Lieu : Théâtre du Saulcy à Metz.
Lieu : Théâtre du Saulcy, île du Saulcy à Metz (57).
Bonne âme ou capitaliste efficient ?
Pour tenter d’en finir avec la vieille question de la distanciation
Pourquoi La Bonne Âme du Se-Tchouan ?
Quelques généralités et bonnes intentions
Questions préalables
Comédie
Une scénographie
Dans la capitale du Se-Tchouan à demi européanisée, des dieux sont en quête désespérée d'une bonne âme, d'un être réellement bon. Wang le porteur d'eau leur présente Shen Té la prostituée qui accepte de les accueillir gracieusement. Pour la remercier ils lui donnent un peu d'argent qu'elle investit dans un commerce de tabac. Commence pour elle alors le défilé des quémandeurs, pauvres et profiteurs que, bonne, elle aide. Sa rencontre avec Sun l’aviateur sans emploi dont elle tombe éperdument amoureuse ne va pas simplifier sa vie et la propulse vers d’insurmontables contradictions.
Au bord de la faillite, elle a recours à un stratagème : elle se travestit en un cousin imaginaire Shui Ta qui, lui, va gérer sans état d'âme. A partir de ce moment, la bonne âme oscille au gré des évènements, tantôt Shen Té la généreuse tantôt Shui Ta le capitaliste efficient. Combien de temps cet équilibre faux tiendra-t-il ?
Texte disponible chez L’Arche Editeur. Traduction Marie-Paule Ramaux.
Par la Compagnie Le Théâtre du Jarnisy.
Des esprits peu éduqués ont donné de la contradiction entre jouer (montrer) et vivre (s’identifier avec) l’interprétation suivante : le travail du comédien comprendrait soit l’un, soit l’autre, comme si le Petit organon recommandait seulement de jouer, et l’ancien mode de jeu uniquement de vivre son rôle. En réalité, il s’agit bien entendu de deux processus antagonistes qui trouvent leur unité dans le travail du comédien : son jeu ne comporte pas simplement un peu de l’un et un peu de l’autre, et ses effets les plus authentiques naissent de la lutte et de la tension de ces deux contradictoires, comme de leur profondeur.
Bertolt Brecht – Petit organon pour le théâtre – Supplément. 1954
D'abord,
le besoin viscéral de partager dans la représentation cette émotion suscitée par l’humanité racontée par Monsieur Brecht, entre rire et larmes,
le désir de me confronter à la question du féminin/masculin, centrale dans la pièce, question qui a bercé mon enfance et hanté mon adolescence.
Et puis aussi,
aujourd'hui, mère, plusieurs fois femme, déroutée par le cheminement du monde, profondément troublée par la question du bien/du mal, de la bonté/de la méchanceté, du bonheur et de la souffrance, ma trajectoire rejoint la fable.
Il est temps pour moi d'honorer ce rendez-vous.
Anne-Margrit Leclerc
- Etre de nouveau au service du poète et des comédiens.
- Continuer plus encore cette fois, pour ce travail là, à creuser l’endroit du dialogue entre spectateurs et artisans de la fable : inventer cette relation civique et artistique les unissant, qui dessinera la théâtralité, ici et maintenant.
- Se servir de la conception sociale du fabulateur pour questionner le public : quelle est la place laissée à l’intime (à la personne et à son éthique) dans un monde réglé par le profit ?
Monter Bertolt Brecht, c’est être à coup sûr, encore et toujours, dans le désir prenant de questionner la relation du faible au fort, du dominant au dominé. Avec la bonne âme c’est s’interroger, en plus, sur se rapport de pouvoir, de combat dans la contradiction du féminin et du masculin, non seulement dans la construction de nos sociétés mais aussi plus intimement dans la construction de chaque être (la part du féminin/masculin).
Même si les réponses ambiguës suggérées par le poète aux spectateurs peuvent paraître très franchement obsolètes, ces questions restent évidemment d’actualité.
Il s’agira de placer la fable dans une modernité ludique, en se jouant du temps (mélange de passé, présent, futur), de proposer aux spectateurs une comédie (parfois) tragiquement naïve
- Pour cela être avec les comédiens dans la réjouissance de l’invention, abuser de leur vitalité, de leur appétit de jeu, de leur jouissance à se transformer.
- Retranscrire avec eux l’instabilité et la précarité de toute situation mêlant des intérêts divergents, en extraire la drôlerie et donc avoir constamment en ligne de mire l’humour de la contradiction, sans avoir peur de son cynisme, de sa cruauté.
- Mettre à nu le rythme interne de la fable, ses pulsations, ses avancées par rebonds successifs qui amènent inévitablement à la question finale : fin ouverte offerte aux spectateurs et peut-être, c’est à espérer, retour à soi et à son propre positionnement dans le monde.
Une esthétique hétéroclite avant tout, à l'image d'un bonze en habit traditionnel utilisant un téléphone portable. La Bonne Âme du Se-Tchouan aujourd’hui, donc. Des fils électriques, des fils à linge, et, étendus dessus, les costumes des comédiens, toujours présents sur le plateau, tantôt personnages en jeu, tantôt figurants en action, tantôt comédiens en attente. Pas de décor mais seulement des accessoires, hétéroclites, donc une carriole brinquebalante, une palanche traditionnelle aux côtés d'un ordinateur portable, des images, des banderoles publicitaires et de propagande, des enseignes lumineuses, dont bien sur, aussi européenne soit elle, la carotte du tabac (« La capitale du Se-Tchouan, à demi européanisée. »)
Lumière et accessoires suffisent à délimiter et à définir les espaces ; le petit débit de tabac est perdu au milieu du plateau, l'usine de l'envahit ; un néon en forme de ciseaux définit l'échoppe du barbier, une calligraphie la boutique de tapis, et, donc, une carotte le débit de tabac, qui, à défaut de grossir comme l’entreprise et le ventre de Shen Té et Shui Ta se multiplie jusqu'à, là encore, envahir le plateau. Dans l’usine de Shui Ta il y a, là encore envahissant, un gigantesque portrait de Shui Ta. A la manière de Mao.
Le son, spatialisé, crée des ambiances sonores et acoustiques propres aux espaces : une convention visuelle telle que montrer l’endroit ou l’envers des enseignes lumineuses suffit alors à situer l’action à l’intérieur ou à l’extérieur des boutiques.
Comédiens et accessoires sont incessamment en mouvement ; un fil à linge et une banderole publicitaire réhabilitent le rideau brechtien ; la carriole de Shen Té n'est autre que celle de Mère Courage.
Seul un espace déroge à l’économie de moyens et au théâtre brechtien : l’abri de Wang, porteur d’eau et de poésie. Un paysage puisé dans la peinture traditionnelle chinoise lui est attribué ; ce même paysage est accordé au jardin public, seule scène onirique de la pièce ; il y pleut du riz, procédé là encore puisé dans l’opéra traditionnel chinois.
Le tribunal comme bouquet final : paysage peint, images et banderoles publicitaires, enseignes lumineuses, accessoires traditionnels et accessoires contemporains se juxtaposent et font exploser toutes les conventions spatiales préalablement établies : la voie est libre pour l’épilogue. (« Allons, mon cher public, ne soit pas trop fâché ! / Mais oui, on le sait bien, ce n’est pas une bonne fin. »)
Grégoire Faucheux, 16 janvier 2008
Place de la liberté (Boulevard Foch) 57103 Thionville