Une famille se déchire au nom du bel esprit. D’un côté, Philaminte, sa fille Armande et sa belle-soeur Bélise, farouchement opposées au mariage, éprises de poésie, de philosophie et de science. De l’autre, garants du naturel, Chrysale, bourgeois asservi aux caprices de sa femme Philaminte, la gracieuse Henriette, leur seconde fille... sans compter le bon sens de la servante Martine.
Proches des précieuses ridicules, les trois femmes savantes reflètent l’évolution des moeurs de l’époque qui n’a pas échappé à Molière, haussant leur mépris pour les affaires domestiques à la hauteur de leurs ambitions métaphysiques. Le mariage arrangé par Philaminte entre le flatteur Trissotin et Henriette, amoureuse de Clitandre, est au coeur de l’intrigue.
Pour Bruno Bayen, plus qu’une satire des femmes ou du savoir, l’avant-dernière pièce de Molière est un portrait de famille où, sous couvert de doctrines universelles, l’intérêt règne en maître. Une histoire de théâtre aussi : souvenir des farces de jeunesse et constat teinté de mélancolie à l’avènement de la comédie sérieuse.
Avec Les Femmes savantes, créées le 11 mars 1672, Molière entend donner une soeur cadette au Tartuffe et au Misanthrope. Apportant une attention particulière à son écriture, il transpose de nouveau l’actualité dans une caricature de l’abbé Cotin et de Gilles Ménage, tous deux littérateurs en vogue. Si le personnage de Vadius évoque Ménage, helléniste érudit, maître en plagiats, Molière, s’alliant ici à son ami Boileau, s’attaque surtout à Cotin - Trissotin - dans une véritable exécution publique du « rimailleur » qui l’a nommément injurié. Désirant mettre les rieurs de son côté, la pièce va jusqu’à citer presque littéralement ses vers. Molière excelle dans une matrice dramatique qui allie le comique et le pathétique dans une efficacité scénique des plus brillantes.
Pour son retour attendu à la comédie et en approfondissant le thème des Précieuses ridicules, Molière s’en prend à nouveau aux faux-semblants en réglant avec Cotin un conflit - lequel, aussi personnel soit-il, correspond à une critique généralisée du pédantisme des salons, plus virulente à partir de 1670. Des personnalités féminines comme Madeleine de Scudéry, auteur du roman Artamène ou le Grand Cyrus qui dût inspirer à Molière le portrait de la femme savante, constataient aussi avec amertume leur dérive.
L’abbé Cotin, aumônier du roi et membre de l’Académie française, probablement impliqué dans la querelle de L’École des femmes, attaque Boileau puis Molière et le statut de comédien. Ainsi, selon une note manuscrite de Boileau, « Cotin obligea Molière à faire Les Femmes savantes » qui dénonce sur scène le pédantisme incarné par l’abbé Cotin cultivé mais bientôt versé, avec sérieux et vanité, dans l’écriture de sonnets à la mode. Si derrière le personnage de Vadius se cacherait l’helléniste Ménage impliqué dans une querelle avec l’abbé Cotin rapportée par Saint-Evremond dans La Comédie des Académistes (1650), Cotin est assurément Trissotin, initialement nommé Tricotin.
Sous-titre des Femmes savantes inscrit dans le Registre de La Grange dès le 29 avril 1672, Trissotin en devient le titre principal à partir du 3 mai, la dernière mention datant de 1687. C’est donc sous le titre de Trissotin que Les Femmes savantes sont jouées le 17 septembre 1680 pour la première fois à la Comédie-Française par la troupe nouvellement réunie.
D'après Florence Thomas.
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