Jean Genet pose pour Giacometti de 1954 à 1958. De ces moments passés avec lui, Genet écrit l’Atelier, un récit étalé sur plusieurs années, retravaillé à la façon d’un journal, de notes, remarques, sans cesse re-précisées ou approfondies, entrecoupé de dialogues avec l’artiste. C’est la description magistrale d’un être singulier qui rejoint Genet dans ses questionnements sur l’art, la représentation de la réalité, la forme, le mystère de chaque être dans sa solitude. Genet écrit qu’il « tente surtout de préciser une émotion, de la décrire, non d’expliquer les techniques de l’artiste. » Tous les deux se livrent, se confient. Ce qui en fait un texte essentiel de théâtre, récit et dialogues mêlés.
J’ai découvert l’œuvre de Giacometti grâce à la grande exposition rétrospective de 1991 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Ce fut un énorme choc émotionnel. Dans les dernières salles il y avait des immenses statues qui imposaient une telle force, un tel mouvement dans leur immobilité, que je suis resté médusé devant une telle charge de vie et de paix. Depuis, il me semble que je n’ai pas passé un jour sans penser à ces statues. J’ai cherché à connaître l’homme et sa démarche... Depuis l’initiation à la peinture par son père Giovanni, peintre postimpressionniste, (...) jusqu’à son énorme bouleversement pendant une projection des actualités dans un cinéma de Montparnasse...
Il raconte : « Au fond, j’ai commencé très nettement à vouloir travailler enfin d’après nature vers 1945. Il y a eu pour moi une scission totale entre la vue photographique du monde et ma vue propre, que j’ai acceptée. C’est le moment où la réalité m’a étonné comme jamais. Avant, quand je sortais du cinéma, il ne se passait rien, c’est-à-dire que l’habitude de l’écran projetait sur la vision courante de la réalité. Puis, tout à coup, il y a eu rupture. Ce qui se passait sur l’écran ne ressemblait plus à rien et je regardais les gens dans la salle comme si je ne les avais jamais vus. Et à ce moment j’ai éprouvé de nouveau la nécessité de peindre, de faire de la sculpture, puisque la photographie ne me donnait en aucune manière une vision fondamentale de la réalité. »
Regarder et écouter des êtres sur la scène, c’est la découverte de l’inconnu mais aussi le retour au réel dans un monde désincarné. Dans l’espace-temps du théâtre, un visage, un corps, une voix font mystère.
Thierry Dufrêne dans son essai sur Giacometti (Les dimensions de la réalité chez Skira) écrit qu’on peut rapprocher les figures de Giacometti du théâtre contemporain : Beckett, Genet, Robert Wilson….
L’espace y est rendu sensible par des répétitions de figures placées là, sans rôle apparent, tous tendent à s’identifier avec le chœur de la tragédie grecque. Les personnages du chœur étaient là pour accompagner la prise de conscience du héros tragique : ceux de Giacometti ne sont-ils pas là pour nous faire prendre conscience de notre regard ? Giacometti écrit : "Plus c’est vous, plus vous devenez n’importe qui… Mais vous n’êtes les autres qu’en étant au maximum vous-même, n’est-ce pas ?"
Philippe Chemin
Le texte du spectacle est publié aux Editions L’Arbalète 1995.
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