Entre tragédie et épopée
Autour de Salina
La musique
Scénographie et costumes
La presse
Sang, Sueur, Larmes, Transpiration, … Les corps suintent. Ces humeurs viennent des passions extrêmes vécues par les personnages. Haine Majeure, Rejet, Violence allant jusqu’au Fratricide. Mais aussi : Amour jusqu’au bout du toucher, Compassion, Pardon, Espoir, … Dehors, Vent, Vent de Sable, Eau, Feu, Coups de Feu, ébranlant l’immensité désertique, en écho aux passions vécues par les personnages. Passe le temps et son grand souffle…
Sur quatre générations, le clan des Djimba reste solidaire dans ce monde mouvementé. Salina est l’étrangère, enfant trouvée en larmes, larmes de sel sur son visage. Rebelle aux règles du clan, elle déclenche, catalyse et encaisse les passions. Puis rejetée par le clan, elle devient une figure d’errance portant la haine en elle comme une pierre sombre génératrice de violences.
Le texte de Laurent Gaudé est profondément humain. Il nous parle du conflit archaïque entre frères de force égale, de l’exil et de l’errance, d’un enfantement sans père, autant de thèmes traversant les mythes. Salina devient ainsi une figure de la mythologie, comme peut l’être Médée. Chaque personnage donne à voir une multiplicité de facettes qui nous surprennent révélant cette complexité dont l’humaine engeance est faite.
Le texte se déroule sur plus de trente années et selon trois parties : Le sang des femmes, La dernière vertèbre, Le don des larmes. Un texte impossible à résumer tant il est déjà dense et foisonnant.
Le texte Salina est publié chez Actes Sud-Papiers.
Dramaturgie
Salina se situe dans un espace et un temps indéterminés : une Afrique rêvée, ou un empire imaginaire avec ses clans et ses guerres intestines. Cependant, dans une œuvre issue de son imagination, Laurent Gaudé arrive à renouer avec des coutumes, des aspects de peuples existants en créant - peut-être malgré lui - un lien syncrétique entre des peuples existants mais éloignés. Ceci crée un peuple imaginaire qui pourtant est ancré dans des réalités de comportement, de codes.
Inventer des peuples imaginaires m’a de tout temps fasciné. J’aime les ancrer dans des mythes, des manières de faire en partie inventées en partie inspirées de peuples existants. Il s’agira, donc, de donner chair à un peuple imaginaire, où Salina est la seule étrangère.
Le texte de Laurent Gaudé alterne les scènes dialoguées et les récits. Ces récits sont proférés par les vivants tout comme par les morts. Ils ont un fort caractère épique et narrent des événements se déroulant sur de longues périodes. En cela ils se distinguent des scènes dialoguées qui se déroulent dans la plus grande immédiateté des passions.
Les récits sont comme le surgissement de la profération entre les scènes dialoguées. Laurent Gaudé explique qu’il a songé aux « songs » de Brecht en écrivant ces récits. Cette idée n’est évidemment pas à prendre au pied de la lettre, mais comme une manière qu’ont les récits de quitter l’action des scènes dialoguées pour se projeter vers le public. Je conçois ces récits comme des décrochages où la musique accompagne le récit. Une musique qui évoque le temps qui défile. Le récit des vivants se fait à visage découvert, ceux des morts à visage couvert de cendres. De façon plus générale, le statut des morts est important dans le texte et leur présence doit créer une mise en abyme par leur manière d’écouter les vivants.
Laurent Gaudé invente une mythologie sortie de son imagination. Mais Salina devient vite une figure de la mythologie au même titre que Médée. Le spectacle va donc se faire rencontrer le mythe et l’épopée. Le mythe en embarquant le spectateur dans un monde d’archétypes qui va stimuler son imaginaire. L’épopée en adressant la parole proférée, soutenue par la musique, directement au spectateur.
Salina est un texte des passions extrêmes. Cruauté, haine, vengeance, mais aussi tendresse. Les scènes de tendresse sont importantes. Ces scènes sont un contrepoint nécessaire aux scènes dominées par des passions destructrices, mais permettant aussi que ces dernières nous frappent encore plus fort. Il importe de mettre en valeur ces revirements émotionnels qui donnent au texte de Laurent Gaudé toute sa dimension humaine.
Jeu des acteurs
Dans Salina, il y a des attitudes issues du quotidien qu’il faut épurer : des manières de se toucher, de s’accroupir, de ramper, des manières de déambuler ou de s’affronter. Ces gestes rendus incisifs structurent l’espace.
La structure chorégraphique, j’emploie ce terme à bon escient, car tous les gestes et leurs manières de rentrer en résonance avec l’espace doivent être très précis.
La précision et la clarté de jeu sont les meilleurs garants d’une émotion indispensable au spectacle.
Salina est un spectacle de chair et de passions majeures. Les acteurs auront à être très physiques pour accéder à des énergies de jeu très hautes.
L’espace et sa fonction
L’espace quasiment vide. Une terre craquelée pour ce sol désertique et le ciel infini pour contenir l’immensité de la fable. Il faut que l’espace se métamorphose avec le jeu des acteurs : tantôt espace totalement vide suggérant l’immense, tantôt espace encombré d’objets et ainsi plus resserré.
Souffle du spectacle
Salina se déroule sur trois générations : avec son grand souffle, le temps passe. Les craquelures du sol et des peaux des personnages âgés en témoignent. Il faut proposer au spectateur un temps qui conduit ce grand souffle. Moments de suspension où tout semble arrêté pour l’éternité et fluidité. Le texte de Laurent Gaudé est découpé en séquences, mais la mise en scène restera fluide, sans coupure entre les scènes, les jonctions entre les séquences se faisant par tuilage.
La structure du texte alterne scènes dialoguées et récits :
- Les scènes dialoguées sont très vives et immédiates et sont le lieu des irruptions permanentes des passions. Au point d’acmé des passions, le temps se suspend comme dans la tragédie.
- Les récits traversent parfois des années. Ils sont conçus comme un travail de conteur : le personnage ne s’emballe pas même s’il raconte des horreurs. Il s’assoit sur la « pierre des récits » et s’adresse au public. Une parole déliée et une musique conçue comme une grande coulée rendent compte de l’ampleur du temps.
Un aperçu sur l’esthétique compositionnelle
Ma musique, quelle que soit la forme qu’elle prenne, est toujours marquée par les trois composantes essentielles que je conduis dans ma pratique professionnelle : la composition acousmatique, le violoncelle et le théâtre.
La musique acousmatique permet de développer une palette variée de couleurs “orchestrales”, au sens large du terme, par le modelage du son au coeur même de sa matière. À côté des techniques usuelles de l’acousmatique, collage, échantillonnage, mixage, je porte une grande attention à la prise de son. Ainsi les “paysages sonores”, au-delà de leur pouvoir évocateur, sont choisis pour leurs propriétés strictement musicales, forme dynamique, scintillement, épaisseur ou rugosité.
Le violoncelle est très présent dans le processus d’écriture, inscrit comme trace du geste instrumental. Certains aspects de mes partitions trouvent une part de leur logique dans la pratique de l’improvisation, s’appuient sur le développement des formes ouvertes, tout en intégrant la précision de la référence à l’écriture sur le papier. Je m’inspire également de musiques extra-européennes et de traditions orales, dans lesquelles je recherche la diversité et une certaine complexité des pâtes sonores, ainsi qu’un investissement physique et émotionnel indispensable à l’aboutissement de l’écriture dans le rapport direct au public.
Enfin mon attirance pour le spectacle vivant donne une dimension dramatique à mes travaux, fréquemment en rapport avec un propos, affirmé par la référence au texte, y compris lorsqu’il s’agit de musiques destinées au concert. Dans les spectacles que j’ai écrits ou auxquels j’ai participé, ma préférence va vers une présence attentive pendant le temps des répétitions, ce qui permet d’inventer une “dramaturgie musicale” et d’avancer dans ce que l’on pourrait nommer un “compagnonnage inventif”. Ainsi mon écriture musicale se développe-t-elle alors en prise directe avec l’écriture théâtrale, associée dès la conception du spectacle à la dramaturgie.
L’élaboration se déroule en deux étapes distinctes. La première définit des intentions de composition, choix de matériaux sonores, propositions harmoniques, mélodiques et rythmiques, ainsi que de grands axes acousmatiques. Certaines séquences sont composées. Dans un deuxième temps, la musique trouve sa forme définitive dans la confrontation avec le plateau : les écritures littéraires, dramatiques et musicales s’épannouissent dans un rapport contrapuntique.
Marc Lauras
La musique de Salina
Elle sera écrite pour bande acousmatique, voix et instruments de musique.
Le compositeur Marc Lauras, qui est aussi acteur, figurera un personnage errant qui accompagne avec ses instruments de musique les récits.
La bande joue sur deux registres :
1. Pendant les récits, elle est au service de l’acteur narrateur. Il y aura lieu de distinguer, au plan musical, les récits des vivants et ceux des morts.
2. Pendant les scènes dialoguées, elle agit de manière subliminale pour créer d’autres espaces. Cette musique est comme un développement poétique de ce qui se déroule au plus secret du corps de l’acteur.
Le chant est tenu essentiellement par Mama Mélita après sa mort. Elle rôde pendant les récits en arrière-plan et chante des mélopées. Le chant va aussi intervenir comme des surgissements de mélopées à plusieurs voix pendant les scènes et entre les trois parties du texte. La texture des chants est proche des timbres ethniques.
Les instruments de musique sont un contrepoint de la musique sur bande. La musique sera élaborée pendant le spectacle car il faudra trouver sans cesse la meilleure adéquation et le rapport le plus précis entre parole et musique faite de musique acousmatique et mélopées.
Scénographie
Je l’ai dit, j’aime travailler dans des espaces vides. Aussi le décor de « Salina » sera sobre. Le sol est une terre craquelée, rauque, désertique avec un monticule côté jardin. Sans cela le plateau est vide. Au fond, un cyclorama bleu, incurvé pour laisser paraître l’immensité. Au bord du cyclorama, au loin, il y a des herbes sèches. De fait, tout l’espace scénique doit suggérer l’immensité. En avant-scène, une pierre, lieu des récits, du feu et de la cendre et une flaque d’eau. De part et d’autre de la scène il y a deux piquets. Ils serviront à tendre le linge entaché du sang des femmes. C’est à un de ces piquets qu’on attachera Salina.
Costumes
Les costumes auront à charge d’évoquer un peuple. Cette évocation est bien sûr d’ordre esthétique. Elle est aussi d’ordre fonctionnel : il s’agit de trouver dans le vêtement des correspondances avec les manières de faire du clan Djimba. À titre d’exemple : le vêtement du guerrier a une fonction de protection et permet de porter des armes. Les parures ont une fonction ornementale, mais aussi désignent le rang et le mode de vie de ceux qui les portent.
Dans Salina, l’inventivité de Jean-Pierre Capeyron s’appuiera sur des éléments issus de l’Éthiopie et de l’Asie mineure.
"Le texte de Laurent Gaudé, riche et foisonnant, invente un univers empruntant ses formes aux grandes mythologies et creusant le filon d’une inventivité originale nourrie des thèmes fondamentaux de la condition humaine. Le sang coule entre la sueur et les larmes, les passions les plus hautes se heurtent aux plus basses : la pièce semble née du creuset matriciel de toutes les civilisations. (...) Farid Paya réussit à embarquer le public en le rendant à ses yeux et à ses frayeurs d’enfant, par la simplicité et l’authentique générosité d’un geste créatif qui ne se pique pas d’effets inutiles mais rend le théâtre à son essentielle mission de raconter, de faire rêver, de faire rire et de faire pleurer au spectacle des affres de notre espèce si folle et si vaine." Catherine Robert, La Terrasse, février 2007
Navrant... Courez relire le livre, vous passerez au moins un moment inoubliable !
Navrant... Courez relire le livre, vous passerez au moins un moment inoubliable !
22, rue du Chevaleret 75013 Paris