Onomabis Repetito fait suite à Ex Onomachina créé en 2008 par la compagnie Public Chéri et réitère notre tentative de défaire joyeusement l’ordre établi dans la langue.
Aux langues normées, informatives et communicantes qui tentent d’arrêter les contours du monde aux frontières tracées par le Logos, Onomabis Repetito oppose (comme le faisait Ex Onomachina) une langue balbutiante, archaïque et sonore emplie de sens cachés, de parentés enfouies, de pouvoirs ignorés du langage ou occultés par lui.
Onomabis Repetito commence où Ex Onomachina s’était arrêté. Ce sont les quatre mêmes figures, les quatre mêmes individus, acteurs probablement intermittents de la compagnie Public Chéri que l’on retrouve ici, deux ans plus tard et deux fois plus atteints. En fin de droits peut-être…
Quelque chose à travers eux cherche à continuer. Donc à recommencer. Mais derrière l’apparente répétition du même, ce bis joue de la variation, des écarts, les différences s’y creusent et s’y affirment. Quelque chose ici s’exaspère et tente d’aller plus loin - dans l’épreuve de la chute, dans l’exposition de la perte, dans l’aveu d’incapacité et le trouble qu’il induit.
C’est drôle toujours, mais autre chose est venue se loger dans les replis de l’écriture. L’épreuve du temps transforme ici les acteurs en terribles lutteurs contraints de déployer force et ruse pour échapper à cette répétition du même : « Faut se sortir de la / de la fosse / la fausse sortie / se sortir de là / sans sortir ».
Il n’y a pas à proprement parler de récit dans Onomabis Repetito, si ce n’est celui d’une tentative, celle précisément d’en élaborer un. Le poème a pour objet lui même et cherche sa vérité dans sa propre élaboration : «… Métalangue s’il te plait, mets ta langue en déroute… ». L’inspiration poétique est à la fois sujet et enjeu dramatique, car c’est aussi l’absence d’inspiration, l’exposition d’un vide, qui est ici interrogée.
Trou… vide… béance… le thème est récurent et décliné dans ses différentes acceptions, sans éviter les plus scabreuses. Onomabis Repetito éprouve ses propres limites, et d’abord en tant que texte, pour interroger le statut du discours aujourd’hui… La pauvreté du verbe cherche ici à être renversée pour devenir poésie : « Allez hop/ Hop/ Hop là/ On s’y remet… ».
Trou de mémoire, vide du texte, béance de la représentation, c’est aussi dans ces espaces là que la petite communauté des acteurs s’offre au regard quasi ethnologique du spectateur : lâchetés, audaces, trahisons, secours mais aussi râles, respirations, bruits de bouches, ou encore peurs paniques, angoisses, inspirations, explosions soudaines… révèlent quelque chose de « la vie des acteurs » et de leur condition.
A travers eux, c’est une humanité à vif qu’Onomabis expose. Et derrière leur discours bègue, c’est bien une tentative de questionner les enjeux essentiels de la communauté et leur velléité d’en appeler à son ressaisissement qui parvient. Tentative d’autant plus téméraire que leur langue, désajustée du monde, n’est plus que reflets vagues et incertains, mosaïque burlesque d’images chaotiques, trou noir…
L’auteur est toujours une présence qui s’absente écrivait Blanchot… qui s’absente beaucoup en l’occurrence et c’est par là que nos quatre individus se rapprochent des personnages Beckettien en attente d’un Godot dont la désertion les soumet à la vacuité de leur pur être là. Et ouvre aussi peut-être l’espace à une possible libération.
Cette crise dans la langue est aussi crise de la représentation. Que peut encore le théâtre quand il ne sait plus dire ? Et que peuvent les acteurs quand se dérobe à eux le texte qu’ils ont à énoncer ?
C’est ce questionnement et le désarroi pathétique et comique qu’il induit qui sont ici proposés en partage. Leur impuissance manifeste et le risque d’effondrement qui en découle ouvrent l’espace au présent de la représentation et à une possible jubilation : présence et incertitude en partage, confrontation à l’indicible, danger, n’est-ce pas ce qui fait phénomène au théâtre ?
Après d’improbables expositions de la situation, c’est à une succession de tentatives téméraires et naïves de reconstruction d’une théâtralité que nous assistons. Tentatives maladroites, toujours inabouties et insatisfaisantes mais sans cesse recommencées. Exhibé dans sa nudité, le théâtre est ici sommé de se manifester, de révéler, de réveiller ses forces premières à travers ces présences profanes, communes, réelles …
De manière furtive ou manifeste, les grandes époques ou figures du théâtre, mais aussi du rock n’roll, de la danse, de la chanson française ou même de l’opérette… sont convoquées : on use de tous les codes et on use toutes les cordes. Il y a urgence, non à trouver, mais à tenter encore pour pouvoir jouer encore.
La relation avec le public est frontale mais sans séparation notable : d’une façon générale les corps et les intentions des actants sont résolument orientés vers la salle. C’est d’une adresse au public qu’il s’agit, même si le principe sera mis à l’épreuve en cours de représentation car c’est l’essence même de cette relation qui est ici interrogée.
Le plateau ne représente que ce qu’il est : un plateau de théâtre. Il n’y a ici aucun ailleurs et les gens qui « jouent » se représentent eux-mêmes : acteurs intermittents qui peinent et éprouvent en direct une difficulté, voire une impossibilité à dire et à représenter, c’est-àdire à répondre aux attentes supposées du public.
Contrairement à Ex Onomachina, aucun panneau ni rideau n’autorise ici de hors champ : l’exposition des acteurs est complète et permanente d’un bout à l’autre de la représentation et permet de jouer de cette indistinction ou glissement entre figures, personnages et individus.
Pas de machinerie sophistiquée ni de technologie, le théâtre est rendu à ses armes et moyens d’origine : corps, texte et chant. Pas de sonorisation : les acteurs ne disposent que de leur propre ressource y compris dans les parties musicales et chantées (Florent Manneveau). Une exception toutefois : une machine à fumée sera utilisée à vue dans l’affirmation de son exubérante efficacité. « Là où est la machine, c’est toujours le gouffre et le néant » disait Artaud.
La lumière (Olivier Oudiou) est envisagée comme élément central de la scénographie, elle n’est plus concentrée sur le plateau et son centre (comme dans Ex Onomachina) mais s’intéresse également à sa périphérie, jouant des possibilités qu’offre l’ensemble de la cage de scène et du théâtre : murs, escaliers, portes…
Pas de costumes à proprement parler mais des silhouettes habitées (Delphine Brouard) : les acteurs iront pour ainsi dire à la scène comme à la ville. Un élément vestimentaire d’une autre nature pourra être ponctuellement utilisé : il se dénoncera alors comme costume.
Le point nodal de la mise en scène concerne le jeu des acteurs (Régis Hebette et Olivier Coulon Jablonka). Leur rapport à la langue d’abord. Le texte est envisagé comme partition et la langue comme musique : précision, légèreté, fluidité, rythme sont recherchés en
priorité.
Le rapport des acteurs au présent de la représentation est notre seconde priorité : nous cherchons à re-construire, à partir du positionnement interne de l’acteur, une présence débarrassée du trop de volonté à signifier, et à désencombrer le jeu des signes d’affectation qui dénoncent et alourdissent. Précisons ici que les 4 acteurs ont (ensemble et avec le metteur en scène) entre 11 et 18 années de compagnonnage, ils ont accompagné l’évolution du projet artistique de la compagnie et se sont construits à partir de ses exigences.
Au total, un dispositif scénique ostensiblement pauvre dont on ne saurait dire s’il est le fruit du hasard, de la contrainte ou de la nécessité mais qui place l’acteur (corps et voix) au centre de la représentation et fait de son exposition et sa mise en danger le vecteur principal du plaisir théâtral.
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