Reprise.
« De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content », lance le Père Ubu, nouveau Macbeth de pacotille, à sa femme qui préférerait le voir déjà sur le trône. Elle l’y verra bientôt, après l’avoir incité, avec la complicité du capitaine Bordure, à tuer le roi, contraignant la reine et son fils Bougrelas à l’exil. Ubu va exercer le pouvoir avec la délicatesse d’un char d’assaut, tyrannique, spoliateur et assassin de la noblesse, des magistrats et des financiers.
Joyeux archétype de la bassesse humaine, Ubu, affublé par l’auteur d’un masque piriforme et d’une houppelande de laine philosophique, manie redoutablement la machine à décerveler et le croc à merdre ou crochet à noble… Mais, s’il a pensé à éliminer ses adversaires pour régner sans partage sur cette improbable Pologne, « c’est-à-dire nulle part » (A. Jarry), Ubu a négligé de respecter ses promesses. Sa seule issue est donc la fuite en avant : attaquer le « Czar » et la Russie. Sortant sain et sauf d’une bataille aussi rocambolesque que le reste, il finit par décider de venir vivre en France.
Pour l'entrée de Jarry au Répertoire, Jean-Pierre Vincent et Bernard Chartreux, son dramaturge, ont choisi de proposer Ubu roi pour la première fois dans son intégralité. Autre procédé intéressant, Jean-Pierre Vincent a choisi de faire monter Alfred Jarry sur le plateau : " Cette présence doit imprégner le jeu des acteurs. Le poison - l'absinthe qui habitait Jarry, cette mort permanente qu'il trimballait, dans sa misère, son abstinence sexuelle, ses ambiguïtés - doit être présent à chaque instant. Ubu roi peut devenir ainsi une blague mortelle » (J.P. Vincent).
Ubu est né dans la cour du lycée de Rennes où Alfred Jarry (1873-1907) et ses amis, les frères Morin, caricaturaient leur professeur de physique M. Hébert. Cela prit la forme d’une pièce pour marionnettes, Les Polonais (1885). Jarry reprit et modifia le caractère et le nom d’Hébert. Ubu occupa une place centrale dans la fulgurante carrière dramatique de l’auteur. Après Haldernablou (1894) et César-Antechrist (1895) annonciateur d’Ubu roi, le cycle Ubu nous emmène loin du naturalisme et du réalisme théâtral d’alors. Novateur par l’imbrication d’archaïsmes et de néologismes, Ubu roi parodie la tragédie dont Shakespeare est ici la plus illustre référence. En réponse au public qui conspua la pièce lors de la première, Jarry publia sa conception du théâtre dans l’article De l’inutilité du théâtre au théâtre. Ionesco, Vian et Artaud s’empareront de ces principes, et la langue française du nom d’Ubu pour enrichir le vocabulaire de l’absurde.
" Vincent monte la pièce avec une santé tonitruante et un humour ravageur. A commencer par la distribution dont Serge Bagdassarian est l'atout monumental et Anne Kessler le joker, gouaille, insolence mutine et abattage à l'appui. " L'Express
" Jean-Pierre Vincent n'oublie pas la dimension grand-guignolesque de l'oeuvre. De cette pièce créée avec une musique de Claude Terrasse, il fait aussi un beau spectacle en chansons, celles de Pascal Sangla, qui confirment les qualités vocales de la troupe. Mais il manque peut-être à ce spectacle (...) ce grain de folie que l'écriture de Jarry permet et même appelle. " Le Point
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