No future ? La libération sexuelle n’aura-t-elle été qu’un leurre ? À lire Les Particules élémentaires, l’humanité post-68 semble assez mal partie. À voir le spectacle, c’est moins sûr. Car l’engagement sans réserve de la troupe et sa joie de jouer, le recours percutant à la vidéo, l’énergie d’un concert rock, sont autant d’armes scéniques qui dès la création des Particules ont suscité l’enthousiasme des publics, toutes générations confondues.
En adaptant le roman de Houellebecq, Gosselin et ses interprètes se sont forgé une écriture théâtrale capable de se mesurer à une œuvre contemporaine et aux questions qu’elle pose, exaltant ses atmosphères, restituant les registres multiples de son style, donnant forme visible à l’acuité de ses réflexions toujours actuelles. L’enquête critique sur les contradictions et les tourments de l’individualisme au cours du XXe siècle finissant prend pour fil conducteur le destin de deux demi-frères, Bruno le littéraire obsédé et Michel le scientifique inhibé, dont les vies sont étudiées sous tous les angles : psychologique, sociologique, historique – et érotique, bien entendu.
Après 2666, adaptation- événement de la somme romanesque de Bolaño, Julien Gosselin et sa compagnie reprennent le succès retentissant qui les avait révélés aux Ateliers Berthier.
Défaut de vision ? Fossé culturel ? Simple retard de calendrier ? Alors que Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq (1998) a été adapté sur scène, dès sa publication, en Allemagne et aux Pays-Bas, le roman n’avait encore retenu l’attention d’aucun metteur en scène français. Il a fallu attendre Julien Gosselin, 27 ans, lecteur assidu de Houellebecq et amateur de défis stylistiques, pour mesurer le potentiel dramatique d’une oeuvre clairvoyante qui condense cinquante ans d’histoire culturelle.
Des anti-héros pittoresques (Michel et Bruno sont des demi-frères peints comme deux versants de la solitude moderne), des scènes collectives à fort pouvoir comique (cf. un stage de “bien-être” pour hippies illuminés), une archéologie de la violence libérale (tyrannie du jeunisme, annexion de la sexualité et du désir par l’économie de marché)… Les arguments ne manquent pas pour motiver une adaptation, mais c’est surtout la variété des registres et des modes narratifs qui a séduit Julien Gosselin et son collectif Si vous pouviez lécher mon coeur, un groupe d’acteurs qui avait déjà retenu l’attention avec des mises en scène de Fausto Paravidino (Gênes 01) et d’Anja Hilling (Tristesse animal noir).
Inventivité rythmique, vitalisme collectif, sens du montage… De quoi persuader que Les Particules élémentaires, drame libidinal, comédie de moeurs désenchantée, est avant tout une déclaration d’amour à l’homme tel qu’il se dessine au tournant de ce siècle : profondément dérisoire, immanquablement ridicule, infiniment émouvant.
Il s’attaque ici à un géant du box-office littéraire international, souvent honni, toujours controversé.
Il est indubitable que Michel Houellebecq fait partie des plus grands écrivains vivants au Monde. Il est en tout cas, de manière évidente, un des seuls auteurs français qui, usant d’un style d’une incroyable puissance poétique, s’attache à décrypter la société occidentale dans ses contradictions les plus profondes. Chose amusante, ce sera la première fois qu’un de ses textes sera adapté théâtralement en France. Plus qu’une éventuelle crainte de prendre en charge les thématiques parfois subversives de Houellebecq, je crois tout simplement qu’une grande partie des hommes ou femmes de théâtre français ne l’ont simplement pas lu.
Ils en gardent alors l’image d’un gringalet réactionnaire, islamophobe ou amateur de prostitution thaïlandaise, sans probablement se rendre compte que toute l’Europe, et même le Monde entier, nous l’envient. Je ne souhaite pas réparer cette injustice, Houellebecq n’a pas besoin de nous. Je me réjouis cependant de pouvoir confronter son oeuvre la plus essentielle au plateau. Les Particules élémentaires représente en effet pour moi le point central, névralgique de sa bibliographie. D’abord, parce que les thèmes abordés (la fin des idéaux de 68, la misère sexuelle, la possibilité d’une post-humanité) seront repris dans tous les romans qui suivront. Egalement parce que c’est la première fois qu’il s’attaque au grand roman, lui qui admire tant Balzac, allant jusqu’à créer une forme de saga familiale d’aujourd’hui. Mais enfin et surtout, j’ai la conviction absolue que l’écriture de Houellebecq est faite pour le théâtre : toute son oeuvre est, stylistiquement, centrée sur le pari de faire se côtoyer descriptions wikipédiesques, récit romanesque, poèmes. En ce sens, son écriture est profondément impure, totale, polyphonique, bâtarde : éminemment théâtrale.
Julien Gosselin
Aviez-vous pensé à d'autres textes de Michel Houellebecq avant de choisir d'adapter Les Particules élémentaires (1998) ?
Oui. Au début je voulais adapter Lanzarote, un court récit publié en 2000 qui préfigure le roman La Possibilité d'une île (2005). Mais après la création de Tristesse animal noir, de la dramaturge allemande Anja Hilling, je voulais me lancer sur un projet plus ample. Alors j'ai relu tous les textes de Houellebecq. Les Particules... s'est imposé parce qu'on y trouve tous les thèmes cruciaux de son univers tandis que des romans comme Plateforme ou La Carte et le Territoire offrent des angles plus serrés (sur le tourisme sexuel et sur l'art en l'occurrence). J'aimais l’idée d'une somme, d'un roman-fleuve qui couvre une longue époque et offre une galaxie de personnages (le roman narre, depuis un futur proche, les vies de deux demi-frères, Michel et Bruno, du début des années 1960 à la fin des années 1990, ndlr). Ensuite, le fait qu'il soit écrit à la troisième personne m'a aidé ; la première personne implique la présence continue d'un narrateur (sauf si l'on déconstruit complètement mais ce n'est pas ce que j'ai envie de faire avec les textes). Et surtout, j'aime la façon dont le texte se déploie en entrelaçant des passages de poésie, de narration et de discours.
Que vous permet cette variété de formes narratives, cette « impureté » en terme de mise en scène ?
De créer du rythme. J'aime inventer des façons de renouveler l'écoute du spectateur. Et la variété stylistique du texte permet de jouer de ruptures, et de relances. Plus le défi stylistique est mouvant et ardu, plus je parviens à rester proche du texte. La recherche de solutions crée la mise en scène et c'est un moment de création très réjouissant.
Vous accordez en effet une place importante au travail sonore dans la pièce...
C'est Guillaume Bachelé, un des acteurs, qui compose la musique. Mais la création musicale est indissociable de celle du jeu. Ce n'est pas une posture,
hein... J'ai dû travailler, allez, trois ou quatre fois maximum seul avec les acteurs, sinon tout le monde est au plateau. Je crois qu'un acteur se sentant
porté par le son, par la lumière, par un espace construit pour lui est nécessairement meilleur. Encore une fois, l'enjeu de ce travail collectif est de trouver le rythme. Il n'y a quasiment aucune scène (hormis deux ou trois) qui dépasse une page A4 dans mon adaptation. Nous nous demandons toujours comment morceler l'objet textuel pour relancer l'attention du public, pour qu'il ne perde jamais l'intelligibilité du texte. L'émotion est créée à la fois par la bonne compréhension du texte et par le ressenti d'un rythme pur. Ce travail musical est crucial pour nous.
Comment s'est déroulée l'adaptation ?
Nous avons dû délaisser beaucoup de matériaux. Par exemple, pour des questions de rythme et de tenue de la pièce, on a dû supprimer un passage sociologique passionnant sur le Cap d'Agde, un endroit que Houellebecq décrit comme un « modèle sexuel social-démocrate ». Pareil pour un morceau de texte magnifique qui narre l'histoire d'amour entre Michel et Annabelle, avec des promenades sur la plage d'une tristesse infinie mais d'une grande beauté. Au bureau, j'ai donc fait un gros travail de montage mais pas de réécriture : 98% du texte est de Houellebecq. Après, au plateau, le passage le plus problématique fut celui du « Lieu du changement » (un camp de vacances « bien être » dans lequel Bruno se rend pour trouver des partenaires sexuelles, ndlr). Je travaille du texte mais pas nécessairement du dialogue théâtral, alors la reconstruction de scènes dialoguées a été difficile. Le luxe qu'on s'est payé, ce fut le temps.
Cela vous surprend-il que les romans de Michel Houellebecq n'aient jamais été adaptés, avant vous, par des metteurs en scène français, alors qu'ils l'ont été par des artistes allemands et néerlandais ?
Pour les Allemands ou les Néerlandais, s'emparer du dernier roman paru pour, s'il est formidable, l'adapter au théâtre est une évidence. C'est un réflexe qu'ont moins les metteurs en scène français. Le traducteur allemand des Particules élémentaires me parlait d'ailleurs de la rapidité avec laquelle les artistes se sont saisis du roman à sa sortie. Donc, non ça ne m'a pas surpris. Mais c'est un peu décevant. J'estimais que ça devait être fait et j'avoue que le défi d'adapter un des plus grands auteurs français vivants – si ce n'est le plus grand, à mon sens – fut tout à fait stimulant. Et puis, la richesse qu'offrait ce roman en terme d'adaptation m'a de suite sauté aux yeux.
C'est un auteur qui continue pourtant de diviser les lecteurs.
Je crois que peu de gens l'ont lu. Que beaucoup connaissent le personnage médiatique mais que peu l'ont vraiment lu. En France, on a tendance à aimer les styles très francs, très signés, et sans doute certains ont-ils l'image d'un écrivain avec un style mou, neutre, indistinct, ce qui est faux évidemment. Quant à ce qu'il déploie politiquement... J'ai eu quelques retours de spectateurs qui n'avaient jamais lu Les Particules élémentaires avant de voir le spectacle. Ils ont donc découvert la pertinence de ses thèses sur l'idéologie soixante-huitarde (qu'il tient pour responsable de la violence libérale, ndlr) et ont été secoués. On est forcément secoué, même si on n'est pas d'accord. Parce que sa conception de la société moderne est formidablement intéressante ! Les Particules élémentaires choque non pas parce qu'on y parle de sexe et de morbidité mais parce qu'y est mené un décryptage de la société libérale, de son origine, de ses tenants et de ses aboutissants, tout à fait déstabilisant.
Les spectateurs de théâtre ont davantage l'habitude d'entendre des artistes de votre âge (vous avez créé la pièce à 26 ans) défendre le rêve soixante-huitard, en tout cas, adopter un discours nostalgique sur les grandes luttes passées. Vous prenez le contrepied...
Je ne sais pas. J'avoue que j'ai vite été lassé d'entendre des artistes de ma génération louer cet esprit de révolte sans lui donner de contours plus complexes. Cette façon de rêver les révolutions de nos aînés et l'épanouissement sexuel hippy m’exaspère, c'est sûr. Mais je n'ai pas cherché à m'inscrire en contrepied... on ne monte pas une pièce pour ça.
Propos recueillis par Ève Beauvallet pour le Festival d’Automne à Paris et l’Odéon-Théâtre de l’Europe.
« Trop malheureux et trop frustré pour s'intéresser réellement à la psychologie d'autrui, Bruno se rendait cependant compte que son demi-frère était dans une situation pire que la sienne. Souvent, ils allaient ensemble au café ; Michel portait des anoraks et des bonnets ridicules, il ne savait pas jouer au baby-foot ; c'est surtout Bruno qui parlait. Michel ne bougeait pas, il parlait de moins en moins ; il levait vers Annabelle un regard attentif et inerte. Annabelle ne renonçait pas ; pour elle, le visage de Michel ressemblait au commentaire d'un autre monde. Vers la même époque elle lut La Sonate à Kreutzer, crut un instant le comprendre au travers de ce livre. Vingt-cinq ans plus tard il apparaissait évident à Bruno qu'ils s'étaient trouvés dans une situation déséquilibrée, anormale, sans avenir ; considérant le passé, on a toujours l'impression – probablement fallacieuse – d'un certain déterminisme. » Michel Houellebecq : Les Particules élémentaires, Flammarion, 1998, pp. 86-87
Texte nombrilisme, mise-en-scène inexistante. En deux mots: spectacle aussi agaçant qu'ennuyeux!
Relire" les particules", la violence du livre se suffit à elle même! et la voix blanche, sourde ,mélancolique et mutine de Houellebecq (qu'on imagine en lisant) met la juste distance. Les cris et le jeu des acteurs desservent le texte.Quatre heures difficiles!
Intelligence de la mise en scène, de la scénographie et intensité du jeu des acteurs .. L'ensemble fusionne et se met brillamment au service du texte de Houellebecq. Du grand Gosselin.
Très mauvaise mise en scène. L'actrice brune qui parle assez longtemps un peu avant l'entracte est inaudible et a une voix très désagréable. Les acteurs se font plaisir, ce qui n'était pas notre cas. Comme d'autres, nous sommes partis à l'entracte. Michel Houellebecq mérite mieux que ça. Ne perdez pas votre temps à aller voir cette pièce. Replongez vous dans le livre !
Pour 22 Notes
Texte nombrilisme, mise-en-scène inexistante. En deux mots: spectacle aussi agaçant qu'ennuyeux!
Relire" les particules", la violence du livre se suffit à elle même! et la voix blanche, sourde ,mélancolique et mutine de Houellebecq (qu'on imagine en lisant) met la juste distance. Les cris et le jeu des acteurs desservent le texte.Quatre heures difficiles!
Intelligence de la mise en scène, de la scénographie et intensité du jeu des acteurs .. L'ensemble fusionne et se met brillamment au service du texte de Houellebecq. Du grand Gosselin.
Très mauvaise mise en scène. L'actrice brune qui parle assez longtemps un peu avant l'entracte est inaudible et a une voix très désagréable. Les acteurs se font plaisir, ce qui n'était pas notre cas. Comme d'autres, nous sommes partis à l'entracte. Michel Houellebecq mérite mieux que ça. Ne perdez pas votre temps à aller voir cette pièce. Replongez vous dans le livre !
Que dire... Des acteurs qui jouent bien et une mise en scène réussi... non l'adaptation de Gosselin, c'est bien plus que ça. C'est une rythmique qui vous coupe le souffle sur 3h50. Une pièce digne d'un film, une équipe qui vous fait vibrer sur une bande son qui vous immerge dans les tréfonds des écrits de Houellebecq. Bref, le mieux, c'est d'y aller.
Bonne mise en scène et bons acteurs, mais dans la mesure où Houellebecq est un provocateur et un détraqué sexuel, il n'était pas nécessaire d'en rajouter. Cela nuit au propos. Dommage.
Parfaite recréation du texte portée par une troupe de jeunes acteurs . Seul bémol le son dont on comprend bien qu'il augmente pour faire monter la tension dramatique mais insupportable .La première partie est formidable et plus variée que la deuxième qui reste dans le même ton à part la scène magnifique de l'arrivée en Irlande dans la tempête .
que dire après de si sublimes vociférations; ça touche au creux du bide, en bas des lombaires.
Très bonne mise en scène, malgré une musique un peu forte. La 2ème partie trop longue, trop "trash". Je trouve dommage que certaines actrices aient un ton trop "pleurnichard".
j'ai bien retrouvé l'ambiance du livre entre rires, pleurs et apitoiement sur la condition humaine. Le pari était difficile à tenir. Surprise de voir un plat rempli de bouchons auditifs à l'entrée et on a vite compris lorsque le son a saturé les enceintes et que les acteurs commençaient à hurler à en avoir la voix qui déraille pour se faire entendre. Dommage, la véritée n'est pas plus vraie lorsqu'elle est criée
Mise en scène très inventive qui révèle beaucoup de maturité. La présentation des 2 personnages principaux est particulièrement convaincante. Une distribution très juste
Mise en scène extraordinaire. Le spectacle donne du corps au livre de Houellebec, et même si l'on ne partage pas tous ses partis pris, son désespoir, ou son manque d'empathie, on ne peut manquer d'être saisi par l'acuité de son regard et l'intensité de son questionnement, bien rendus par toute la troupe.
J'ai découvert cette pièce avec émotion et enthousiasme à Avignon en 2013 Je l'ai revue hier avec tout autant d'émerveillement pour l'originalité de la mise en scène et le travail des acteurs Je n'avais pas beaucoup aimé le roman de Houellebecq mais le spectacle permet d'en comprendre la profondeur Un grand merci et bravo à Josselin et sa troupe pour ce moment exceptionnel Sylvie
Spectacle tres fort...
Très belle pièce: la mise en scène est très riche, et met totalement en valeur un texte très juste et émouvant sur la condition humaine. Un travail admirable, bravo à toute l'équipe!
8, boulevard Berthier 75017 Paris
Entrée du public : angle de la rue André Suarès et du Bd Berthier.