Mathilde vit dans une ville tellement éloignée des grands centres du Québec qu’on y appelle le fleuve St Laurent, « la mer ». Une ville où les filles de sa génération ont les seins de la taille d’un bleuet séché et où les garçons qui tentent de les séduire arborent fièrement la presque pilosité de leurs moustaches molles. Mathilde a quinze ans, les lèvres peu pulpeuses, et une colère indicible au fond du coeur.
Vincent habite dans un bled juste assez paumé sur une carte de France pour qu’il puisse siroter son café devant des vignes à perte de paysage, le matin. Une ville où tous les garçons de sa génération ont couché avec la fille de la boulangère et où la fille de la boulangère refuse toutes ses avances à lui. Vincent a trente-cinq ans, une barbe de mille jours, des bottes de travail trouées et une colère indicible au fond du coeur.
Mais sur Facebook, sur Twitter, Mathilde et Vincent ont vingt-cinq ans, des photos de profils photoshopées, des lèvres retouchées, des abdos d’enfer, et des personnalités flamboyantes. Dès qu’ils ouvrent la bécane, ils la sentent monter. Dans leurs têtes et leurs jambes, elle se déclenche : la révolte. Celle qui fait rougir les visages, monter le sang et participer aux grands soulèvements sociaux. Celle qui donne un sens à leur ferveur de vivre.
Annick Lefebvre
15, route de Manom 57103 Thionville