Qu'est-ce qu' A court de forme ?
Le programme
Détail des spectacles
A court de forme est un regroupement ponctuel mais régulier d’artistes qui pensent avoir une démarche artistique commune. Ces artistes travaillent de manière libre et indépendante, à la création d’une forme courte. Aucune règle ne leur est imposée par le collectif, en dehors du temps de plateau. Ils se réunissent pour un moment de vie théâtrale. Leurs univers, leurs routes se croisent le temps d’une création.
A court de forme est né de la difficulté de production des spectacles et du désir de travailler - ou de continuer à travailler ensemble, tout en restant indépendant dans le processus de création. A court de forme génère donc une double synergie. Techniquement, les moyens sont mis en commun, les réseaux se croisent, la production est facilitée. Artistiquement, la confrontation des univers permet un renouveau et une autre exigence dans le travail.
A court de forme propose donc chaque soir un seul et unique spectacle, même s’il est composé de plusieurs formes courtes ; spectacle se revendiquant protéiforme. Une démarche artistique commune aux participants, l’entrelacement des distributions, un même espace scénique, donnent à voir aux spectateurs une représentation aux multiples facettes qui trouve sa cohésion dans la différence. A court de forme possède donc un caractère « ludique » pour le spectateur, qui passe d’un univers à l’autre, tissant les liens de son côté. Cette structure - mais seulement la structure - pourrait s’apparenter à celle du cabaret, dans lequel l’addition des numéros raconte bien autre chose qu’une histoire.
A court de forme intéresse aussi les professionnels du spectacle, qui découvrent le travail de plusieurs metteurs en scène dans la même soirée.
En mai 2005, A court de forme présentait cinq formes courtes au studio Albatros de Montreuil. Cette saison A court de forme regroupe 6 metteurs en scène, 25 interprètes, 2 plasticiens, 3 chanteuses et présentera 7 formes courtes, des impromptus, des chansons, une exposition…
A court de forme est un état des lieux explosif de notre travail.
Quatre mêmes formes courtes par soirée auxquelles s’ajoutent une cinquième qui varie chaque semaine.
Du 25 avril au 19 mai 2006 à 20h30
Le Mort d’après G.Bataille, mis en scène de Cédric Orain
L’espèce humaine d’après R.Antelme, mis en scène de Eram Sobani
No Logo, création de Maxime Pecheteau
La Sainte Famille de Heiner Müller, mis en scène de Julien Kosellek
La cinquième forme courte :
Du 25 avril au 5 mai 2006 : Monstres philosophiques d’après Diogène Laërce, création de Guillaume Clayssen
Du 9 au 12 mai 2006 : Concerto du fond de ma bouche, création collective dirigée par Julien Kosellek
Du 16 au 19 mai 2006 : Le désir singulier de Stéphane Auvray-Nauroy et Selim Clayssen
Avant les représentations, une exposition d’artistes proches d’A court de forme vous est proposée dans le hall : Christian Boulicaut, également scénographe, Nathalie Savary, également comédienne. L’ensemble de l’exposition sera « scénographié » par Christian Boulicaut.
Un court métrage de Luc Martin réalisé avec l’équipe d’A court de forme peut également être visionnée.
Chaque soir - ou presque - s’ajoute aux cinq formes courtes un impromptu de quelques minutes. En fait, le plateau est encore ouvert à un ou plusieurs artistes proches d’A court de forme. Nous attendons notamment Frédéric Aspisi et Les Bouches Absolues, groupe de chanteuses qui participaient déjà à A court de forme la saison dernière.
Mise en scène Eram Sobhani, avec Lise Bellynck, Cédric Orain et Raouf Raïs
Compagnie Bouche Ouverte
L’Espèce humaine témoigne d’un fait réel - d’un kommando de Buchenwald. L’auteur de ce texte a réellement passé un an en camp et en est réellement revenu en 45. C’est le témoignage de cette vérité. Alors on ne souhaite pas que l’acteur mente, qu’il joue un rôle ou qu’il incarne un personnage. Mais qu’il vienne simplement sur scène pour lire et pour transmettre les mots d’un autre. Que la scène ne figure pas un lieu imaginaire, en l’occurrence un camp, mais qu’elle soit simplement un espace de lecture et de travail. Faire entendre notre vérité et notre place - des gens de l’an 2000, qui n’ont jamais été en camps, qui disent les mots d’un autre sur une scène - pour que la vérité d’Antelme et que la vérité des camps s’entende aussi.
Nous ne souhaitons pas aborder ce texte selon les codes de jeu et de théâtre dont on se sert habituellement puisque ceux-ci sont définis dans leur ensemble pour des œuvres imaginaires. Cela induirait que l’expérience et le vécu qu’évoque Antelme relèvent eux aussi de l’imaginaire. Nous cherchons donc une forme théâtrale qui remette au premier plan le caractère véridique et historique de ce récit. Cela ne signifie pas une absence de forme ou une absence d’artifices puisque Robert Antelme les pense lui-même nécessaires : « il faut beaucoup d’artifice pour faire passer une parcelle de vérité » Mais cette forme ne peut avoir qu’une seule finalité : rendre d’autant plus audible la vérité des camps.
Le texte est pris en charge par trois acteurs. Ils ne viennent pas sur scène pour incarner un personnage ou pour jouer un rôle mais simplement pour lire un texte. Ils disposent à cette fin d’un certain nombre de matériaux et de contraintes - des photocopies, des sources lumineuses, des accessoires - à partir desquels ils travaillent. L’acteur vient ainsi avec ses vingt ou ses trente ans pour transmettre une parole et une pensée qui ne sont pas les siennes. Toute identification telle qu’on la comprend habituellement nous paraît effectivement dangereuse dans le sens où elle réduirait ce texte à une parole que n’importe qui peut assumer et reprendre comme sienne: ce serait nier la spécificité de cette parole qui prend sa source et sa valeur dans l’expérience des camps, dans cette expérience ultime dont on ne peut se revendiquer d’une manière mensongère.
Dans la même optique, nous ne souhaitons pas que la scène représente un lieu imaginaire - en l’occurrence un camp - mais qu’elle soit simplement cet espace en lumière, de tant de mètres carrés, qui fait face aux gradins. Nous repoussons donc toute mise en scène réaliste et toute représentation des camps. Cette représentation serait toujours insuffisante et mensongère car ce ne sont pas seulement les barbelés et les baraques qui constituent les camps, mais le travail des détenus, la faim qui les oppresse, les poux qui les infestent, etc. La scénographie se réduit ainsi aux seuls besoins techniques des acteurs : des micros, quelques chaises, des pupitres… avec un élément qui ressort d’autant mieux : les pages de texte, cette matière-texte, cette matière-livre qu’on ne cesse d’interroger comme le centre du travail.
La seule chose qui témoigne des camps, dans le jeu de l’acteur et dans la mise en scène, ce sont donc les mots d’Antelme. Ces mots nous laissent-ils indifférents et relatent-ils une expérience dépassée ? Soulèvent-ils en nous des interrogations, nous parlant de choses étrangement familières et dans lesquelles nous nous reconnaissons ? Le principal enjeu de ce travail, c’est ainsi d’interroger cette phrase clé de l’œuvre : « Le comportement [des SS] et notre situation ne sont que le grossissement, la caricature extrême - où personne ne veut, ni ne peut sans doute se reconnaître - de comportements, de situations qui sont dans le monde et qui sont même cet ancien « monde véritable» auquel nous rêvons. »
Quand Antelme évoque les relations entre kapos, SS, civils et détenus, quand il évoque les valeurs et les fondements des camps, la puissance des uns et l’asservissement des autres, entend-on des paroles qui nous décrivent et nous concernent ? C’est pour poser concrètement cette question que la mise en scène et le jeu de l’acteur ne tentent pas de représenter ce livre mais lui donnent simplement une caisse de résonance : des personnes, des lieux et des vies d’aujourd’hui.
Création de Maxime Pecheteau, avec Dimitri Capitain et Maxime Pecheteau
Compagnie : En Chantier
Rien n’échappe à la publicité. Plus d’espace vierge, intime. Les marques sont partout. Y compris en art. La génération guidée par l’Etiquette. Un texte à la fois ABCédaire, fourre tout statistique, démonstration par l’absurde et appel d’air pour résister à cette asphyxie publicitaire. Une prise de parole à trois, c’est-à-dire deux contre un, ou tous contre l’autre, ou tous contre le public. A cette avalanche de mots correspondra une surcharge vestimentaire, strip-tease à l’envers.
L’envie est la même que celle du grand bol d’air après une asphyxie. L’envie de regarder la tumeur et de la disséquer, l’exhiber. Un acteur sur scène et un metteur en scène. Ils vendent leur spectacle et vendent les artifices grossiers de la publicité qui nous assaille. Comment croire que le domaine artistique n’y échappe pas aujourd’hui ?
Il ne s’agit ni d’un texte théorique de sociologie, ni d’une leçon de morale. Le public est pris à partie, interrogé, dans l’impossibilité de la réponse immédiate, manipulé par les images qui lui sont données à voir. Dans le sens où elles sont utilisées habituellement pour acheter notre confiance et notre jugement
Il y est aussi question de l’individu et de la masse. Et de la validité de son propre jugement face à un flux d’avis allant toujours dans le même sens. Comment sa sensibilité artistique peut elle être biaisé de la même façon; et comment la créativité est affectée par la pression pesant sur la diffusion artistique. Une tentative de mettre en avant cette mésalliance, de pousser jusqu’au bout l’absurde et le grotesque qui en résulte.
On verra l’acteur nous questionner se livrer à des expériences sur l’image, son image, limage de et des marques, avec une réponse, un écho, un contrepoint vidéo. D’autres images ou la sienne (peut être sa pire concurrente). Il se transformera pour se fondre en ce qu’on veut de lui (le "on" publicitaire), fera naître un rire sur les décalages proposés.
Mise en scène Cédric Orain, avec Benoît Fogel, Courtney Kraus, Raouf Raïs, Eram Sobhani
Compagnie La Traversée
Le Mort est une fable érotique, le récit du cheminement d’une femme, Marie, qui pour combler l’absence due à la mort de son amant, se livre toute entière dans une dépense sans fin à une série de supplices et de plaisirs érotiques.
Avec ce texte comme avec Mme Edwarda, Histoire de l’œil.., Bataille cherche à penser ce qui excède la possibilité de penser, à gagner le point où le cœur manque, où l’horreur et la joie coïncident dans leur plénitude, où l’être nous est donné dans dépassement intolérable qui le rend semblable à Dieu, semblable à rien.
Quels sont les enjeux d’un tel récit ? Pourquoi mêler la vue du sang, l’odeur du vomi, qui suscitent en nous l’horreur de la mort, au désir et à la jouissance ? Il me semble évident que les questions des plaisirs scatologiques ou sado-masochistes ne sont qu’anecdotiques dans l’entreprise de Bataille, ou du moins que ces plaisirs ne sont que de simples outils de son expérience intérieure. S’il s’intéresse à la jouissance c’est pour en toucher l’immédiate limite : l’horreur. « Je ne suis en rien porté à penser que l’essentiel en ce monde est la volupté. L’homme n’est pas limité à l’organe de la jouissance. Mais cet inavouable organe lui enseigne son secret. »
Quel est donc ce secret ? Ce que cherche Bataille par l’érotisme, et le dépassement des limites, c’est le « dépassement de Dieu lui-même ». C’est ce dont nous parle Michel Foucault dans sa préface à la transgression. Depuis la mort de Dieu et du sacré en occident, il n’y a plus ni objet ni être ni espace à profaner, or la transgression amorcée par Bataille est une profanation, sans objet, « intérieure et souveraine », c’est une expérience de la sexualité qui lie le dépassement de la limite à la mort de Dieu.
On peut alors se demander ce qui pousse Bataille à représenter dans Le Mort, une orgie dionysiaque. Je crois que ce qu’il faut entendre au-delà de l’orgie, au-delà du sacrifice, c’est une restitution du monde sacré (à ne surtout pas confondre avec le religieux), qu’il oppose au monde occidental moderne. Ne dit-il pas à propos de Marie (l’héroïne dans le Mort), qu’elle est « une dépense d’énergie en pure perte » ?
Et lorsqu’il s’intéresse aux Aztèques et à leurs rites sacrificiels, il remarque que « la consommation n’avait pas une moindre place dans leurs pensées que la production dans les nôtres. Ils n’étaient pas moins soucieux de sacrifier que nous ne le sommes de travailler ». Lorsque j’entends chez Georges Bataille le désir de faire ressurgir, sous forme artistique, le sacré dans notre société de consommation, je pense à Antonin Artaud et son théâtre de la cruauté. Mais là où Artaud attend du sacrifice une libération des forces et de la violence, Bataille espère toucher un monde intime, atteindre « la souveraineté », cet état d’extase impossible où l’homme se dresse tout entier face à l’univers et plonge dans l’abîme de « sa part maudite ».
Mettre en scène le Mort, c’est se poser la question de la représentation d’une orgie, c’est chercher une forme qui puisse faire entendre cette expérience des limites, c’est donc chercher une théâtralité subversive. Mais comme nous l’avons vu avec Foucault, la subversion, la transgression, ne se départissent pas des limites qu’elles s’imposent et dans lesquelles elles se nouent. S’il y a nudité, s’il y a déshabillage, ils ne peuvent être que long, douloureux et pénibles. Le plaisir est toujours lié à l’angoisse.
J’ai choisi pour ce texte quatre acteurs et une actrice. Plusieurs personnages emblématiques parcourent ce récit : Pierrot, La Patronne, Le Nain, Edouard mort et Marie. Il ne s’agit pas pour eux de s’identifier à ces personnages (Georges Bataille se fout du théâtre je crois), mais de porter ce récit à la manière d’un chœur tragique, et de faire glisser dans leur chair, à tour de rôles, ces figures mythologiques.
Quant aux actions érotiques, scatologiques, décrites dans ce texte, nous ne les mimerons pas. Je me les représente plutôt avec « l’origine du monde » de Courbet projeté sur la peau des acteurs. Je crois que la chair d’un acteur porte en elle tout ce que Bataille cherche dans l’érotisme qu’il nous livre avec le Mort. Georges Bataille a écrit « le gros orteil », un article sur fétichisme et sexualité. Il a été publié dans une revue et il a choisi une photographie pour accompagner son texte : un gros plan d’un gros orteil mâle. Cette image a une résonance très forte et n’est pas du tout explicative puisqu’ « elle résiste à l’appropriation d’aucun sens. » C’est sur cette forme que je souhaite travailler, un théâtre de la cruauté statique et saccadé, rythmé par les résonances entre des images fixes, et un corps texte-acteurs.
Enfin, cette forme courte s’inscrit dans une représentation qui intègre d’autres formes, d’autres textes, d’autres enjeux. Les résonances n’en seront que plus riches, et le propos que plus tranchant.
Dans son bunker, Hitler mange ses soldats. Goebbels, enceinte du führer, accouche d’un monstre devant les rois mages, dignes représentants de l’occident. Evidemment, tout ceci n’est qu’une farce. Grotesque, obscène. Mais elle est contredite par l’horreur de l’Histoire et la violence de notre théâtralité.
On sait qu’Heiner Müller donnait à La Sainte Famille une place particulière au sein de Germania Mort à Berlin. Cette scène représentait certainement pour lui un « théâtre dans le théâtre », l’éternelle répétition d’une scène, qui est une scène originelle : la sainte famille, naissance du Christ, l’allégorie de la naissance de la R.F.A - allégorie provenant du système de propagande est-allemand : la R.F.A ne serait qu’une continuité du nazisme aidée par les grandes puissances capitalistes. Müller critique évidemment le simplisme de cette idée, même s’il était de ceux qui pensent qu’Hitler fut épargné quelques temps par les alliés occidentaux dans l’espoir d’une destruction de l’empire soviétique.
Quant à cette place particulière de la scène, et donc la possibilité de la jouer en dehors d’une représentation de Germania Mort à Berlin, Müller proposa même à un metteur en scène de jouer La Sainte Famille dans un autre espace que le reste de la pièce, en demandant aux spectateurs de se déplacer le temps de la scène. Ici La Sainte Famille sera présentée au sein d’autres formes courtes, qui engageront a priori une théâtralité toute autre que celle que nous proposons.
Du point de vue dramaturgique, il serait bien conventionnel de se contenter d’une critique d’Hitler et du nazisme. De n’en faire qu’une parodie jouissant du consentement d’un public acquis d’avance. Mais on ne peut toutefois pas ignorer l’univers de farce, de carnaval de la scène. On pourrait la penser comme une sorte de mystère moyenâgeux aux thèmes simples et radicaux : mort / naissance, bouffer / péter… Comme dans ce type de farce, comme chez Rabelais, l’humour chez Müller est subversif. Il est là pour troubler l’ordre établi et non flatter le public. Son énergie est celle de l’auteur : le rire est destruction. L’action dramatique est laboratoire de cruauté.
Il me semble dangereux d’en arriver à un théâtre de sens, puisque les idées que nous travaillons à travers cette scène sont et doivent rester contradictoires ; on ne peut manier l’Histoire sans précaution.
« Quand on essaie de traduire une idée par une image, soit l’image devient bancale, soit l’idée explose. Je suis plutôt pour l’explosion. » Erreurs choisies, 1982, L’Arche
« Klugu - (…) comme les marionnettes du théâtre guignol, qui ne bougent qu’en faisant des erreurs. Quand elles agissent correctement, c’est là qu’on s’ennuie.
Müller - Voilà qui pourrait être une forme. En quelque sorte, le sabotage théâtral devenu forme. » Profession Arpenteur, 1996, Théâtrales
« Le corps représente une fois pour toutes la réalité du théâtre, par opposition aux médias techniques, et il est déjà en ce sens intéressant. Le corps est toujours une objection aux idéologies. »Erreurs choisies, 1982, L’Arche
En m’appuyant sur ces citations de Müller, j’imagine une forme théâtrale qui pourrait se départir du réalisme - s’inspirant de la marionnette - sans annuler le corps de l’acteur. Une image de corps bancals et éclopés pour un théâtre terrible et grotesque. Un rire que seul la mort, l’effroi et la souffrance peuvent provoquer. Me vient alors tout de suite comme référence l’univers de Kantor. Müller parle de « transposition stylisée de la réalité immédiate ». Il me semble que le travail de Kantor pourrait répondre à cette définition.
D’autre part la prosopopée traverse toute l’œuvre de Müller. L’art de faire parler les morts à propos de leur temps mais surtout à propos du notre. C’est bien le cas ici. C’est un univers de spectres hantant notre mémoire, comme ils me semblent hanter l’univers de Kantor.
Mais ce dont Kantor me parle avant tout, c’est de la mise en mouvement des corps, leur destruction. Or l’écriture de Müller ne peut passer que par le corps de l’acteur. Et la dramaturgie entière de Germania Mort à Berlin repose sur la maltraitance, l’épuisement des corps. Pour le spectateur, il s’agit plus de sensation que de compréhension. C’est donc une véritable mise en mouvement des corps des acteurs que réclame La Sainte Famille. Ce qui suppose une écriture du mouvement, une chorégraphie, qui partirait de l’esthétique que nous propose Müller : « le sabotage théâtral devenu forme. »
Création de Guillaume Clayssen, avec Christophe Garcia, Frédérik Hufnagel, Julien Kosellek, Eram Sobhani
Des philosophes anciens, pour qui la pensée était inséparable de la vie, naissent à la scène à travers le récit profus et bariolé de Diogène Laërce. Leur quête de sagesse est, pour notre époque si pauvre en engagements, un explosif théâtral dont nous nous proposons d’être les artificiers ludiques et révoltés !
A une époque lointaine, l’Antiquité, la philosophie n’est qu’à quelques coudées du théâtre. On appelle alors « philosophe » celui qui met en vie sa propre parole. Mettre en vie la pensée c’est ne plus dissocier l’acte théorique du reste de l’existence. C’est cela être à la recherche de la sagesse. Mais jusqu’où peut aller cette quête qui, pour les tièdes modernes que nous sommes, a l’étrange allure de la folie ?
Cette vie philosophique menée par les Cyniques, les Sceptiques, les Stoïciens et d’autres Ecoles encore, a un intérêt théâtral. Paradoxe des paradoxes la philosophie ancienne constitue une matière aussi problématique pour la mise en scène que l’écriture dramatique contemporaine la plus violente et la plus dérangeante. Mais là, point de règlement de compte avec l’Histoire ou sa petite histoire, juste une cohérence de vie radicale qu’aucune puissance politique ou économique ne peut mettre en contradiction. Comment ainsi montrer la mort sublime, grotesque et horrible d’Héraclite l’Obscur ? Comment mettre en scène le corps de ce philosophe couvert de bouse, séchant au soleil et finalement dévoré par les chiens ?
C’est Diogène Laërce qui raconte toutes ces vies anciennes et incroyables dans un récit aussi éclectique que savoureux intitulé Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres. Dans cet ouvrage, qui constituera le matériau principal de notre travail, se conjuguent une narration échevelée et drôle dans son obsession d’inventaire et de précision, ainsi que des citations plus ou moins longues des philosophes eux-mêmes.
Nous évoquerons sur scène trois penseurs grecs illustres : Héraclite l’Obscur, celui pour qui « tout passe et rien ne demeure », Diogène le Cynique, qui dans son tonneau congédia Alexandre le Grand par cette formule célèbre « Ote-toi de mon soleil ! », ainsi que Zénon le Stoïcien qui, par amour du destin, mourut de son propre étranglement après s’être cassé un doigt en frappant la terre de sa main. Ces vies philosophiques doivent faire sens comme objet de récit. Aussi à ces trois légendes pensantes s’associera ce narrateur si singulier et étrange qu’est Diogène Laërce.
La scène figurera l’espace légendaire et incroyable de ces philosophes incorruptibles. Au premier plan, Diogène Laërce, le récitant hiératiquement drôle, combinant sans arrêt les anecdotes les plus vivantes et les plus théâtrales sur ceux qui ne séparent jamais leur existence de leur propre pensée. Au second plan, nos trois philosophes occuperont le grand plateau de l’étoile du nord de manière physique et follement agitée. Chacun d’entre eux réinventera son mode d’être philosophique par l’acte concret de l’imaginaire théâtral.
Le travail d’acteur pour ce spectacle consistera en un bricolage matériel et fantasmatique autour de la pensée. La scène racontera cet atelier de fabrication un peu étrange. Notre travail de metteur en scène aura pour but de rendre possible cette rencontre incongrue entre l’artisanat théâtral et l’artisanat philosophique, le jeu bricoleur et la pensée bricoleuse. Nous fournirons aux acteurs les outils et les matériaux nécessaires à la remontée intempestive du flux légendaire et increvable de la vie philosophique grecque. En ce sens nous ne faisons que suivre au plus près le rythme fragmentaire et effréné qu’exprime la prose de Diogène Laërce. Observons, pour nous en rendre compte, combien les articulations de son récit sur Diogène le Cynique peuvent donner lieu à un partage inventif et ludique de la prise de parole théâtrale :
Un jour où il se masturbait sur la place publique, il s’écria : « Plût au ciel qu’il suffît aussi de se frotter le ventre pour ne plus avoir faim ! » Voyant un jeune homme qui s’en allait déjeuner avec des satrapes, il l’en empêcha, le tira à part, le ramena chez ses parents et leur conseilla de le surveiller. A un autre garçon qui s’était fardé et qui lui posait une question, il déclara qu’il lui répondrait seulement quand il se serait mis tout nu, et qu’il pourrait voir si son interlocuteur était un homme ou une femme. Il dit à un autre qui au bain jouait au cottabe : « Mieux tu feras, pis ce sera. » Pendant un repas, on lui jeta des os comme à un chien ; alors, s’approchant des convives, il leur pissa dessus comme un chien. Aux orateurs et à tous ceux qui avaient quelque réputation d’éloquence, il donnait le nom de trois fois hommes, c’est-à-dire de trois fois malheureux. Un riche ignorant était pour lui un mouton à toison d’or. Voyant sur la maison d’un libertin l’écriteau : « A vendre », « Je savais bien, dit-il, que tu étais à vendre, et tu vomirais facilement ton maître, ô maison, tant tu as l’estomac lourd d’ivrognerie. » Un garçon se plaignait à lui de recevoir des propositions de trop de gens, il lui dit : « Tais-toi donc, et ne montre pas partout les indices de tes désirs impurs. » Étant entré dans un bain malpropre, il demanda : « Ceux qui se sont baignés ici, où se lavent-ils ? ».
Cette forme courte que nous proposons devra être l’instantané théâtral d’une histoire philosophique archaïque dont l’intelligence violente et physique ne peut être que salutaire pour nous. Peut-être alors surgira-t-il cette vérité commune à l’acteur et au philosophe que ma vie ne devient intense que si je travaille à rendre mon corps et ma pensée logiques entre eux.
Conçu et interprété par Stéphane Auvray-Nauroy et Selim Clayssen
Mettre en scène différentes représentations du corps pour interroger l'existence de l'identité sexuelle. Jouer des clichés, semer le doute sur les limites de la chair.
J'ai un corps ou je suis un corps? Jeter le trouble sur ce que serait un homme, ce que serait une femme, sur notre connaissance de notre sexualité : ai-je une connaissance intime de la singularité de ma sexualité ou suis-je conditionné dans mon désir par l'héritage familial, social, culturel...
Un homme et un homme travesti. Montrer par une succession d'images théâtrales, avec de la danse et du chant, le corps dansant, chantant, hurlant, désirant. Où est le masculin ? Où est le féminin ? La frontière est-elle ce qu'on nous en dit ?
Avec - peut être - des bribes de textes de Genet, Sénèque, Rilke, Barthes, Artaud, Quignard, Régy...
Création collective dirigée par Julien Kosellek, avec Julie Audrain, Laure Espinat, Nicolas Grandi, Julien Kosellek, Luc Martin, Elise Pradinas, Maryline Rebeyrol, Julien Varin
Compagnie estrarre
Cette forme courte est une esquisse. L’esquisse d’une création regroupant de jeunes acteurs qui se sont rencontrés lors de leur formation et qui construisent ensemble un spectacle dans lequel convergent leurs envies d’acteurs ; textes, musique, danse. Désir et manipulation, voilà le thème, que nous ne cherchons ni à épuiser ni à expliquer, mais qui nous met en mouvement, nous émeut.
L’idée est que l’acteur est au centre de tout. Qu’il est le théâtre. Qu’il est l’un des deux seuls éléments indispensables pour qu’il y ait théâtre, avec le spectateur. Donc une envie de donner sa place à l’interprète. Ici nous nous donnons toutes les places. C'est-à-dire que dans cette création collective, les interprètes doivent construire le spectacle. Du début à la fin. Ce qui veut dire notamment que l’acteur pense la création avant de donner sa chair à la scène. Nous avons travaillé ensemble à ce que le spectacle devait dire, à la forme qu’il devait prendre, aux formes que nous allions traverser. Les interprètes sont tous responsables du spectacle, ils font les choix.
Nous travaillons donc sur : désirs et manipulations. Leurs interactions, leurs évocations possibles, leur place en l’homme. Evidemment, cela n’a rien d’exhaustif. Ni d’exclusif, puisque ce n’est qu’un prétexte à la création et que nous pouvons nous éloigner du thème à tout moment.
Nous partons de références artistiques et esthétiques. Kantor, Pina Bausch, Schiele, Beecroft… Et d’une dramaturgie basée sur la question, le déplacement, plus que sur la réponse ou l’opinion. Car il s’agit encore une fois de toucher aux perceptions, aux sensations. Nous ne nous permettons pas de dire ce qui est bien ou mal, d’ailleurs on s’en fout pas mal. On va plutôt voir du côté du mouvement ; quels sont les mouvements du désir ou ceux de la manipulation. Quels mouvements dans la pensée aussi ; dans la pensée de ceux qui y ont pensé, dans la pensée de celui qui éprouve, dans la pensée de l’interprète. Baser le travail sur le mouvement nous permet de poser les questions, d’interroger les représentations possibles, de provoquer un déplacement chez l’interprète et le spectateur.
Nous ne savons pas encore ce que sera Concerto du fond de ma bouche, nous ne savons pas encore ce que nous vous présenterons. Nous savons qu’il y a du texte aussi bien que de la danse, de la musique aussi bien que de l’action scénique.
16, rue Georgette Agutte 75018 Paris