Un rendez-vous
Portrait de l’artiste à l’heure du suicide
Note pour la mise en scène
La presse
Minetti, l’acteur dans un hall d’hôtel de Ostende, pour un rendez-vous avec le directeur de Théâtre de Flensburg, pour jouer Lear, pour le bicentenaire du Théâtre de Flensburg, après trente deux ans de retraite à Dinkelsbühl suite à son licenciement de la direction du Théâtre de Lübeck, pour avoir refusé de jouer des auteurs classiques.
Minetti au milieu d’un tourbillon de personnages étranges, masqués, parce que c’est Carnaval, Minetti avec sa grande valise qui contient le masque de Lear que lui a fait James Ensor pour Lear.
Une cérémonie grotesque et funèbre, dans ce hall d’hôtel, antichambre du Théâtre, pour un rendez-vous qui n’aura pas lieu.
Traduction Claude Porcell.
C’est soir de Saint-Sylvestre à Ostende, c’est soir de fête, un soir de fête comme n’importe quel soir de fête (visages masqués, lumières, pétards, musique, confettis …).
Dans un hall d’hôtel, chacun, par la force de l’habitude, s’apprête à passer la soirée de la manière qui convient. Le portier, un porteur engagé pour la circonstance, une habituée qui boit et rit sans retenue, des clients parés pour la fête, allant et venant, rentrant et sortant… Un lieu « plein de malentendus ».
Survient celui que personne n’attend, l’acteur, d’ordinaire un habitué des hôtels, antichambre du Théâtre. Et alors ? Il y a longtemps que la société, n’est-ce pas, qui sait se prémunir contre toute attente extraordinaire s’est aussi prémunie contre les dérives artistiques au profit du divertissement. Et l’artiste a plongé dans une solitude « où il n’y a que les choux-fleurs pour se dire bonne nuit ».
Mais ce soir, au contraire, le vieil acteur a rendez-vous avec un directeur de théâtre, c’est ce qu’il dit, pour un grand projet de spectacle, Shakespeare, King Lear, pour une victoire sur lui-même, lui qui a refusé toute sa vie la littérature classique par haine du classicisme (l’opinion publique du classicisme) au point de voir sa carrière détruite par des « sénateurs ». Comme un terroriste de l’art.
Minetti : " Le monde veut de la distraction mais il faut le perturber le perturber le perturber ! "
Ce soir de Saint-Sylvestre, il attend dans un hall d’hôtel à Ostende. Il remet en jeu sa vie, il dégoise, il éructe et de quoi parle t-il ? De Shakespeare, un classique pour une fois ; de son Art, sous le regard de ceux qui se fichent bien de ce qu’il raconte et qui attendent la fin de la tempête. Une tempête de neige, bien réelle, s’est levée au dehors. Il y succombera.
Ecrite en 1976, la pièce de Thomas Bernhard semblait s’adresser particulièrement à la société autrichienne. Mais aujourd’hui ?
Minetti : " Celui qui est conséquent avec lui-même est voué à l’anéantissement social. "
En France, après plusieurs décennies d’entreprise culturelle ayant organisé et structuré le spectacle et la condition des artistes, il se pourrait, si on n’y prend garde, qu’on soit tout près de refaire l’expérience d’un certain classicisme, garant d’un art rassurant et patrimonial qui trierait le grain et l’ivraie. Tandis que Thomas Bernhard affirme : " l’artiste ne devient le véritable artiste que lorsqu’il est parfaitement fou. "
Minetti : " Nous ne devons pas capituler pas capituler. Si nous cédons tout est fini. "
Guy Lavigerie et Patrick Michaëlis, mai 2007
Lorsqu’on aborde la lecture des pièces de Thomas Bernhard, on se retrouve au milieu d’un « Gueuloir » où « la profération du verbe est première, l’adresse ruminante et prête à bondir » (Ute Weinmann).
Le protagoniste, ici l’acteur Minetti fait son entrée sur le théâtre où une histoire commence à se raconter…
Il surprend les autres personnages de la pièce autant que le public, et pendant une heure trente il va comme confisquer la scène, parce qu’il y a urgence à dire.
Avec une radicalité réjouissante, il nous projette dans sa vision d’une civilisation grotesque, où les beaux bébés aux yeux bleus sont vus déjà pour ce qu’ils deviendront : des soldats estropiés, des aubergistes bedonnants et des vieillards incontinents…. Un monde où tous les hommes portent fondamentalement séquelles, blessures, humiliations.
Mais cette vision du monde d’une noirceur totale brille des feux de la parole que rien ne semble pouvoir arrêter.
L’amour de la vie, la fragilité, une certaine tendresse se dévoilent derrière le rire et l’humour du provocateur qui n’est pas dupe et se veut conséquent devant la société.
Ce théâtre de la parole, répétée, ressassée, est aussi un théâtre de la non-action. L’action c’est la parole, comme une rédemption, et elle est écrite comme une partition - Thomas Bernhard était aussi musicien. On peut parler d’un travail « opératique » sur le texte (Jean-Marc Bory).
L’enjeu du travail des répétitions est d’abord dans l’énergie bernhardienne qu’il nous faudra apprivoiser, mais sans en omettre l’humeur et l’humour sans lesquels cette parole pourrait devenir irrecevable.
Minetti n’est pas fou - quoique ça arrangerait tout le monde. Considérons plutôt avec lui que le « scandale du bon goût pacifié » est une provocation à la folie d’où il ressort que celui qui fait un effort d’« entendement » et de lucidité fait aussitôt figure de terroriste.
Le souffle de Minetti traverse le plateau (hall d’hôtel) habité de présences silencieuses qui acceptent son intrusion. Un souffle malade ponctué de sidérations, de visions cauchemardesques. Tout cela, avant de mourir presque comme un enfant.
Mettre dans le jeu ces énormités, c’est là tout l’enjeu d’une parole gonflée, non dépourvue de force narcissique dont l’effet, pour une fois, apparaît pertinent dans un monde pétri d’objectivité et de pragmatisme consuméristes.
Dans Minetti comme dans toute l’œuvre de Thomas Bernhard, rôdent les questions de la mort et de la maladie. Une traversée solitaire accomplie étrangement en présence d’une femme puis d’une jeune fille, jusqu’à l’épilogue tragique sous la neige. Ici, une cérémonie grotesque ou sublime de l’acteur avant sa révérence.
Patrick Michaëlis et Guy Lavigerie
« Une soirée de Saint Sylvestre dans un hall d'hôtel. Minetti, le grand acteur qui n'est pas monté sur les planches depuis trente ans, a rendez-vous avec un directeur de théâtre. Une femme est là, qui comme chaque année noie son spleen dans le champagne. Une jeune fille écoute de la musique dans son walkman en attendant son fiancé. Le directeur et le portier de l'hôtel travaillent avec zèle. Des gens se croisent.
Dans cet univers raisonnable et conforme, Minetti éructe et vocifère son dégoût de ceux qui, disant servir l'art, l'enferment dans des catégories. Ceux là même qui dévitalisent l'art de sa folie nécessaire, si dangereuse pour leur ordre établi. L'institution culturelle fait diversion et le public cherche à se divertir. Le public étouffe sous "le bonnet de l'esprit".
Thomas Bernhard, dans une rage folle, cogne sans répit sur le masque de la normalité, du sens commun et des bons sentiments. Par son écriture, il est marteau et burin. La répétition, le ressassement, s'allient à la précision d'où surgissent l'éclat et la fulgurance d'une pensée toujours en mouvement. De son Autriche natale, il n'eut de cesse de fustiger le masque d'un conformisme souriant derrière lequel s'abritait la grimace nazie. Aujourd'hui, plus que jamais, il nous faut entendre Thomas Bernhard. Quelle barbarie nous cache le masque et les paillettes de notre société consumériste ?
J'ai été très troublé par la qualité du jeu de Patrick Michaëlis, il restitue avec énergie et justesse toute la vigueur de la langue de Thomas Bernhard. La mise en scène conjointe de Guy Lavigerie et Patrick Michaëlis, le décor, les sons et les lumières forment une belle cohésion. Comme la direction et le jeu des acteurs, tout est précis et efficace. Un beau travail d'équipe ! »
Les coups de cœur de Mr Guy / Studio Théâtre, France Inter, samedi 28 mars 2009
« Patrick Michaëlis joue Minetti, de Thomas Bernhard, pièce qu'il a mise en scène avec Guy Lavigerie. […] Michaëlis, lui, y va très fort, sur le ton résolu de la philippique et de la prophétie, de l'amère vaticination à la Artaud, sans répit, dans la plus vive dépense d'énergie trouée d'abattement. Au sein d'une pertinente scénographie de Gérard Didier (qui signe aussi costumes et masques), des lumières de qualité dues à Joël Hourbeigt et de l'univers sonore et musical sans pareil de Ghédalia Tazartès, la géniale imprécation de Thomas Bernhard, haïsseur prodigieux en faveur d'une humanité enfin mesurée à l'aune de l'art, même si sans illusions, trouve ici son plein sens en toute fermeté et rigueur. »
Jean-Pierre Léonardini / L’humanité - 23 Mars 2009
« Laconiques ou perdus dans un verbe intarissable, les comédiens s’accordent à trouver la note à la fois juste et grinçante qui sied à cette lecture de Thomas Bernhard. Présences à la fois disponibles et dissonantes, Zbigniew Horoks (en alternance avec Claude-Bernard Perot), Jean-Marie Lardy, Maryse Ravera et Sarah Rees, permettent à Minetti de déployer son imprécation dans un va-et-vient entre son verbe, parfois lassant à force de répétitions, et leur écho tour à tour empathique, indifférent ou menaçant. Au milieu d’eux, Patrick Michaëlis joue le comédien usé sans chiqué ni ostentation, dans une confiance assez souveraine en la force du personnage. Avec sa silhouette à la Ferré, son air de n’être jamais revenu de l’horreur de la vie, de l’amour suicidaire de l’art, sa morgue évidente (une diction déliée et cinglante), son Minetti prophétise de plus en plus fort, de plus en plus exténué, son propre anéantissement. »
David Larre / TheatreOnline - Mars 2009
« La lecture de Guy Lavigerie et Patrick Michaëlis nous entraîne vers la folie, comme celle de Lear dont il est fait référence tout au long du spectacle. La passion est au cœur du sujet. Patrick Michaëlis, superbe, incarne cela avec une grande justesse. »
Marie-Céline Nivière / Pariscope - 25 Mars 2009
« Avec des allures de marin revenu d’expéditions trop lointaines, Patrick Michaëlis campe un Minetti au coffre d’ogre soufflant sur le plateau comme un ouragan mesurant ses forces et sa fureur à sa capacité d’épuisement. »
Catherine Robert / La Terrasse - Mars 2009
« La mise en scène de Guy Lavigerie et Patrick Michaëlis met en totale complémentarité lumières, jeu, son et décor dans une même direction : rendre le plus vivant possible le moindre propos de ce quasi-monologue à dimension philosophique. »
En attendant…, 4 février 2008, N° 46
« Patrick Michaëlis porte de bout en bout le personnage avec des accents à la fois grandioses et dérisoires. De fragilités geignardes en révoltes éructantes, il mène un superbe travail d’acteur et jongle avec toutes les facettes d’un rôle dont il respecte la démesure sans pour autant tomber jamais dans l’excès. »
Theatre en Normandie
16, rue Georgette Agutte 75018 Paris