Allemagne des années 1970. Baader, Ensslin, Meinhof et leurs camarades veulent changer le monde. Ils sont jeunes et beaux. ils aiment les grosses cylindrées, les armes à feu et ils s’aiment. Ils ressemblent aux acteurs de la nouvelle vague.
Mais le film qu’ils se jouent, sorte de remake de Bonnie and Clyde, va tourner à la série noire, au polar rouge sang. La R.A.F. affirme que l’heure est à la lutte armée dans les métropoles et que ce n’est plus le prolétariat allemand embourgeoisé mais elle, désormais, qui est le vrai « moteur » révolutionnaire.
La décennie rouge raconte la dérive de ces soldats perdus appartenant à une jeunesse qui voulait changer le monde, connue sous le nom de "protestgeneration".
"Nous vivons à l’heure du terrorisme et nous ignorons son histoire."
Dans une Allemagne reconstruite grâce au “miracle économique” de l’après seconde guerre mondiale, la “bande à Baader” fit trembler l’Etat fédéral allemand pendant une décennie entre 1966 et 1977. Adeptes d’une lutte révolutionnaire acharnée et violente contre les structures étatiques et ses représentants emblématiques, Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Ulrike Meinhof et leurs camarades de la R.A.F. (Rote Armee Fraktion) témoignèrent de leur volonté de changer le monde dans une sorte d’avant-garde intransigeante et pure. Ne reculant pas devant les meurtres individuels ou les attentats au nom d’une lutte sans merci contre le capitalisme, d’un combat que la gauche sociale démocrate (S.P.D.) ne menait plus, la R.A.F. prétendait attaquer l’impérialisme au cœur même de ses métropoles.
Michel Deutsch a construit autour de cette histoire une œuvre dramatique, qui mêle documents historiques écrits ou sonores et scènes de pure fiction. Associant les textes officiels produits par la R.A.F., les lettres échangées entre les membres de la “bande”, les textes des écrivains engagés comme Heinrich Böll, Gunther Grass, les minutes des procès, l’auteur-metteur en scène embrasse toute une époque marquée aussi par l’opposition à la guerre que les Américains menaient au Vietnam, par le refus du communisme est-oriental européen, par le conflit israélo-palestinien, par le gauchisme soixante-huitard, par la critique de la trahison des “pères” tous soupçonnés d’être d’anciens nazis.
Voyageant avec Baader et son groupe de Berlin à Paris, de la Jordanie à Frankfort pour terminer dans la prison de Stammheim, c’est à une analyse profonde et sans concession que se livre Michel Deutsch, l’un des rares auteurs dramatiques français qui fait souvent de l’Histoire la matière première de son théâtre, confiant à de jeunes acteurs le soin de faire revivre ce parcours ensanglanté dans cette “nuit ténébreuse” jalonnée de quarante-sept morts.
La décennie rouge est une plongée dans ce qu’on a pu appeler dans les années soixante-dix en Allemagne, “l’Allemagne en automne”. Que s’est-il passé ? Pourquoi, en se radicalisant, une bande de jeunes gens issus du mouvement étudiant s’est-elle engagée dans la voie du terrorisme ? Pourquoi une partie des intellectuels et de la bourgeoisie de gauche les a t-elle soutenu ? Souvenons-nous : du milieu des années soixante à la fin des années soixante-dix il s’est développé dans la jeunesse des métropoles occidentales un vaste mouvement de contestation de la société libérale. L’intelligence était critique et la jeunesse luttait pour une autre société, une société pluségalitaire, plus libre, plus autonome. Ses rêves passaient par le “désir” de révolution.
On date la naissance de la RAF (Rote Armee Fraktion), plus connue sous le nom de Groupe Baader-Meinhof ou Bande à Baader, au 22 mai 1970, après le reflux de la révolte étudiante. L’Allemagne de l’Ouest, la République de Bonn, grâce au “miracle économique” était devenue la première Puissance d’Europe. “Un nain politique, un géant économique”. Nombreux étaient ceux qui décrivaient la trop prospère République fédérale comme un protectorat américain. Le mouvement d’opposition extraparlementaire considère le terrorisme et la guérilla urbaine comme un moyen de défense contre “la tyrannie de la consommation”. Baader, Ensslin, Meinhof et leurs camarades décident d’engager la lutte contre l’impérialisme américain et contre les structures autoritaires de la société libérale. Ils veulent instruire le procès des pères accusés d’être, sans exception, d’anciens nazis. Ils se heurtent de front à l’Etat, ne reculant ni devant les attentats ni devant les assassinats ou les enlèvements, au nom d’une lutte sans merci contre le capitalisme, d’un combat que la gauche sociale-démocrate (SPD) a renoncé à mener. La RAF attaque l’impérialisme au coeur même de ses métropoles. Elle affirme que ce n’est plus le prolétariat allemand embourgeoisé mais elle, désormais, qui est le sujet révolutionnaire.
Andreas Baader et Gudrun Ensslin sont jeunes et beaux. Ils aiment les grosses cylindrées, les armes à feu et ils s’aiment. Ils ressemblent aux acteurs des films de la Nouvelle Vague. Mais le film qu’ils se jouent va virer à la Série Noire, au polar en noir et rouge sang. Ulrike Meinhof, la journaliste star passée dans la clandestinité, est Sainte-Thérèse. Hansel (Baader) et Gretel (Ensslin) jouent à Bonnie & Clyde.
Il serait faux de juger aujourd’hui les actions de la RAF à la lumière du 11 septembre 2001. Établir un parallèle entre les actions terroristes du Groupe Baader-Meinhof, qui se réclamait du marxisme, et le terrorisme islamiste serait absurde. Il ne s’agit pas pour autant d’idéaliser a posteriori, ou de légitimer le groupe Baader-Meinhof. Celui-ci d’ailleurs est devenu objet d’exposition et de mode, au sens propre. Tel couturier italien n’hésitant pas à lancer une collection de mode à l’enseigne du Groupe ! Pour la BBC, la RAF était la réponse allemande aux Rolling Stones. Ce qui est assez bien vu. Ironie de l’Histoire, la RAF est rapatriée dans le Musée de l’Histoire Allemande.
Reste qu’en racontant l’histoire du Groupe Baader- Meinhof on ne peut pas faire l’économie de ses victimes.
Michel Deutsch
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