environné par cette musique, n’est plus seulement un texte, lui aussi il devient une matière : le sens n’a pas plus d’importance que le son. Encore une fois, rien ne doit prendre le dessus mais tout participer à la même image commune.
Entretien réalisé par Stéphane Bouquet
17, boulevard Jourdan 75014 Paris