Médée

Nanterre (92)
du 12 novembre au 13 décembre 2009
1h40

Médée

Jean-Louis Martinelli donne une nouvelle version de sa célèbre mise en scène "africaine" du texte de Max Rouquette, inspirée du Burkina Faso.

Médée, nouvelle version
Amour et vengeance
La presse
J’ai souvent rêvé…
Journal de voyage

  • Médée, nouvelle version

Lors d’un voyage au Burkina Faso en 2001, Jean-Louis Martinelli, saisi par l’évidente dimension tragique de l’Afrique, décide de mettre en scène le texte de Max Rouquette, lumineusement inspiré de la Médée d’Euripide. Il crée le spectacle en septembre 2003, au Théâtre Nanterre-Amandiers. Renato Quaglia, directeur du Festival de Naples, demande à Jean-Louis Martinelli de reprendre ce spectacle. Ce fut l’occasion de revisiter ce texte et d’en proposer une nouvelle version, plus brute que la précédente.

Médée et les femmes du choeur sont déplacées loin de la beauté sauvage de l’Afrique et transportées dans un lieu précaire à la périphérie d’une ville : campement provisoire, centre de rétention… ? Gilles Taschet proposera une scénographie qui s’inscrira dans l’atelier de construction du théâtre.

Magicienne d’origine royale, Médée est d’abord celle qui, par amour, accepte de tout quitter. Elle trahit les siens en aidant Jason à s’emparer de la Toison d’Or, puis s’enfuit avec lui. Ensemble, ils ont deux fils. Mais un jour, l’ambitieux Jason, oubliant ses serments et ce qu’il doit à Médée, décide d’épouser Creüse, la fille du roi Créon. Femme bafouée, extrême dans son désir de vengeance comme elle l’a été par amour, Médée ira jusqu’au bout, jusqu’au pire, jusqu’à l’impensable pour punir le parjure.

En 2001, lors d’un voyage au Burkina Faso, Jean-Louis Martinelli, saisi par l’évidente dimension tragique de l’Afrique, conçoit l’idée d’aborder le texte de Max Rouquette, lumineusement inspiré de la Médée d’Euripide. Sur cette terre, magie, superstition et sacré font bon ménage avec le quotidien. Par ailleurs, les démocraties balbutiantes, la brutalité des guerres ethniques, les frontières fragiles donnent une violente résonance à cette tragédie de l’appartenance et de l’exil.

Dans ce paysage africain aux allures antiques, Médée attend le retour de Jason. Aux cris et aux exhortations de la fille du soleil répondent les chants composés par Ray Lema pour le chœur des femmes Bambaras. C’est là que le vaillant argonaute apprendra à la mère de ses enfants qu’il lui préfère le pouvoir et l’argent. Alors, Médée, l’exilée trahie, deviendra l’héroïne trop humaine d’un crime passionnel.

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  • La presse

« … La violente beauté de la protagoniste Odile Sankara donne à sa révolte sanglante la valeur et la force du refus d’un être capable de sacrifier ses enfants, pendant que dans cet espace ondulé et libre entre terre et ciel, le choeur noir donne parfois, dans des temps modulés, à entendre la musicalité splendide de sa langue pour chanter les psaumes de la vie et de la mort. » Franco Quadri, La Repubblica, 16 juin 2008

…en suivant la route qui, de la Boissière, descend sur Aniane, à un théâtre pour les gens de la contrée, simple et, peut-être, pas tellement onéreux. Il est déjà prêt : la terre, le ciel, les rochers, un ruisseau, l’ont dessiné. Nous n’aurions qu’à le faire théâtre. Il fait penser à ceux de la Grèce. Le ruisseau, sec l’été, entoure aux trois quarts, dans son cours sinueux, un relief qu’il serait vite fait d’aplanir et qui serait la scène. Pour les spectateurs, la pente de la colline, raide, qui encercle à demi le ruisseau courbe. On peut couper les chênes verts ; on peut disposer des dalles, les lauses, ici, ne manquent pas. Les gens s’assiéraient sur les pierres, les rochers, la terre, sur leurs vestes ou des coussins. Mais ce n’est peut-être qu’un beau songe.

Et la pièce ? La pièce serait à l’image de ce théâtre, dans son esprit, pierreux, brutal, dur, sans ornements, mais parfois avec l’ampleur du vent, de la chaleur, de l’air, du ciel, de la nuit ; et aurait pourtant les reflets et les significations de la vie, de ses tourments, des tempêtes, des songes et de la souffrance de tout homme, dans tous les temps.

Mais un rythme comme celui de Médée, il suffit qu’il soit à peine transposé, décapé de ses aspects d’antiquité et que, passé à notre époque, tout en conservant son éclat légendaire, il garde toujours son pouvoir dans l’âme populaire, pour pouvoir toucher directement l’esprit de notre peuple. D’autres l’ont fait ailleurs. Je le sais. Pour d’autres raisons qui ne sont pas les miennes.

Le chœur, je l’ai, lui aussi, détourné de son apparence grecque. En vérité, dans la société méridionale, le chœur antique est resté toujours vivant. Sur les placettes, à la gardette, devant le café, au bon de la nuit, le groupe des vieilles femmes est bien là pour commenter tout événement et le charger de cet écho que le peuple assemblé ajoute à toute chose personnelle.

Le maintenir, mais par fragments, de trois ou quatre personnes qui se répondent, ou qui nous donnent, sans se mêler, l’image de pensées différentes, cheminant de concert, sans s’entendre ni se comprendre.

Les vieilles, dans ce passage du mal, je les veux, comme est souvent, en vérité, l’opinion publique, quelque chose de malin, l’image de la vie lorsqu’elle en est venue à l’âge sans pitié, comme, et sans doute pourquoi, sans illusions. Avec seulement, par-ci, par là, un tendre souvenir, un espoir aussi étrange ici qu’une fleur d’amandier sur l’écorce noire d’un vieil arbre tordu, et mort plus qu’aux trois quarts ; l’espoir que donne en vain, l’enfance, dans l’innocence de sa fleur. C’est pourquoi je les vois avec des masques qui leur donneraient l’apparence de chouettes, hiboux, grands ducs, ou effraies, à la face blanchâtre, hurlant à la mort, et sans grande pitié au cœur ; miroirs, déjà de la mort triomphante et du mal.

Tout au log de la pièce, avant toute action, comme lorsqu’elle s’achève, les vieilles (quatre ou cinq), vêtues de noir, avec leurs écharpes moires qui allongeront leurs gesticulations ainsi que des ailes de corbeaux ou de chouettes, seront dressées, ici et là, à des hauteurs différentes, tournant très lentement, sans mot dire, d’abord, leurs faces blanches d’oiseaux de nuit, seul mouvement de leurs corps. On peut deviner, avant que s’élève toute parole, leur jacassement, leurs cris aigus, leurs battements d’ailes, comme font les pies qui se disputent sur la branche haute d’un arbre mort. Cris de pies ou de corneilles, animaux sans signification. Porter au plus haut l’apparence animale.

Réparties en deux couples de chaque côté de la mère du chœur, celle qui lancera, à voix rauque, la parole majeure, reprise et balancée et renvoyée d’un groupe à l’autre. Chaque couple aura sa voix, l’une aiguë, l’autre basse. Et la mère, au milieu.

Les mouvements de cette sorte de chœur serviront à animer la scène, dans les moments apaisés qui séparent les tensions. Au contraire, le chœur immobile, comme dit plus haut, et muet, aura pour but de souligner, par son silence et les lents mouvements des seuls visages, les points de grande tension.

Quant à la forme, j’ai repris, en dehors du dialogue d’échanges, ces psaumes que j'affectionnais déjà au temps d’« Occitania » et de « Terra d’Oc », ceux de David, de Job, d’Isaïe ou d’Ezéquiel et qui s’accordent si bien au génie de la langue. En vérité, tout psaume est fait pour être psalmodié. Je ne suis pas, hélas, musicien. J’ai écrit les versets. Peut-être qu’un jour ces « Psaumes de Médée » donneront à quelque jeune musicien l’idée de chercher, je veux dire de « trouver », la monodie qui, avec eux, s’accordera.

Ce serait l’accomplissement d’un effort, tenté en vain par tant, pour rejoindre les enchantements de cette tragédie grecque qui fascinait Nietzsche, et que Wagner entendit autrement ; ceux qui, dans les soirées vibrantes de la canicule, envoûtaient le peuple grec il y a deux ou trois mille ans.

Max Rouquette, Préface à Médée
Editions Espaces 34

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Je m’embarque donc pour Bobo-Dioulasso avec le texte de Médée de Max Rouquette que je viens de découvrir. Plusieurs points de concordance se font jour très rapidement entre cette tragédie et les acteurs de ce groupe. Tout d’abord qu’ils soient catholiques, musulmans, animistes, le lien au sacré est omniprésent et assez proche de qu’il pouvait être chez les grecs. Ici la présence des Dieux est réelle. Médée la magicienne peut être à l’image de la femme africaine dotée de dons et de pouvoir.

Les tragédies grecques adviennent en un temps et un lieu où s’invente la démocratie, passage donc d’un ordre politique ancien, archaïque à un nouvel ordre synonyme de modernité. Depuis un siècle l’Afrique vit un tel bouleversement, la démocratie se cherche et les différents pays doivent se défaire de nombreux tyrans et la vie des peuples est marquée de nombreux conflits ethniques. Ainsi en va-t-il par exemple du sort réservé à nombre de Burkinabés séjournant en Côte d’Ivoire, suite à la mise en avant du concept « d’ivoirité » par le gouvernement de Laurent Gbagbo. Bon nombre de Burkinabés sont animés d’un réel sentiment de vengeance du fait des violences subies par « leurs frères » et une spirale de vengeance est amorcée, et vécue comme juste nécessaire. La violence qui porte les actes de Médée est un sentiment palpable chez l’homme de la rue.

Enfin il semble qu’ici la parole du chœur, comme expression du voisinage ou de la cité ai encore un sens alors que dans nos sociétés occidentales, atomisées, ayant perdu le sens de la communauté et de la solidarité, sa représentation en soit devenue impossible.

Hier soir, je regarde un reportage de TV5 Afrique au sujet des affrontements de Bounia au Congo. Le reportage nous entraîne sur les traces des enfants-soldats, véritable plaie de la plupart des conflits armés africains. Un garçon d’une quinzaine d’années, Thomas, pose avec un fusil mitrailleur. Il est très souriant et parle un français très convenable. Le journaliste lui fait remarquer qu’il est encore un enfant et qu’il vaudrait mieux qu’il aille à l’école :

- « Non je ne suis plus un enfant. Je peux me servir d’un fusil. La semaine dernière, nous avons repoussé les lounsis, J’en ai tué cinq. Après, je veux aller à l’école ou en France pour étudier. »
- « Peut-être quand la paix sera revenue, tu pourras aller à l’école avec des jeunes avec lesquels tu te bats aujourd’hui. Eux aussi souhaitent vivre en paix. »
- « Jamais, s’exclame-t-il, même s’ils venaient à l’école avec nous, tu ne pourrais pas faire confiance, ils auraient des couteaux cachés et on pourrait se faire égorger ».

Ainsi, même si les conflits cessent du fait de la présence de troupes d’occupation ayant en charge de pacifier la région, tout laisse à penser que le germe de la méfiance et le désir de vengeance seront ancrés au plus profond du jeune Thomas et donc prêt à se ranimer à la première occasion.

La vengeance est ressentie comme une nécessité. Il en va de l’honneur de l’ethnie, comme s’il s’agissait d’actes ayant porté atteinte à l’honneur familial. Ainsi, en discutant avec Moussa, aussi bien qu’avec Abou, je mesure qu’ils sont prêts à un conflit avec les ivoiriens qui ont, me disent-t-ils tous deux « commis des atrocités contre nos frères burkinabés. D’ailleurs, notre armée est la plus forte ». Moussa se dit même prêt à repartir à l’armée s’il le fallait.

Ici à Bobo, je ne vois pas de traces du conflit en Côte d’Ivoire. Pourtant, j’apprends par Abou que sa famille est rentrée à Banfora, ville du Burkina, proche de la frontière. Amadou (Jason) a également reçu des cousins dans sa cour, et nombreux sont les « parents » ayant du revenir.

L’autre soir, Abou me montre deux 4 x 4 qui arrivent près de l’hôtel de nuit, de hommes en sortent. Abou m’indique que ce sont des mercenaires engagés par les rebelles de Bouaké ; Bobo-Dioulasso est d’ailleurs leur base d’approvisionnement dans laquelle ils opèrent de nuit.

La vengeance donc comme condition du rétablissement de l’honneur est sans aucun doute le sentiment premier qui relie Médée à une lecture africaine. Bien que l’acte que commet Médée soit profondément étranger à Justine, elle saisit viscéralement elle aussi ce désir de vengeance. La trahison est ici plus qu’ailleurs inexcusable, or Jason trahit son clan et immédiatement son attitude, sa fuite, son futur mariage avec Créuse font écho à la violence générée par la polygamie, contre laquelle les jeunes femmes s’insurgent. Ainsi la Médée abandonnée délaissée par Jason - l’opportuniste - préférant la couche de Créuse qui lui ouvre la route du paradis éveille-t-elle la compassion des femmes du chœur.

Plus les répétitions avancent et plus je m’imprègne de ce pays et plus je ressens le texte de Max Rouquette comme lié à la terre d’Afrique. Cette impression est certainement due au fait que la poésie de Rouquette s’appuie sur une observation de la nature. Ces textes sont pleins de senteurs des plantes, des mouvements des astres,… et ici le rapport à la nature est essentiel ; la survie des hommes en dépend (progression du Sahel, attente de la saison des pluies…).

Certes un grand nombre de personnes vit aujourd’hui dans des grandes villes que sont Ouagadougou et Bobo mais la plupart sont originaires de villages, villages d’agriculteurs et la langue de Rouquette est bel et bien celle des agriculteurs du Sud de la France, celle qu’enfant j’entendais de la bouche de ma grand-mère et que je qualifiais alors de patois. L’Occitan et ses images répondent au Dioula. Une langue plus archaïque que le français donc pour faire lien avec la Grèce Antique, et créer des images qui semblent avoir pris naissance en Afrique de l’ouest ou « Entouka » en parler comme ses filles.

Rouquette rêve d’une représentation dans un théâtre de plein air et « la pièce serait à l’image de ce théâtre, dans son esprit, pierreux brutal, dur, sans ornement mais parfois avec l’ampleur du vent, de la chaleur, de l’air, du ciel, de la nuit, et aurait pourtant les reflets et les significations de la vie, de ses tourments, des tempêtes, des songes et de la souffrance de tout homme, dans tous les temps ». Les paysages entre Ouagadougou et Bobo obéissent au souci de l’auteur.

Extrait du Journal de Voyage de Jean-Louis Martinelli, juin 2003

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Spectacle terminé depuis le dimanche 13 décembre 2009

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