Penthésilée Paysage

En 1807, au cœur d'une Europe dévastée par les guerres napoléoniennes, Heinrich von Kleist écrit Penthésilée, pièce radicale dans laquelle il affirme sa poésie propre, incomprise de ses contemporains, mais qui fera de lui, selon Kafka, le précurseur de la modernité en littérature. Il a trente ans et se suicidera quatre ans plus tard. Il invente un théâtre singulier, instable, où alternent fulgurance des sensations et engourdissement de la conscience.

Penthésilée, la reine des Amazones, peuple de femmes libres et guerrières, tombe amoureuse d'Achille sur le champ de bataille. Déchirée entre indépendance politique et aliénation amoureuse, elle suit les chemins sinueux de sa folie jusqu'à la catastrophe : elle dévorera l'homme qu'elle aime et ruinera la civilisation des Amazones. Pourtant, l'extrême cruauté des pulsions n'est jamais montrée, elle explose hors champ. Kleist défie la représentation en exigeant l'invention d'un théâtre de la violence invisible. La scène devient alors un espace d'exploration poétique de l'innommable, de la blessure indicible : un paysage mental.

Aurélia Guillet a choisi de mettre en écho à la pièce de Kleist le texte de Heiner Müller, Paysage sous surveillance (1984), description fantasmatique d'une image représentant "un meurtre peut-être, ou un coït brutal, ou les deux à la fois", dans un perpétuel recommencement, entre morts et vivants.

Le crime mythique inventé par Kleist et le "meurtre quotidien" évoqué par Müller se nouent ainsi pour s'aventurer, non sans tendresse, dans les replis les plus contradictoires de l'humain.

Penthésilée de Heinrich von Kleist (Éd. Actes-Sud-Papiers) et Paysage sous surveillance de Heiner Müller (Éd. de Minuit).