Manfred

Paris 2e
du 9 au 15 décembre 2013
1h20

Manfred

Georges Lavaudant et Emmanuel Krivine vous invitent à plonger dans les tourments de l’âme romantique par excellence : l’orgueilleux Manfred, poème dramatique de Lord Byron mis en musique par Robert Schumann. Spectacle en allemand et français surtitré.

Spectacle en allemand et français surtitré.

  • Poème dramatique

Pour la génération romantique, la poésie s’incarnait en Lord Byron qui avait fait de sa vie la substance de son œuvre. Au terme d’une carrière hantée par le désir d’opéra, Robert Schumann aborda Manfred pendant son ultime époque créatrice, donnant libre cours à sa fascination pour les abîmes, six ans avant son internement. En proie à ses démons, l’orgueilleux Manfred se repaît de ses souffrances tout en invoquant l’oubli de ses péchés.

Contemporaine de l’opéra Genoveva, la partition rejette tout pragmatisme scénique afin de mieux explorer les possibles de l’expression musicale conjuguée à la déclamation : comparable au Lélio de Berlioz, elle est réputée irreprésentable. Schumann en accepta la création sous la baguette et dans une mise en scène de Franz Liszt à Weimar mais ne put y assister, terrassé par ses propres hallucinations. En 1979, Carmelo Bene en signa une adaptation scénique à la Scala de Milan. Georges Lavaudant et Emmanuel Krivine partent de cette version pour nous inviter à plonger dans les tourments de l’âme romantique.

Poème dramatique en trois parties de Lord Byron, avec musique.
Créé au Hoftheater de Weimar le 13 juin 1852. D’après la version de Carmelo Bene créée au Teatro alla Scala le 6 mai 1978.

Avec le choeur Les éléments.
Avec La Chambre Philarmonique. Direction musicale : Emmanuel Krivine.

  • En savoir plus

Moins connue de nous que celles de Don Juan et de Faust, la figure de Manfred, qui naît et meurt avec le romantisme, est prégnante dans les arts du XIXe siècle.

Son auteur, mieux identifiable que pour ces deux autres mythes modernes, a de son vivant la réputation de se peindre dans ses créations. Lord Byron a 29 ans lorsque paraît Manfred en 1817. Dans l’Europe de la culture, la célébrité de sa poésie n’égale que sa sulfureuse réputation. Sa jeune épouse ne vient-elle pas de le quitter, laissant planer de lourds soupçons de violence conjugale, d’actes de démence et de pratiques incestueuses ?

Réfugié en Suisse, Byron y est poursuivi par ses admirateurs et des femmes éperdues d’amour. Il trouve du réconfort dans le spectacle de la nature et dans ses discutions avec deux autres écrivains également en rupture de ban : le poète Percey Shelley et sa future femme Mary. Celle-ci, sur la suggestion de Byron, conçoit alors un personnage littéraire qui va envoûter le XXe siècle : Frankenstein ou le Prométhée moderne. Né durant le même été 1816, dans les mêmes montagnes de l’Oberland bernois, de qui Manfred, figure prométhéenne affrontant la puissance divine, est-il le frère ? Du Docteur Frankenstein dont il a le pouvoir de commander à la nature ? Ou de sa créature monstrueuse dont il partage la misanthropie et la solitude ?

Annonçant le fameux Voyageur contemplant une mer de nuages que Caspar David Friedrich peint l’année suivante, Manfred donne en 1817 son verbe poétique à l’âme romantique. Si Shakespeare et Goethe y font sentir leur influence, le héros éponyme se bat essentiellement contre lui-même, ce qui rend le drame irreprésentable – Byron l’a d’ailleurs composé « avec une véritable horreur du théâtre et afin de le rendre injouable ». Sa forme pourtant théâtrale et versifiée s’émancipe des genres littéraires en vigueur par le déploiement de ses trois actes dans huit lieux différents, par son absence d’action au profit de discours radicaux, livrés par des locuteurs invisibles, des créatures imaginaires et des allégories. L’œuvre est vite traduite en français – langue culturelle en Europe – par Amédée Pichot et elle inspire immédiatement les poètes, comme Lamartine âgé de 27 ans ou le jeune Hugo de 15 ans, pour ne citer que des Français.

En 1824, sa mort prématurée au côté des Grecs insurgés contre la domination turque fait de ce poète voyageur et engagé un héros supranational. Ses créations offrent le moyen de décliner dans tous les arts un propos sur la place de l’homme moderne dans le monde. Vont s’en inspirer des générations de peintres – dont Toulouse-Lautrec, Delacroix et Turner – et de musiciens, à commencer par Hector Berlioz en 1834 avec sa symphonie Harold en Italie.

Le premier compositeur à s’emparer de Manfred est Robert Schumann, âgé de 14 ans à la mort du poète. Anglophile comme toute sa génération, il aime d’autant plus Byron que son père, si crucial dans l’éveil de sa vocation et qui meurt quelques mois plus tard, a traduit plusieurs ouvrages du poète. Manfred est son livre de chevet depuis l’adolescence lorsque Schumann décide à 38 ans, surmontant l’échec de son unique opéra Genoveva, de composer sur ce poème un théâtre de l’imaginaire, à l’image du Lelio (1832) de Berlioz, dont leur ami commun Franz Liszt va bientôt commander une révision pour son théâtre de Weimar (1855). Les trois musiciens ont en ce milieu de siècle une même ambition : le développement d’une musique instrumentale expressive qui puisse rivaliser avec le verbe poétique.

Contrairement à Faust dont la postérité musicale est abondante, peu d’autres Manfred verront le jour. Balakirev échoue à y intéresser le vieux Berlioz en 1868 : « On ne saurait refuser toutes ses sympathies à un héros de cette trempe » insiste-t-il, comme si Berlioz pouvait aborder Manfred après avoir écrit La Damnation de Faust. Balakirev convaincra Tchaïkovski dont la Manfred-Symphonie, opus 58, sera créée en 1885 à Moscou.

L’opus 115 de Schumann est écrit principalement en 1848, dans une période de grave dépression mais de pleine possession de ses moyens créatifs. « Je ne me suis jamais encore donné à une composition avec tant d’amour, jamais je n’ai dépensé autant de forces que pour Manfred » confie-t-il à Wasielewski, ayant interrompu pour elle… ses Scènes du Faust de Goethe.

La culpabilité du héros à l’égard de sa sœur Astarté, inspirée par l’amour de Byron pour sa demi-sœur Augusta Leigh, permet au musicien d’exprimer ses propres angoisses et regrets à l’égard de sa sœur peut-être, ou encore de sa mère, ou plus probablement de Clara, sa jeune épouse au génie tôt étouffé. Cette dernière confie d’ailleurs à son journal : « Me revient la mélodie de Manfred qui, enfouie dans mon cœur, me harcèle souvent, plus que tout autre mélodie ! ». La détermination de Manfred à mourir consumé par sa pensée, comme le poète par sa création, soutient aussi le compositeur toujours plus à l’écoute de ses voix intérieures.

Schumann travaille d’après une traduction de 1839 signée Carl Adolf Suckow. Il retranche deux tiers des vers (975 sur 1336), intervertit ou concentre certaines scènes, ré-agence certains rôles vocaux, ajoute un chœur final, tout en respectant au maximum l’intégrité des vers et du propos général. Véritable appropriation, son remaniement doit, dans son esprit, favoriser une représentation scénique mais d’une forme nouvelle, non opératique.

Dénommé sobrement « poème dramatique en trois parties » (Dramatisches Gedicht in drei Abtheitungen), Manfred implique un récitant (Manfred), des interventions solistes parlées, un chœur dans différents rôles collectifs et un orchestre. Ses seize numéros de musique comptent une ouverture développée qui fonctionne comme un condensé de la pièce, un entracte symphonique, des airs, des chœurs et, entrecoupant des passages de pure déclamation, des mélodrames de dimensions diverses.

Le mélodrame, qui consiste à déclamer sur un support musical, est typique du théâtre lyrique allemand depuis le milieu du XVIIIe siècle. Il est né avec Benda et s’est développé avec Mozart (dans Zaïde), Beethoven et Weber (le rôle de Samiel dans Le Freischütz). Son succès est tel qu’à l’époque romantique, certains acteurs allemands sont plébiscités pour interpréter les grands rôles lyriques, du Papageno de Schikaneder à la Leonore de Schöder-Devrient.

Très satisfait de son Manfred, Schumann dirige la création de l’ouverture à Leipzig le 14 février 1852, à l’occasion d’un festival dévolu à son œuvre. C’est Liszt qui, en son théâtre de Weimar, dirige la création scénique intégrale quelques mois plus tard, le 13 juin 1852. La partition, dont le manuscrit lui est alors offert, doit sceller leur amitié. Si Schumann veille de loin à la réalisation, faisant imprimer le livret pour le public et insistant pour « faire comprendre à l’acteur de Weimar la signification de sa haute tâche », il doit renoncer à assister au spectacle, terrassé par sa dépression au cours du voyage entrepris avec Clara.

En France, l’œuvre est créée dans une traduction française de Victor Wilder au Concerts Colonne le 13 mars 1886, avec dans le rôle-titre le génial Mounet-Sully de la Comédie-Française, qui l’interprètera régulièrement jusqu’en 1909. Si elle reste un ovni dans la production lyrique occidentale, on peut cependant détecter son influence, voisine à celle de Berlioz, dans quelques œuvres rares dont le Guercoeur de Magnard, achevé en 1900.

Manfred est donné pour la première fois en 2013 à l’Opéra Comique. Emmanuel Krivine dirige la version intégrale de la partition et Georges Lavaudant s’inspire pour sa mise en scène du parti pris adopté par Carmelo Bene à la Scala de Milan en 1978. Un unique comédien prend en charge le rôle-titre ainsi que les figures secondaires, assumant ainsi la volonté schumanienne de créer un théâtre de l’âme.

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Spectacle terminé depuis le dimanche 15 décembre 2013

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