Une Médée africaine
Note d'intention
Les Psaumes de Médée
En mêlant théâtre, musique et chants africains, Jean-Louis Martinelli choisit de mettre en scène la pièce de Max Rouquette, Médée avec une équipe d’acteurs du Burkina Faso. La tragédie grecque renoue, comme spectacle total, avec l’opéra qu’elle était en son temps. Pour mettre en musique le texte de Max Rouquette, il fallait quelqu’un qui puisse faire résonner la tragédie de ses échos lointains et l’inscrire à la fois dans le temps présent. Ray Lema est un des très rares musiciens actuels à être à l’aise aussi bien avec la musique classique européenne qu’avec les rythmes traditionnels africains. Son éclectisme, la richesse de son inspiration font de lui un passeur idéal dans l’aventure de cette Médée africaine.
Médée, fille d’origine royale et divine, Médée est habile magicienne. En échange d’une promesse de mariage, Médée, follement éprise, va à plusieurs reprises trahir les siens pour aider Jason dans sa quête de la Toison d’Or. Elle donne deux fils à Jason. Mais quand celui-ci, oubliant ses serments, décide d’épouser Créüse, la fille de Créon, pour satisfaire son ambition, Médée emploie tout son pouvoir à sa vengeance. Tous les crimes de Médée seront expliqués (excusés) par ce parjure.
C’est lors d’un voyage au Burkina-Faso que Jean-Louis Martinelli, saisi par l’évidente dimension tragique de
l’Afrique, conçoit l’idée d’aborer le texte de Max Rouquette, lumineusement inspiré de
la Médée d’Euripide. Sur cette terre, magie, superstition et sacré font bon
ménage avec le quotidien. Par ailleurs, les démocraties balbutiantes, la brut alité
des guerres ethniques, les frontières
fragiles donnent une violente résonance à cette tragédie de l’appartenance et
de l’exil. Dans ce paysage africain aux allures antiques, Médée attend le retour
de Jason. Aux cris et aux exhortations de la fille du soleil répondent les chants
composés par Ray Lema pour le chœur des femmes Bambaras. C’est là que le vaillant argonaute apprendra à la mère
de ses enfants qu’il lui préfère le pouvoir et l’argent. Alors, Médée, l’exilée trahie,
deviendra l’héroïne trop humaine d’un crime passionnel.
Jean-Louis Martinelli
(…) Mais un rythme comme celui de Médée, il suffit qu’il soit à peine transposé, décapé de ses aspects d’antiquité et que, passé à notre époque, tout en conservant son éclat légendaire, il garde toujours son pouvoir dans l’âme populaire, pour pouvoir toucher directement l’esprit de notre peuple. D’autres l’ont fait ailleurs. Je le sais. Pour d’autres raisons qui ne sont pas les miennes.
Le chœur, je l’ai, lui aussi, détourné de son apparence grecque. En vérité, dans la société méridionale, le chœur antique est resté toujours vivant. Sur les placettes, à la gardette, devant le café, au bon de la nuit, le groupe des vieilles femmes est bien là pour commenter tout événement et le charger de cet écho que le peuple assemblé ajoute à toute chose personnelle.
Le maintenir, mais par fragments, de trois ou quatre personnes qui se répondent, ou qui nous donnent, sans se
mêler, l’image de pensées différentes, cheminant de concert, sans s’entendre
ni se comprendre. (…)
En vérité, tout psaume est fait pour être psalmodié. Je ne suis pas, hélas, musicien.
Peut- être qu’un jour ces «Psaumes de Médée» donneront à quelque jeune musicien l’idée
de chercher, je veux dire de «trouver», la monodie qui, avec eux, s’accordera.
Ce serait l’accomplissement d’un effort, tenté en vain par tant et tant, pour rejoindre les enchantements de cette tragédie grecque qui fascinait Nietzsche, et que Wagner entendit autrement ; ceux qui, dans les soirées vibrantes de la canicule, envoûtaient le peuple grec il y a deux ou trois mille ans.
Max Rouquette
Préface à Médée Editions Espaces 34
30, quai de Rive Neuve 13007 Marseille