Rejetée de tous, la petite troupe de la Comtesse Ilse erre dans le monde pour jouer l’œuvre d’un jeune poète mort tragiquement. À bout de forces, ils arrivent dans une villa abandonnée : le magicien Cotrone y fait régner “la vérité des rêves, plus vraie que nous-mêmes”. Il tente de les convaincre d’y achever leur quête. Mais Ilse veut à tout prix apporter la poésie au public, fût-il celui des Géants de la montagne, voisins inquiétants dont la violence évoque celle du pouvoir fasciste...
La pièce a clairement trait aux rapports ambivalents de l’auteur avec Mussolini, que Pirandello rallia d’abord, avant d’être déçu par lui. C’est peut-être pourquoi il ne put conclure ce “mythe” : à sa mort en 1936, il laissa la pièce inachevée. Mais il publia La Fable de l’enfant échangé, la pièce qu’Ilse veut jouer et dont des bribes surgissent dans Les Géants : une mère, convaincue que des sorcières ont substitué un monstre à son fils, se bat pour récupérer son vrai enfant, beau et princier... Dans le langage du conte, inspiré par sa Sicile natale, Pirandello y fait entendre le thème même des Géants : “la tragédie de la poésie dans la brutalité du monde moderne”.
Le spectacle de Stéphane Braunschweig fera résonner les harmoniques théâtrales de ces œuvres entrelacées.
« Il faut aimer le théâtre pour suivre ce spectacle qui ne cède pas à la facilité et multiplie les références. Mais on se laisse envelopper par la beauté du noir et blanc, irradié à certains moments des couleurs du rêve. Et l'on se laisse porter par les mots de Luigi Pirandello, traduits par Stéphane Braunschweig, des mots qui voyagent, semblent parfois perdre leur chemin et s'enfoncer dans des abymes pour mieux réapparaître, sur ce fameux « bord de la vie » où le théâtre est poésie, et les êtres de pauvres grandes petites choses (...) » Brigitte Salino, Le Monde, 6 septembre 2015
On peut la trouver obscure, déroutante avec ses vertigineux jeux de miroirs, frustrante parce qu'il lui manque une fin... mais c'est ce qui fait son charme et sa beauté : la pièce de Pirandello (...) brille du mystère des grandes oeuvres inachevées. Et Stéphane Braunschweig au Théâtre de La Colline a su la rendre lisible, actuelle, tout en exaltant sa magie. (...) Dominique Reymond (...) est une éblouissante diva cosmique incarnant la comédie humaine. Claude Duparfait fait merveille en maître des rêves (...). » Philippe Chevilley, Les Echos, 7 septembre 2015
« C'est une pièce qui, aujourd'hui, nous apparaît plus que jamais essentielle, vitale à la compréhension du monde dont l'intrigue nous échappe parfois pour mieux nous rattraper. ll y a de la magie, de l'épouvante, des voix venant d'on ne sait où et qui s'immiscent dans les échanges, des fantômes (...), du vrai, du faux, du réel, de l'illusion et des questionnements sur l'art, le rêve, la force et/ou la désuétude du théâtre face au totalitarisme des esprits. » Marie-José Sirach, L'Humanité, 7 septembre 2015
« L'une des difficultés posées par l'écriture de Pirandello, c'est qu'elle conjugue de façon paradoxale naturalisme et onirisme, réalité et fiction (...). Il y parvient notamment grâce à la distribution, finement choisie, qui réunit Claude Duparfait et Dominique Reymond. » Hugues Le Tanneur, 4 septembre 2015
Lorsque Pirandello mourut en 1936, il laissa inachevés ces Géants de la montagne qu’il considérait pourtant comme son chef-d’oeuvre ultime. Conçue dès 1928 comme un hymne au pouvoir de l’imagination, “véritable fête pour l’esprit et les yeux”, la pièce interrompue avant le dernier acte reste à tout jamais ouverte sur ses secrets et ses mystères.
Il est d’usage de « finir » les représentations des Géants par la lecture du texte que Stefano Pirandello rédigea d’après les propos que son père lui tint sur son lit de mort, lui confiant comment il projetait de terminer la pièce. Parfois une pantomime ou même une tentative d’écriture inspirée par ce texte en remplace la simple lecture. Parfois aussi la représentation s’interrompt brutalement là où le texte de Pirandello s’arrête : l’une des actrices crie : « J’ai peur » tandis qu’on entend dans la montagne, comme se rapprochant du théâtre, la cavalcade sauvage des Géants qui arrivent.
Mais rien ne dit que Pirandello, s’il avait réellement pu achever sa pièce, n’aurait pas encore modifié la vision qu’il en avait sur son lit de mort, tout comme cette vision s’était éloignée considérablement de ce qu’en avaient laissé entrevoir ses propos tenus quelques années plus tôt (en particulier dans un entretien de 1928). Et c’est sans doute précisément parce qu’il hésitait sur le sens que son « mythe de l’art » devait prendre qu’il avait calé sur la fin.
Il ne fait pas de doute que Les Géants de la montagne devait raconter G la tragédie de la Poésie dans la brutalité du monde moderne ». Mais la question de savoir s’il fallait mettre la mort de la Poésie au seul compte de l’inculture bestiale des Géants, ou si la 5 poésie elle-même portait sa part de responsabilité dans sa propre incapacité à s’adresser aux masses (comme le suggère Stefano), cette question faisait probablement débat dans l’esprit de Pirandello.
On devine que ce qui se joue dans ce débat tient aux rapports compliqués de Pirandello avec le fascisme de Mussolini. Car ces figures des Géants, qui réalisent des travaux titanesques pour soumettre la montagne et broient sans scrupule la petite troupe de théâtre d’Ilse, sont bien l’allégorie de ce monde brutal, fasciste et capitaliste, qui a renoncé au « culte des valeurs spirituelles ». Pirandello avait d’abord espéré en Mussolini, mais celui-ci n’avait pas suffisamment soutenu son « teatro d’arte » à Rome (que Pirandello doit fermer en 1928, précisément au moment où il élabore le projet des Géants), et surtout Mussolini avait fait interdire dès la seconde représentation en 1934 sa Fable de l’enfant échangé. De fait, l’idéalisation de cette Sicile encore agraire et préindustrielle, que Pirandello oppose dans les derniers vers de sa Fable à la « brume amère » d’un Nord hérissé d' « architectures de fer », avait dû sonner presque comme une provocation pour le pouvoir fasciste. Et le triomphe de l’amour maternel une provocation pour la figure paternelle que Mussolini incarnait.
Or il se trouve que les deux pièces se rejoignent en bien des points, ce qui n’est guère étonnant quand on se souvient qu’avant de devenir le livret d’un opéra de Malipiero La Fable de l’enfant échangé avait été écrite par Pirandello dans le but de servir de matériau aux Géants de la montagne : c’est cette pièce en effet qu’Ilse veut coûte que coûte représenter, celle qui a été rejetée par le public des villes et qui a causé la faillite de sa compagnie, et de nombreux extraits du premier acte en sont cités.
Dans les Géants, le magicien Cotrone affirme que « la vérité des rêves est plus vraie que nous-mêmes » et propose aux habitants de « La Scalogna » (la villa à l’abandon et au nom évocateur – « La Poisse » – qu’ils squattent tous ensemble) de vivre selon cette vérité. En affirmant que « rien n’est vrai, mais que tout peut être vrai » selon ce que l’on croit, le Prince de la Fable ne dit pas autre chose.
Rien ne prouve que ce fils du Roi soit en réalité le fils volé à la Mère, mais son choix de le croire, de croire à la fable des « Dames qui échangent les enfants au berceau », sa décision de rejoindre cette « mère » et de refuser l’héritage de ce « père », accomplit en quelque sorte le précepte de vie de Cotrone : car la vie que prône celui-ci refuse catégoriquement de se laisser enfermer dans les limites de la raison, elle doit se vouer tout entière au rêve et à l’imagination, donner corps à nos fantômes et préférer la folie à la tristesse.
Quand on lit attentivement La Fable de l’enfant échangé, on comprend bien qu’elle ait plu à Cotrone et que celui-ci appréhende tant la réaction des Géants. Cotrone et Ilse se retrouvent donc ensemble du côté de la poésie ; mais ce qui les différencie, c’est ce qu’on doit en faire. À la misanthropie radicale de Cotrone et son désespoir du monde moderne, Ilse oppose la nécessité absolue que l’art continue de s’adresser au monde, qu’il ne soit pas que pour soi, « art pour l’art ». Cotrone pense le combat perdu d’avance et c’est pourquoi il s’est en quelque sorte retiré du monde réel ; mais Ilse ne veut pas l’admettre, sans destinataire sa vie et son art n’ont pas de sens. Pour elle, mieux vaut perdre le combat que de ne pas combattre.
Entre Cotrone et Ilse, Pirandello n’a pas tranché : il a sans doute exprimé ainsi sa propre contradiction, un doute profond qui porte aussi bien sur les capacités de l’art en lui-même que sur la possibilité pour la société de son époque de faire une place à d’autres valeurs que physiques et matérielles. Ce doute continue de faire sens pour nous aujourd’hui, et ce d’autant plus que la crise économique impose aux États de resserrer leur intervention financière sur le nécessaire aux dépens du superflu. Et plus que jamais, nous ressentons le besoin d’affirmer la nécessité paradoxale de ce superflu-là, celui de la poésie, autrement dit la nécessité d’ « nventer la vérité » (Cotrone) pour ne pas mourir – comme dirait Nietzsche – de cette soi-disant vérité unique, dominante et mondialisée, qui fait du profit matériel le seul sens de la vie.
Aujourd’hui comme hier, les Géants sont ceux qui refusent l’art et la pensée, soit qu’ils n’en voient pas l’intérêt, soit qu’ils en perçoivent au contraire le danger. Ils trustent la Bourse et les grands médias. Ils ne défilent pas en grande pompe, donc on ne les voit pas, mais en réalité ils sont partout. Leur idéologie domine le monde. Mais ils ne sont pas encore venus à bout de tous ceux qui leur résistent, penseurs et artistes en particulier, des plus avant-gardistes aux plus réactionnaires. Car on peut aussi défendre la poésie avec des accents régressifs : c’est même un effet pervers de cette angoisse de la modernité, auquel un texte comme La Fable de l’enfant échangé – aussi beau soit-il – n’échappe pas totalement. Étrange tout de même de voir Pirandello à présent donner presque crédit aux superstitions de sa Sicile natale après les avoir tant combattues (précisément dans la nouvelle homonyme où la pièce trouve sa source). Peut-être Pirandello avait-il conscience de ce retour en arrière paradoxal, et cherchait-il autrement le moyen de donner à la poésie une nouvelle force de révolte et d’indignation face à la « brutalité du monde moderne ». Peut-être est-ce la raison pour laquelle les Géants restèrent désespérément inachevés.
Sans doute pas plus que la philosophie de Cotrone, La Fable de l’enfant échangé n’apporte de réponse satisfaisante face aux angoisses de la modernité. Mais c’est la réponse en laquelle croit Ilse, et c’est la raison de son sacrifice. Et c’est pourquoi je veux, à la place du dernier acte des Géants jamais écrit par Pirandello, lui donner la chance de défendre sa Fable face aux Géants d’aujourd’hui et de demain. Libre ensuite aux spectateurs, emportés dans l’élan de cet acte de résistance, d’inventer d’autres vérités...
Stéphane Braunschweig octobre 2014
J'ai trouvé ce spectacle difficile à suivre, on a du mal a accrocher aux propos décousus, aux cris des acteurs, on a du mal à trouver le fil de cette réflexion révoltée sur le monde... Malgré des acteurs formidables, comme Dominique Rémond et Claude Duparfait, on sort un peu sonné et déçu.
excellente mise en scène !
super pièce, mise en scène même si certainsa cteurs n'étaient pas à la hauteur. Et que la fin est trop "chargée". Très bonne soirée
Texte confus , acteurs trop hurlants et décor qui n'évoque rien . Heureusement un personnage sauve la pièce Cotrone ainsi que son interprète .
Pour 3 Notes
J'ai trouvé ce spectacle difficile à suivre, on a du mal a accrocher aux propos décousus, aux cris des acteurs, on a du mal à trouver le fil de cette réflexion révoltée sur le monde... Malgré des acteurs formidables, comme Dominique Rémond et Claude Duparfait, on sort un peu sonné et déçu.
excellente mise en scène !
super pièce, mise en scène même si certainsa cteurs n'étaient pas à la hauteur. Et que la fin est trop "chargée". Très bonne soirée
Texte confus , acteurs trop hurlants et décor qui n'évoque rien . Heureusement un personnage sauve la pièce Cotrone ainsi que son interprète .
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