Mariage

Le jour de leur mariage, un homme et une femme préparent leur divorce. La femme est française. L’homme, non. Lorsqu’elle lui demande de s’exprimer dans sa langue, l’homme prononce quelques phrases en arabe. Ils viennent de contracter un mariage blanc qui lui permettra de devenir français…

Le jour de leur mariage, un homme et une femme préparent leur séparation. La femme est française. L’homme, non. Lorsqu’elle lui demandera de s’exprimer dans sa langue maternelle, l’homme prononcera quelques phrases en arabe. Ils viennent de contracter un mariage blanc qui lui permettra de devenir français. La femme a peu de temps à consacrer à l’homme. Elle lui propose, lui impose un autre contrat.

Dans un an - c’est la loi - ils seront convoqués par le juge chargé de constater la réalité de leur union. Pour préparer cette rencontre, ils se verront une fois par mois. Ils inventeront l’intimité qu’ils ne partagent pas. Ils ne se verront jamais en dehors de ces séances soigneusement programmées.

Un an pour se préparer, un an pour se séparer, douze rencontres, douze journées pour créer à partir de rien la vie d’un couple qui n’existe pas, qui n’existera jamais. Douze rendez-vous, douze variations sur le thème imposé de la vie commune. J’ai demandé à Anne Alvaro et à Agoumi d’interpréter cette femme et cet homme. En avril 2001, Anne jouait dans Le Prince de Machiavel, et David Lescot, sur scène, improvisait à la trompette. Entre les représentations du Prince, David écrivait Mariage. Il m’en confiait régulièrement les scènes nouvellement écrites, avant les représentations, et à mon tour, après le spectacle, je les confiais à Anne. C’est ainsi que s’est écrit et transmis Mariage.

Agoumi fut un spectateur particulier du Prince. Nous avions travaillé ensemble dans les spectacles Le collier des ruses et Identités d’Ahmed Essyad.

La femme, dans Mariage, donne le programme. Des courtes séquences forment la trame de la première partie de la pièce. Danger dehors, danger dedans. Si loin et si près l’un de l’autre, seuls ensemble, l’homme et la femme creusent le mensonge, argumentent le faux-semblant, visent le sans faute. Ils répètent. Et puis Mariage bascule. La trame se défait. Si soigneusement réglée, la situation implose.

Je n’esquiverai pas, dans Mariage, la question politique. Ce mariage-là est bien un mariage de résistance, de désobéissance civile et de contournement des lois sur la nationalité.

L’homme parle arabe ? Soit. Sur lui, on n’en saura pas plus. Ce ne serait d’ailleurs peut-être pas très utile. Il appartient, cela suffit, à cet ailleurs, à cette "Non-Europe" massive, indistincte et menaçante contre laquelle l’Eldorado des droits de l’Homme et du travail pour tous érige le rempart de ses frontières et de ses lois. La question dans Mariage est à la fois une question de territoire et une épreuve intérieure. Le politique est au cœur de l’intime.

Je suis entrée, avec Mariage, dans un univers fantastique où l’imaginaire n’a que faire du réel, sinon pour le dessiner à même le décor ou pour le révéler au spectateur et le renvoyer à sa propre expérience, à ce qu’il connaît du réel et qui ne vaut que pour lui seul.
Nous sommes dans l’appartement de la femme et nous sommes ailleurs.

Nous sommes au plus près et au plus loin, avec les alliances et conflits de deux personnes, et avec ceux du monde. Qu’est-ce que le fantastique pour moi ? L’impossibilité de séparer le conscient de l’inconscient, l’irruption du merveilleux et de l’irrationnel derrière la porte de l’appartement. Nous y sommes. Tout cela est aussi dans le texte de Mariage. Comme tous les textes de théâtre, il est écrit dans une langue étrangère au réel. On verra l’appartement et la dislocation des continents.

Il existe, dans le Golfe arabique, une légende qui raconte l’origine du chant des pêcheurs de perles, ces marins misérables qu’Albert Londres appelait, les forçats de la mer. J’avais inclus ce chant des pêcheurs de perles, musique âpre et savante, lors de ma mise en scène de la pièce de l’auteur qatarien Hamad Al-Rumeihi, La Chanson du bonheur et du malheur, avec des comédiens qatariens et du Moyen-Orient.

Je suis, depuis, retournée plusieurs fois au Qatar, dans cette communauté artistique si profondément élégante et amicale. J’ai décidé d’inviter le chanteur Nahham Mansour Boussabar à prendre part à la création. J’ai retrouvé dans sa voix la bouleversante scansion du travail de la mer, l’écorchure du sel et du sable, l’effort du départ et celui plus grand encore du retour. On entendra dans Mariage ce son doublement étranger, par la distance et par son origine supra-humaine. Ce sera une vibration, une note d’altérité pure. Ce sera un chant, juste un chant, présent au plus loin de nous.

Anne Torrès novembre 2002

Mariage, douze séquences :
Un plan
Manger
Nos souvenirs
Nos deux corps
Ta langue
Dors
L’équilibre des forces
Il faudrait que tu laisses une trace
L’un et l’autre seuls
Guéris-moi
Dehors
Rajoutons du vide

" Les gens sont comme des images sur une feuille. Quand on en déplie une partie, on en replie une autre. " Ibn al-Mouktazz (poète né à Bagdad 861-908)

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Informations pratiques

L'Azimut - Théâtre F. Gémier / P. Devedjian

13, rue Maurice Labrousse 92160 Antony

  • RER : Antony à 191 m
  • Bus : Théâtre - Mairie à 123 m, Gare d'Antony à 157 m, Antony RER à 206 m
  • Voiture : par la N20. Après la Croix de Berny suivre Antony centre puis le fléchage.
    15 min de la porte d’Orléans.
    Stationnement possible au parking Maurice Labrousse (gratuit à partir 18h30 et les dimanches), au parking du Marché (gratuit pendant 3h après validation du ticket de parking à la caisse du théâtre) et au parking de l’Hôtel de ville (gratuit pendant 1h15).

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L'Azimut - Théâtre F. Gémier / P. Devedjian
13, rue Maurice Labrousse 92160 Antony
Spectacle terminé depuis le vendredi 28 février 2003

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