30 ans après la disparition de Jean-Luc Lagarce, Johanny Bert revisite sa pièce culte. Avec Vincent Dedienne.
Après de longues années d’absence, Louis rend visite à sa famille avec le fardeau d’une terrible nouvelle. Mais comment exprimer l’indicible aux siens ?
30 ans après la disparition de Jean-Luc Lagarce, Johanny Bert revisite sa pièce culte.
Dans un espace onirique où des objets en suspension se font témoins des générations passées, Juste la fin du monde dépeint par la force de mots et de silences éloquents, la complexité des liens familiaux.
Juste la fin du Monde est un petit monument du théâtre contemporain que je souhaite mettre en scène depuis longtemps. J’ai toujours mis en scène des textes d’auteur.es contemporain.es avec lesquels je pouvais dialoguer. Soit pour des commandes d’écritures (Gwendoline Soublin, Marion Aubert, Arnaud Cathrine, Thomas Gornet…), soit pour des textes inédits (Catherine Verlaguet, Stéphane Jaubertie, Guillaume Poix…).
S’il y a bien un auteur avec qui j’ai l’impression de dialoguer alors qu’il n’est plus de ce monde, c’est bien Jean-Luc Lagarce. Rien de spirituel, mais une forme de proximité et un intérêt sans cesse renouvelé pour un parcours d’artiste, d’auteur et de directeur de compagnie à Besançon.
Je reviens parfois sur ce texte : « nous devons préserver les lieux de la création, les lieux du luxe de la pensée, les lieux de l’invention de ce qui n’existe pas encore… ».
Je pense que son Journal participe bien-sûr à cette intimité avec le personnage d’auteur qu’il a su créer. À travers ses mots, partager ses doutes, ses galères, ses questions, sa maladie bien sûr, mais toujours de façon pudique, son écriture du quotidien avec humour et finesse.
Peut-être aussi parce que nous avons grandi tous les deux « en province » comme disent certains. Moi je dis « en région », je préfère.
Même si c’était une autre époque et une autre histoire du théâtre, ce récit-là, a construit ma génération et les combats actuels dont certains sont toujours à reconquérir.
Dans Juste la fin du Monde qui devait s’appeler au départ « Les adieux », Louis le personnage central n’est pas Lagarce. Ce serait réduire le propos de la pièce à une autobiographie. Comme dans toutes les pièces, il y a de Lui, dans Louis mais surtout dans chacun des personnages. Son propos est bien plus large et ce serait réducteur de présenter la pièce comme celle d’un auteur de théâtre homosexuel revenant dans sa famille pour annoncer sa maladie et sa mort prochaine. D’ailleurs de cette maladie qui tua beaucoup de personnes, il n’en est jamais question. De la mort non plus puisqu’il n’arrivera jamais à dire la raison de sa venue.
La parabole du Fils prodigue rappelle comme dans d’autres pièces de Lagarce écrites entre 1984 et 1995, parmi lesquelles : Retour à la citadelle (1984), J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne (1994) et Le Pays lointain (1995), les écrits de l’Évangile de Luc. Or ici, au lieu de revenir à la vie, Louis vient annoncer sa mort imminente.
Il habite désormais dans la grande ville. Il s’est arraché à son milieu d’origine. C’est le personnage voyageur, errant, le funambule, tandis que la famille est sédentaire, plus proche de la terre.
Ces deux réalités en face à face constituent un moteur théâtral fascinant permettant de révéler les relations intrafamiliales. Et, c’est bien cela qui me fascine dans la pièce. Lagarce réussit à créer des vibrations au plateau entre les personnages à partir de non-dits. Tout au long de ce Dimanche familial, les petites cérémonies domestiques cachent des sourds conflits familiaux.
Sommes-nous dans le point de vue de Louis ou à travers le spectre de la Famille ?
La présence de Louis, ses regards, le peu de mots prononcés (tout comme Yvonne Princesse de Bourgogne de Gombrowicz ou d’autres pièces) modifie l’équilibre familial. L’attente du fils que l’on ne voie que rarement, crée une tension dans la famille, des couacs, des maladresses, des attentes, des regrets, des accusations déguisées. Un principe de rapsodie accentué par l’écriture en séquence de la pièce.
Là où la pièce me passionne aussi, c’est la précision avec laquelle chaque personnage de la famille tente de s’exprimer. C’est à cela que l’on voie que Lagarce porte une attention brillante à cette famille, décortiquant avec tendresse et sans complaisance la complexité humaine.
J’aimerai travailler avec les acteurs, cette langue Lagarcienne, non pas comme une disfluence verbale savante, mais plutôt comme une humanité en mal de communication, en quête du vrai, avec ses heurts et ses frottements.
Une famille qui, face à Louis (dont le métier est l’écriture) attaque le langage dans une fragilité poétique et virale avec la crainte de mal dire, avec l’envie de vivre intensément ce moment de retrouvailles, avec l’appréhension de ne pas être à la hauteur, avec l’envie de dire à celui que l’on ne voie pas souvent les nouvelles d’ici…
Tout cela dans un héritage d’un dimanche familial ordinaire, avec ses rituels du quotidien que nous connaissons tous.tes.
C’est ici que réside pour moi la grande finesse de ce texte. Une histoire de famille intime dans laquelle on peut se reconnaître au-delà de l’intime dans une poésie concrète.
C’est toute la richesse de son théâtre.
Johanny Bert
1, place Charles Dullin 75018 Paris