Les muses orphelines

du 7 janvier au 5 février 2000

Les muses orphelines

" Maman parlait la langue des livres… Les livres étaient ses seuls amis. Elle avait probablement rencontré Federico dans un livre avant même qu’il vienne à Saint-Ludger. Elle aurait dû lire avant de rencontrer papa. " Michel-Marc Bouchard - Les Muses orphelines

Entre le rêve et la tourmente : une interview de Michel-Marc Bouchard
Pourquoi une version pour la scène française ?
Les Muses orphelines : version québecoise
Les Muses Orphelines : version française
Michel Tremblay, lors de la remise du Prix Victor Morin
Quatre dates qui font l’histoire du théâtre québécois

" Maman parlait la langue des livres… Les livres étaient ses seuls amis. Elle avait probablement rencontré Federico dans un livre avant même qu’il vienne à Saint-Ludger. Elle aurait dû lire avant de rencontrer papa. "

Michel-Marc Bouchard - Les Muses orphelines

Chaque famille a son histoire faite d’amour et de haine, de mystère et de révélation, d’exclusion et de réconciliation. Au Québec la famille a longtemps été une arme politique en réponse à la domination anglophone. Pas étonnant que les dramaturges québécois lorsqu’ils ont affirmé leur singularité dans les années 60, sous la houlette de Michel Tremblay, aient fouillé ce nid de la tragédie et de la comédie qu’est la famille. Michel-Marc Bouchard est bien dans la tradition de ce théâtre québécois dont l’histoire familiale est la matière sensible.

A Saint-Ludger de Milot, au Québec, trois sœurs et un frère se retrouvent dans la maison de leur enfance. Ils sont adultes, mais leur enfance n’est pas si loin. Ils vivent tous les quatre dans le souvenir d’une mère fantasque qui les a quittés et qui peut-être va revenir. Une belle histoire, douloureuse mais joyeuse aussi, car la langue de Michel-Marc Bouchard colore ses personnages, et c’est cette langue, son rythme et sa couleur qu’Isabelle Ronayette et ses jeunes comédiens vont faire vivre.

Les Muses Orphelines ont été présentées au Jeune Théâtre National dans le cadre des maquettes en avril 1998. Ce projet est parti d’un profond désir de monter un texte contemporain permettant de mettre en scène des jeunes comédiens. La première phase de répétitions était très libre, très ouverte à toutes sortes de propositions, parce que je crois que les premières intuitions des acteurs sont souvent fondatrices, fondamentales, et qu’il serait dommage de trop anticiper sur un résultat. C’est un temps de recherche, de responsabilité pour l’acteur. Ensuite il a fallu choisir, élaguer et simplifier pour arriver à une partition musicale où l’acteur peut se mouvoir, s’amuser, sans avoir peur, au fil des représentations, de continuer à s’étonner. L’acteur est, au fond, le centre de mes préoccupations. J’essaie de prévoir le moins possible, que tout naisse de la voix, du corps de l’acteur : l’espace, la lumière et le temps.

Plutôt que de privilégier la psychologie des personnages, j’ai favorisé une approche par le rythme. Il est nécessaire de jouer le langage, son invention et sa rythmique. Tout cela avec humour et vivacité. La FORME doit finir par donner le sens. Donner toute sa mesure à la fantaisie et à l’invention, rendre à tous les personnages leur part d’enfance. Le sérieux du propos ne sera que plus violent si l’esprit de fantaisie et de légèreté sont scrupuleusement respectés. Nous sommes allés autant que possible vers le minimum d’accessoires et de signes, pour privilégier l’épure.

Isabelle Ronayette
Metteur en scène.

 

 

Dans la série des Tanguay, (Dans les bras de Morphée Tanguay ; La Contre-nature de Chrysippe Tanguay, écologiste ; La Poupée de Pélopia et Les Muses orphelines), je me compare à un peintre qui poursuit avec le temps une réflexion sur les mêmes images, les mêmes couleurs, les mêmes préoccupations. C’est au vernissage de ce quatrième tableau, d’une collection égoïstement personnelle, que je vous convie. Un quatrième tableau aux couleurs de l’abandon, du passé et des secrets de famille. Un questionnement sans censure, sans véritable réponse sur la plus grande fatalité de notre existence : notre famille, notre genèse.

Michel-Marc Bouchard

Entre le rêve et la tourmente : une interview de Michel-Marc Bouchard

"Selon moi, au théâtre, l’action amène la parole. Mais si j’ai parfois besoin de vérifier, en atelier ou en lecture, la validité théâtrale et ludique de mes histoires, il n’en demeure pas moins que l’écriture dramatique est un genre à part entière. C’est un genre exigeant, qui a ses règles de construction et d’architecture, alors que certains le perçoivent comme un genre facile ou comme un exercice de style."

L’écriture dramatique exige en effet de savoir densifier les situations et orchestrer des architectures symboliques et métaphoriques qui rendent déjà compte d’un contenu. Cet art de la métaphore - ce signe qui "accomplit le plus grand trajet dans l’espace du sens en le réorganisant" - constitue un des traits marquants de l’œuvre de Michel-Marc Bouchard.

L’art qui se consacre à ausculter l’envers du comportement humain, ses aspects troublants et parfois même déviants, risque fort de pénétrer des lieux dépourvus de balises, de s’approcher d’abîmes sans fond. Les œuvres dramatiques de Michel-Marc Bouchard plongent au cœur des eaux troubles de la nature humaine, et elles laissent des traces. Mais n’est-ce pas là l’un des rôles fondamentaux du théâtre que de représenter l’espace psychique refoulé et de mettre en scène les êtres qui vivent en marge de la société ? Le théâtre permet d’investir les régions obscures de l’existence. Les pièces de Michel-Marc Bouchard pourfendent les idées de normalité, de nature, de vérité, telles que les déterminent notre société et notre culture. Dans cet esprit, ses personnages se situent pratiquement tous en marge de la société bien pensante et sont souvent victimes des préjugés d’un milieu sclérosé. Pourtant, ils n’ont souvent d’anormal que le fait d’être des rêveurs écorchés vifs. "Ces personnages sont des marginaux qui communiquent quelque chose ; ce ne sont pas des gens qui crient "vive l’anarchie !". En fait, ces êtres hors norme poussent les autres à devenir eux-mêmes au lieu de suivre ce que la société leur dicte. Fondamentalement, je crois qu’il n’y a personne de normal : il n’y a qu’un compromis social. Dans Les Feluettes, "l’anormalité" passionnelle et homosexuelle, si l’on peut s’exprimer ainsi, de la liaison entre Simon et Vallier pousse Lydie-Anne et la Comtesse à aller au bout de leur propre anormalité. Dans Les Muses orphelines, c’est Isabelle, considérée comme l’attardée de la famille, qui va les bousculer tous, les remettre en question. Ce que je cherche à dire par là c’est que la vie serait peut-être beaucoup plus jolie si on avait le courage de nos propres poésies. Mais il est vrai que j’ai beaucoup parlé des victimes, des gens soumis à l’oppression. Et j’ai l’impression que ces personnages touchent les gens parce qu’ils représentent ce dont ils souffrent, la blessure que tout le monde a en soi.

Mais actuellement je me demande si j’ai besoin que tous les personnages soient des écorchés vifs pour parler. J’émane d’une culture où l’on s’identifie beaucoup aux victimes, et je réfléchis en ce moment sur le pouvoir tyrannique des victimes. Maintenant, j’ai envie de me servir de l’oppression ou de la violence comme déclencheurs d’actions qui vont révéler plus l’agresseur que la victime."...

"Mais qu’est-ce que vivre sinon passer son existence à apprendre des rôles ! Je crois que le seul rôle qu’on n’apprend pas c’est celui de mourir. Et tous ces rôles constituent en fait des cages qui donnent envie de fuir. Si j’écris, c’est probablement parce que la vie ne m’intéresse pas telle qu’elle est. Et je pense que le théâtre doit être porteur de poésie comme de liberté. Mes personnages sont marginaux, idéalistes et mythomanes parce qu’au fond, ils sont purs. Et j’espère que leurs rêves, ou la double réalité de leurs fantasmes, offrent une ouverture." Ouverture sur un ailleurs rêvé et sur la création, car ces entrelacements prismatiques du réel et de l’imaginaire transmettent une forme de connaissance artistique. "Je crois à l’art pour tout le monde, parce que c’est certainement le plus grand élément de paix au monde. Plus une société est évoluée, plus les arts le sont. Présentement nous avons besoin de valeurs élevées, le matériel et le dieu argent ce n’est pas tout. Et ce n’est pas l’humour, le cynisme et la dérision qui vont nous sauver, mais c’est l’art, avec un grand A. Parce que l’art nous initie à des zones inconnues de nous-mêmes et de la vie. Je prône de grandes valeurs, je ne m’en suis jamais caché : je crois encore à la noblesse des sentiments et à la franchise, même si elle est parfois plus dure que l’on pense. Si je renonce à ces valeurs, je vais me mettre dans le rang des aboyeurs. Les aboyeurs sont présentement nos pires ennemis. Il y a tellement de chiens qui jappent que j’ai l’impression que je viens d’une société de jappeux. C’est tellement facile de se plaindre, de dire "c’est la faute de tout de monde, de l’autre génération, tout est pourri". Je ne comprends pas que ce courant ne soit pas dénoncé intellectuellement. Ce discours dominant sur la victime nous ramollit le cerveau. On a besoin de valeurs constructives actuellement. Et c’est peut-être la raison pour laquelle Les Muses orphelines ont eu un tel succès cette année parce qu’Isabelle ne se suicide pas et décide plutôt de changer l’ordre des choses, elle dit : "moi je vais aller enfanter un monde meilleur"."

Entretien réalisé par Marie-Christine Lesage
Nuit Blanche n° 61 - automne 1995

Pourquoi une version pour la scène française ?

Dès qu’a été évoquée cette expérience qui allait être tentée de traduire en français de France deux pièces de théâtre écrites en français du Québec, il y a eu, de ce côté-ci de l’Atlantique, explosion de réactions. Cela allait de l’incompréhension la plus ébahie (pourquoi traduire du français en français !), à l’hargneuse dénonciation du sacrilège (on ne va pas priver nos oreilles de ce parler si pittoresque qui réjouit tant nos cœurs français) en passant par la perplexité la plus vague (sera-ce un aménagement, une trahison, une traduction, une version pour la scène française, un passage, un mélange, une macédoine de saveurs culturelles franco-québécoises !). De l’autre côté de l’Atlantique, c’étaient accusations de centralismes, de néo-colonialisme, de refus des différences.

La première fois que Michel-Marc Bouchard m’a suggéré de traduire l’un de ses textes dans ma langue, j’ai été saisie par un étonnement du même genre. Il me semblait jusque là que j’entendais à peu près bien le québécois, dans son ensemble. J’aurais pu affirmer que le québécois était une langue prise dans le même tissu que la nôtre, qu’elle était comme une arrière-petite-cousine de la nôtre sentant bon le terroir et tintant de l’écho d’un parler perdu, qu’elle résonnait comme survivance archéologique de celle que nos aïeux se mettaient en bouche. Et que traduire du québécois dans notre langue, c’était prouver justement notre incompétence nationale à entendre un "autre" français que le nôtre.

Malgré ce cousinage, cette appartenance à la famille francophone, qui devait privilégier la communication théâtrale entre nos deux terres, je n’avais vu, en France, qu’un nombre misérable de pièces québécoises. Des pièces en somme jouées par des Québécois. Des textes dits par des Québécois. Et j’ai réalisé alors que cette similitude apparente de langues n’était pas du tout un privilège mais un handicap formidable pour la diffusion de ce théâtre-là en France.

Quoi de plus ridicule en effet qu’un acteur français s’essayant au phrasé montréalais ? Il y a bien eu des tentatives d’aménagement des textes. Mais quoi de plus appauvrissant que de toucher sans avoir l’air d’y toucher aux québéquismes ? Quoi de plus méprisable que de rectifier mine de rien ce qui, quand même, chez nous, aurait du mal à passer ? De raboter ici ou là cette langue charnue, métissée, cette langue de laboureurs, dont la musique nous enchante, mais dont le sens profond nous échappe ? De "franciser" en un mot cette langue qui, issue du même tronc que la nôtre, n’en a pas moins évolué à notre insu ?

Aménager, c’est ruiner en douceur une langue. Traduire, c’est toucher violemment à ce qui la fonde, mais tenter de trouver, dit autrement, une même évidence. Ce qui est dit doit être entendu par d’autres oreilles, et ce ne le sera que si on débarasse ces oreilles - pour ce qui est de la parole théâtrale québécoise - de cette nostalgie un peu mièvre que nous avons ici d’un langage archaïque et bon enfant qui nous encroûte les tympans, et nous masque le sens réel des choses.

La lecture des Muses orphelines, dans l’original, m’avait livré une comédie gentiment cruelle. Quand je me suis attaquée au vrai travail de défrichement du texte, j’ai découvert, sous l’apparente bonhomie, un drame sans fond, une tragédie traversée de violences insoupçonnées.

Derrière cette nostalgie douteuse que nous éprouvons de notre parler d’antan, derrière cet attachement forcené à cette musique d’un autre monde, mais surtout d’un autre temps, n’y aurait-il pas précisément l’idée absolument honteuse que ce français du Québec serait un peu comme une sous-langue de la nôtre, la nôtre s’érigeant de fait en langue mère ?

La meilleure façon de le reconnaître pour ce qu’il est, c’est-à-dire, non pas un français "régional", un sympathique patois d’outre-Atlantique, mais une langue à part entière, c’est peut-être d’accepter que soit fait ce "passage" radical, et douloureux je le conçois, car la traduction implique inévitablement des pertes. C’est à cette condition également que le théâtre quebécois sera joué, connu, divulgué, en France. L’expérience tentée l’année dernière doit se renouveler, sortir du laboratoire et des éprouvettes. Il est vrai qu’un tel travail de passage n’est pas sans risque. Car il est évident que cette langue qu’on écrit là-bas ressemble tout de même à s’y méprendre à celle qu’on écrit ici et que contrairement à toute autre langue étrangère, les repères, les analogies, les affinités y sont comme autant de miroirs et autant de pièges. Et pourtant, ce qui la singularise tant de la nôtre n’est pas qu’affaire de vocabulaire, d’expressions, d’anglicismes, de couleurs et de référents culturels mais bien affaire de syntaxe. De structure. D’ossature.

L’aventure était périlleuse, difficile. Elle exigeait de part et d’autre - de la part de Michel-Marc Bouchard aussi bien que de la mienne - une soumission réciproque : lui devant accepter la pénétration d’une écriture nouvelle au sein de la sienne. Moi, devant m’assujettir à un langage déjà constitué, à une manière de dire. Au bout du compte, il fallait que d’une matière linguistique autre se dégage la même évidence textuelle, la même parole de théâtre.

Le débat sur le "passage" du français du Québec en français de France, normalisation inacceptable pour certains, ne sera jamais clos. Il est vrai que l’effort qui est fait là-bas d’un bilinguisme franco-québécois reste unilatéral. Mais le théâtre qui s’écrit aujourd’hui au Québec ne doit pas souffrir de cet état de fait, déplorable je le conçois, et rester confiné dans cet exotisme où on a cru bon de l’enterrer.

Noëlle Renaude
Journal de la SACD n° 9 – 1993

 

Les Muses orphelines : version québecoise

ISABELLE (refermant le dictionnaire) : T'as jamais été bonne aux cennes. T'as l'don de montrer ton jeu un peu trop vite. C'est pas en une nuitte que t'as le temps de te racheter.

CATHERINE : J't'aime !

ISABELLE : Tas eu ben des années pour le montrer. Mais à place, tu m'as traitée de toué noms, tu m'as interdit de faire ce que je voulais, tu m'as jamais donné une cenne pis du moment que j'en ai eu, tu m'as chargé pension. T'as jamais aidé "ta fille" à s'comporter comme une femme, pis quand a l'essayait, tu riais d'elle. Faut-tu que j'te rappelle, v'là deux mois et demi, le soir oùsque t'as envoyé ton ancien chum police, le sergent Claveau, après moi ?

CATHERINE : Un trucker ! Tu te rendais pas compte du danger.

ISABELLE : Que ça soye un trucker ou ben un docteur, j'vois pas oùsqu'y est le danger quand t'as du plaisir avec lui... J'ai eu du fun avec mon trucker pis ta police est peut-être arrivée trop tard.

CATHERINE : C'est mon devoir de te protéger.

ISABELLE : Demain, tu vas avoir des comptes à rendre à meman.

CATHERINE (après un moment) : C'est quoi l'adresse à Montréal que Léandre veut te donner ?

ISABELLE : Y avait pas d'affaire à te parler de ça, lui !

Les Muses Orphelines Editions Léméac 1989

Les Muses Orphelines : version française

ISABELLE (refermant le dictionnaire) : Tu n'as jamais été douée au poker. Tu abats ton jeu trop tôt. Ce n'est pas en une nuit que tu auras le temps de te racheter.

CATHERINE : Je t'aime.

ISABELLE : Tout ce temps que tu as eu pour me le montrer ! Et quoi ? Tu m'as traitée de tous les noms, tu m'as empêchée de faire ce que je voulais, tu ne m'as jamais donné un sou et dès que j'en ai gagné, tu m'as tout pris. "Ta fille", jamais tu ne l'as aidée à se comporter comme une femme, et même, quand elle faisait des efforts, ça te faisait rire. Tu veux que je te rappelle, voilà deux mois et demi, le soir où tu as envoyé ton ancien copain flic, le sergent Claveau, à mes trousses ?

CATHERINE : Un routier ! Tu ne te rendais pas compte du danger !

ISABELLE : Un camionneur ou un docteur, je vois mal où est le danger quand ça te donne du plaisir...Et j'en ai eu du plaisir avec mon camionneur, et ton flic, peut-être bien qu'il est arrivé trop tard.

CATHERINE : C'est mon devoir de te protéger.

ISABELLE : Demain, tu auras des comptes à rendre à maman.

CATHERINE : Qu'est-ce que c'est que cette adresse à Montréal que Léandre veut te donner ?

ISABELLE : Il avait besoin de te parler de ça, celui-là !

Les Muses Orphelines version pour la scène française
de Noëlle Renaude, Editions Théâtrales 1994

Michel Tremblay, lors de la remise du Prix Victor Morin

... "La culture d’un pays doit être une mosaïque de toutes les facettes de son peuple et non pas l’unique face de son élite. Et un artiste a le droit de choisir la parcelle de son pays qu’il veut décrire...

La culture d’un pays est faite de gestes audacieux, de gestes courageux et non pas de courbettes et de ronds de jambes.

La culture de mon pays ce n’est pas ceux qui se sont agenouillés pour murmurer des prières ou des flatteries à une Mère Patrie inattentive et parfois méprisante, mais ceux qui ont osé se lever et qui l’osent encore pour dire, crier, hurler, danser, giguer, turluter, chanter au monde entier que nous sommes sans complexe.

La culture de mon pays, c’est les grands cris d’amour et les sages avertissements de Vigneault.

La culture de mon pays, c’est les paysages d’hiver de Lemieux, le rire dévastateur de Deschamps, la flamme au fond de la gorge de Pauline.

La culture de mon pays, c’est les sparages intersidéraux de Charlebois, les hululements magiques de Raoul Duguay, la poésie simple de Beau Dommage, les prouesses vocales de Louise Forestier autant que celles de Pierrette Alarié.

La culture de mon pays, c’est les mots nouveaux de Michel Garneau, le verbe pulvérisateur de Gauvreau, la verve de Jean-Claude Germain, l’intelligence parfois stupéfiante des mises en scène de Brassard, les hantises hallucinantes de Marie-Claire Blais, de Rejean Ducharme, de Victor Levy Beaulieu.

La culture de mon pays, c’est Florentine Lacasse, Menaud, la mère Plouffe, Phonsine, Angelina, Desmarais, c’est Tit Coq’, c’est Florence, Virginie, Médée et Joseph, c’est l’oncle Antoine de Jutra et la Bernadette de Carle, la dénonciation de Denys Arcand et celle de Michel Brault et celle de Michelle Lalonde, la recherche formelle de Nicole Brossard, les rêves de Nelligan ; c’est la Blanche Belle-feuille de Denyse Filliatrault, le Duplessis de Jean Duceppe, le Joseph de Gilles Pelletier, la Marguerite de Denise Pelletier, c’est les audaces de Jordi Bonnet et de Vaillancourt.

Mais la culture de mon pays, c’est aussi ma tante Marie-Blanche et sa statue grandeur nature de Jeanne d’Arc, les lampions électriques de ma tante Robertine, ma mère mangeant ses six épis de blés d’Inde, ma cousine Hélène qui se révolte vingt ans avant tout le monde et qui en subit les conséquences. La culture de mon pays vient de se lever et le monde entier prête l’oreille. Surtout la Mère Patrie. Avez-vous remarqué comme la Mère Patrie se montre plus attentive et moins méprisante depuis qu’on a décidé de lui montrer vraiment qui nous sommes ? C’est tellement extraordinaire de vivre dans un pays où on peut enfin saluer une des plus grandes cultures du monde en restant debout.

Le Devoir, 14 décembre 1974

Quatre dates qui font l’histoire du théâtre québécois

1862 - Louis Fréchette, jeune auteur de 23 ans, présente "Félix Poutré", l'aventure d'abord dramatique, puis complètement loufoque, d'un jeune patriote durant la rébellion de 1837-38. Pour échapper à la pendaison, Félix Poutré simule la folie et finit par recouvrer sa liberté. C'est l'histoire d'un petit Canadien, qui tente de briser la domination anglaise, mais qui, en fin de compte préfère jouer au fou, plutôt que de risquer sa peau. La pièce connut un immense succès populaire bien que sa valeur historique ait été vivement contestée. Elle fut reprise tant et plus par des groupes d'amateurs. Elle représente le point de départ d'un mouvement de création qui s'appellera, un siècle plus tard, le théâtre québécois. Pour le moment, les francophones s'appellent "les Canadiens" et ils nomment les anglophones "les Anglais". Et un fils de paysan fait son entrée en scène.

1948 - Création de "Tit-Coq" de Gratien Gélinas. Un fils illégitime, pauvre et peu instruit, est amoureux d'une jeune fille avec qui il rêve de fonder un foyer. Appelé à servir outre-mer dans une guerre où l'ont entraîné les Anglais, il reviendra pour trouver sa fiancée mariée à un autre. Révolté, il voudra la convaincre de laisser son mari et de le suivre, mais finira par tout abandonner sous l'influence du "padre" et des pressions sociales. Car il ne pourrait supporter que ses enfants deviennent, comme lui, des bâtards. Tit-Coq sortira brisé de l'aventure. Son amour pour Marie-Ange ne pouvait triompher à la fois de la guerre des "Canadiens anglais" et des mœurs des "Canadiens français" "Tit-Coq" deviendra le premier grand succès, au théâtre professionnel, d'une pièce écrite par un "Canadien français". Ce sera l'entrée en scène du réalisme urbain.

1957 - On présente à la télévision de Radio-Canada "Un Simple Soldat" de Marcel Dubé. Joseph Latour, engagé volontaire dans une guerre mondiale où il n'ira même pas combattre, se trouve complètement désœuvré à l’armistice. Après diverses tentatives ratées pour se trouver du travail et s’intégrer à une société peu accueillante, ce mal-aimé et mal aimant cherchera l'aventure dans une autre guerre. Il trouvera la mort quelque part en Corée.

La pièce fut reprise plusieurs fois au théâtre et une fois à la télévision d'Etat. Elle consacra le talent de Marcel Dubé dont l'œuvre dramatique abondante a marqué profondément le Québec des années 50 et 60. "Un simple soldat" a ouvert la voie au courant socio-politique du théâtre québécois. La similitude des thèmes de ces trois pièces est frappante : il y a le soldat, l'armée, l'Anglais dominateur ; il y a la difficulté de vivre dans un contexte imposé et non choisi. Il y a aussi la révolte infructueuse contre des forces oppressives : tantôt la guerre, tantôt la religion, tantôt la famille. Il y a en plus, à des degrés divers, la destruction du "héros", soit par sa propre mort, soit par la mort de ses rêves.

Enfin, ces pièces se situent dans des univers fortement dominés par des hommes ; les femmes en sont absentes ou réduites aux rôles traditionnels que la société leur prescrit. Sans vouloir ramener le théâtre québécois d'avant les années 60 à ces trois moments, il convient d'en retenir l'importance historique et la concordance thématique.

1968 - Création des "Belles Sœurs" de Michel Tremblay. Écrite en 1965, refusée en 1966, à l'unanimité du jury, par le Dominion Drama-Festival, cette pièce devint l'événement théâtral des années 60. Elle suscita immédiatement de violentes controverses dont l'élément majeur fut l'utilisation du "joual", cette façon de s'exprimer répandue principalement dans la région montréalaise.

Mais la querelle du joual ne pouvait à elle seule justifier les réactions extrêmement vives suscitées par la pièce. Au-delà du langage, il y avait toute une thématique nouvelle qui a pris le public au dépourvu. D'abord la scène était laissée aux femmes.

Elles qu'on avait toujours glorifiées comme épouses et comme mères, mais écartées de la vie officielle, prenaient le plateau et s'affirmaient brutalement, sans complaisance, dans des attitudes et des situations qui n'avaient jamais eu droit à la scène. Il y avait aussi l'apparition d'un certain prolétariat habituellement caché, et l'étalage brutal de ses misères. Il y avait surtout ce regard implacable sur une société sans horizon : regard juste et efficace qui n’empêcha pas bien des gens de dire que rien de cela n'existait dans la réalité !

Par ailleurs d'autres thèmes, (le soldat, la guerre, l'Anglais dominateur...) disparaissent. Les causes des misères sociales ne sont pas attribuées à d'autres. "Les Belles-Sœurs" se retrouvent face à elles-mêmes comme les Québécois le sont, de plus en plus, depuis les débuts de la révolution tranquille en 1960. Certaines on le désir de "s'en sortir" mais comme groupe elles n'arrivent qu'à s'entredéchirer.

Gilles Marsolais

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Spectacle terminé depuis le samedi 5 février 2000

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