« Qu’as-tu transporté d’indispensable ?
- L’espoir. C’est la plus nécessaire des choses périssables. »
Lyonel Trouillot dans Le testament du mal de mer
Tentative de voyage à travers l’œuvre de Lyonel Trouillot, pages blanches remplies de son encre, personnages grouillants, portraits déboussolés, narrateurs en quête d’eux-mêmes, style précis ou éruptif, rythmique parfois haletante et morcelée, l’oeuvre de Trouillot traverse le maelström contemporain de Haïti. Il en est l’échographe.
« Début septembre 2003, allant rejoindre le festival des Quatre-Chemins à Port-au-Prince (à l’instigation de nos amis belges) et grâce à l’envoi que m’en avait fait les éditions Actes-Sud, je fais connaissance par œuvres interposées de Lyonel Trouillot. Ce sera ma lecture litanique pendant ce séjour.
Durant le parcours aéronautique je lis Thérèse en Mille morceaux. Plongée dans la schizophrénie d’une jeune femme habitée par une autre Thérèse en elle, et la contagion de ce mal heureux qui la conduit à sa rupture familiale, sexuelle, culturelle avec ce qu’elle était, son paysage, son milieu. Conduite de texte remarquable, lyrisme concis par chapitres courts entre une Haïti figée et la liberté éblouie d’une Thérèse recousant toutes ses déchirures.
Une fois à Port-au-Prince, je lis pendant mes laps de temps disponibles, trois autres ouvrages dont La Rue des pas perdus. Monologues entrelacés d’un jeune intellectuel égaré épris d’une fille d’ordre, d’une vieille prostituée régissant un bordel et d’un chauffeur de taxi, tous pris dans la tornade de l’abomination mettant aux prises le « Président Décédé Eternellement-Vivant » et les « Cohortes du Prophète », autrement dit, Duvalier et Aristide. Roman prémonitoire devant l’horreur politique des massacres, tordant le cou aux chimères récurrentes des hommes providentiels.
Sur place, j’ai reçu le choc violent de l’invraisemblable délabrement haïtien et j’ai fait connaissance de Lyonel Trouillot. Il a tenu à m’écrire de son stylo-plume fétiche cette citation de l’islandais Laxness (Prix Nobel de Littérature) sous laquelle il se place lui et son œuvre : « Je sens que si je ne commence pas à me rassembler, je vais devenir une épave pour le reste de ma vie ».
Gabriel Garran
211, avenue Jean Jaurès 75019 Paris