Les enfants

du 7 janvier au 29 février 2004
1H45

Les enfants

Nous devrions observer les enfants car ils nous apprendraient à remplacer la vengeance par la justice, la colère par le respect de l'autre, à prendre la responsabilité de nos erreurs. Comment pouvons nous apprendre à être responsables de nous-mêmes et de nos actes ? C'est cette question qui hante Les enfants.

La pièce
"C'est notre histoire qui nous est racontée sur scène"
Transformer le sens du monde

L'aventure des enfants

Dans Les enfants, un jeune garçon se voit confier par sa mère une mission étrange et dangereuse. Il hésite, puis accepte… Une maison brûle, un enfant meurt. Une mère conduit son fils au meurtre et l’abandonne à l’errance. Ses amis et lui rencontrent le malheur, la destruction et au passage une espèce de compassion. Le fils se noie complètement dans ce monde étrange mais en surgit changé pour jamais. A la fin de la pièce, il se retrouve seul, mais il sait qu'il doit chercher quelqu'un, réinventer l'être humain : « j’ai tout. Je suis la dernière personne au monde. Je dois trouver quelqu’un. »

Pour Edward Bond, nous devrions observer les enfants, car ils nous apprendraient à remplacer la vengeance par la justice, la colère par le respect de l'autre, à prendre la responsabilité de nos erreurs.

Comment pouvons nous apprendre à être responsables de nous-mêmes et de nos actes ? C’est cette question qui hante Les enfants.

Edward Bond continue inlassablement l’exploration d’un terrain qui est devenu le centre de son écriture : quel rôle « pédagogique » le théâtre peut-il jouer dans un monde à la dérive, quel rôle l’imagination peut-elle reprendre dans un processus éducatif qui permettrait enfin de libérer notre monde de ses maux enracinés, violence et injustice. Il s'agit d'aider les enfants, par le théâtre, à avoir une meilleure compréhension d'eux-mêmes et du monde dans lequel ils vivent.

La pièce a été écrite en 1999 et créée par la Compagnie Classworks Theatre, le 11 février 2000, au Manor Community College à Cambridge. Les rôles des enfants étaient interprétés par les élèves. La première mise en scène fut présentée en tournée dans dix-sept lieux différents. Les rôles de la mère et de l'homme étaient joués pendant toute la tournée par les mêmes acteurs, mais chaque nouveau lieu entraînait une nouvelle distribution pour les rôles des jeunes gens.

En France, la pièce a été créée le 13 juin 2002 au théâtre-studio d'Alfortville dans une mise en scène de Jérôme Hankins, par ailleurs traducteur de la pièce.

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La noirceur de notre monde tient à l’impuissance dans laquelle nous nous trouvons de nous poser à nous-mêmes la question de la culpabilité. Notre société ne sait plus ni où ni comment écrire le rappel élémentaire à la solidarité absolue qui nous lie à tout être humain comme semblable et prochain.

Le monde actuel n’a jamais autant souffert de la responsabilité, et il s’agit même de la situation la plus désolée qu’il ait eu à affronter : avoir à répondre de la responsabilité qui fait de chacun d’entre nous l’improbable et l’inconstant gardien de l’autre.

Aujourd’hui je voudrais croire qu’il existe entre les hommes, du seul fait qu’ils sont hommes, une solidarité en vertu de laquelle chacun se trouve co-responsable de la détresse de l’autre. Peut-on encore « être capables de quitter son âme pour ses amis » ?

Depuis quinze ans j'accompagne dans leur initiation au monde du théâtre des jeunes gens qui se destinent (ou non) à devenir comédien. Certains d’entre eux, à l'issue de ce voyage vers l'inconnu, à la recherche de leur identité, se dirigent vers de nouveaux horizons. Cette formation a cependant suscité chez eux des révélations inattendues. Je crois que l’essentiel dans l’éducation n’est pas la doctrine enseignée, mais l’éveil. Aucune éducation ne transforme un être, elle l’éveille, le révèle, le manifeste. Nous sommes avant tout des passeurs.

Par ailleurs, j’ai toujours voulu croire que quelqu’un qui vient au théâtre s’engage pendant la durée de la représentation, qu’il s’agisse d’un divertissement ou de quelque chose de plus profond.

Si le théâtre est encore en vie, c’est grâce à l’homme. Rien ne sépare le public de l’acteur. Cette rencontre ne pourra jamais y être remplacée. Le théâtre perdure pour cette raison : il s’agit d’une histoire de souffle et d’engagement mutuel.

L’acte d’aller dans une salle de théâtre est un engagement, être sur une scène aussi. L’acteur est responsable de sa propre parole. Et le théâtre est un espace où le public peut encore maîtriser quelque chose de lui-même, où il peut questionner sa pratique de spectateur.

C'est sa propre histoire qui lui est racontée sur scène.
L'action conjointe de l'acteur et du spectateur transforme notre perception du monde. Assister à une représentation constitue un événement dans une vie et cet acte change nécessairement le cours des choses.

Le théâtre d'Edward Bond et particulièrement Les enfants se situe entièrement dans cette perspective. Le voyage qu'entreprennent dans la pièce Joe et ses camarades est le même qu'entreprend le spectateur durant la représentation. Ils dessinent ensemble une carte du monde, traversant à la fois la réalité de la société et de ses lois et notre monde intérieur, mental et émotionnel. Nous devons apprendre, en grandissant, à demeurer humains dans un système social corrompu et corrupteur. Les enfants de Bond évoluent à l'endroit même où s'impose la nécessité de se définir soi-même, lorsque l'âge adulte vient prendre le pas sur l'enfance et que chacun d'entre nous doit "entreprendre le grand voyage afin de se comprendre lui-même et répondre de son action dans le monde." (citation E. Bond)

Ma conviction personnelle la plus forte est celle de la possibilité du surgissement : l’indicible. Dire l’indicible et puis plonger dans le grand tourbillon, comme on emprunte des chemins de traverse. Accepter de s’engouffrer dans l’étroit passage, glisser du connu vers l’inconnu, vers cet ailleurs indéchiffré.

Ce théâtre là est nécessairement un théâtre de traverse.

Jean-Pierre Garnier

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La question c’est : « Comment le théâtre peut-il transformer le sens du monde ? Et nous transformer, nous ? »

"Ce n’est pas un hasard si notre théâtre, comme notre démocratie, a été inventé par les Grecs, dans un temps de crise profonde, et nous vivons aujourd’hui un temps de crise profonde. Nous devons alors faire tous les efforts possibles pour créer le nouvel art dramatique qui nous permettra, peut-être, d’affronter cette crise.

L’homme est la seule espèce qui se dramatise, le seul animal qui se raconte des histoires. C’est ce qui fonde son humanité. Un enfant à qui on ne raconterait pas d’histoires n’arriverait pas à devenir un être humain. Il ne faudrait pas dire « au commencement était le verbe », mais au commencement était l’histoire. Et le théâtre est l’espace où l’histoire s’incarne.

Je ressens très fortement que nous sommes en danger de créer une société qui serait un véritable enfer. Auschwitz n’est pas refermé, Hiroshima est toujours en ruine : on ne peut pas se remettre de ce genre de choses, nous sommes toujours impliqués dedans aujourd’hui. Et une sorte de vaste cauchemar technologique plane au-dessus de nous…

Il n’y a pas de médicament, de traitement pour devenir humain : nous devons en permanence recréer notre humanité, et le théâtre est le lieu où se recrée cette humanité.

Edward Bond
A propos "des Enfants"
(interview publiée dans Le Monde daté du 19 avril 2003)

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À côté de chez moi, il y a une école dans un quartier misérable, très délabré.
[ ...] Un jour, un des élèves de quatorze ans a eu une dispute avec un autre et a menacé de le tuer. On a probablement tous dit ça. Mais lui avait un couteau, parce que dans la communauté d'où il venait (et dans une communauté la vérité est toujours dans un ghetto) dans cette communauté, pour être humain, il faut porter un couteau.

[ …] Le directeur lui a demandé ce qu'il faisait avec ce couteau, ils se sont disputés et l'élève a poignardé le directeur. Ce qui n'aurait pas dû arriver. Après ça, il a été décidé de fermer l'école et l'élève a été jeté en prison.

Un des professeurs m'a alors dit que ce n'était pas possible, que tous ces gosses allaient se retrouver à la rue, et qu'il fallait que j'écrive une pièce. Je me suis demandé ce qu'une pièce pourrait bien faire contre cela. Je suis quand même allé à l'école, j'ai vu les élèves et ils m'ont beaucoup impressionné.

J'ai donc écrit une pièce pour eux : Les Enfants. Ils l'ont répétée et représentée. La représentation était merveilleuse. Toutes ces petites crapules, ces petits terroristes ont fait une merveilleuse représentation. Je ne veux pas seulement dire qu'elle était belle ; bien sûr qu'elle l'était, mais le plus étonnant et l'intelligence de ces jeunes gens, leur capacité à lire le visage humain, à comprendre les motivations et les significations. Ils avaient une subtilité incroyable et de la force. Et au lieu de se chamailler, ils se soutenaient mutuellement. En un sens, j'étais exclu - mais c'était très bien.

[ …] Après, le proviseur m'a dit qu'il enseignait depuis trente ans et il n'aurait jamais cru que les enfants puissent faire cela. Et c'était du théâtre compliqué, vous savez que j'écris des pièces compliquées. Il est certains que le Royal National Theatre n'aurait jamais pu jouer cette pièce aussi bien ! La Comédie française non plus !

Parce que ces jeunes gens avaient toujours besoin de théâtre. Leurs psychés vibraient existentiellement, ils avaient toujours désespérément besoin de théâtre. On se serait cru au Théâtre de Dionysos à Athènes. Je suis certain qu'Euripide aurait aimé ça.

Le lendemain, un des garçons qui jouait dans la pièce de peut-être treize ans qui avait été brillant, est allé dans le parking de l'école avec un marteau et il a cassé tous les pare-brise dans le parking et il y avait beaucoup de voiture. Ce qui m'a frappé c'est qu'il les a cassés tous. Il ne voulait en laisser aucun. C'était total.

Nietzsche a dit : "je ferai de la philosophie avec un marteau". Ce petit délinquant était un philosophe.

Extrait d'une allocution d'Edward Bond
au Théâtre National de la Colline
à l'occasion de la création du Crime du XXIème siècle par Alain Françon,
janvier 2001

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Spectacle terminé depuis le dimanche 29 février 2004

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