Une plongée dans les tranchées
Note de mise en scène
Extrait
Cris est une plongée dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale, dans ces nuits de terreur et de boue. C’est la voix des hommes en souffrance qui se fait entendre.
Celle de Jules, permissionnaire, qui quitte le front mais reste hanté des visions de cauchemar et cherche le moyen de témoigner de ce qu’il a vécu. Celle de Marius qui décide d’abandonner son poste pour partir à la poursuite de l’homme cochon, cet être fou qui déambule, jour et nuit, entre les lignes en hurlant à tue-tête. Celle du Lieutenant Rénier et de ses hommes, enfin, qui montent pour la première fois au front et vont connaître la peur et le sacrifice.
A travers cette multitude de trajectoires, c’est le chant de la tragédie qui se fait entendre. Un chant de douleur et de fraternité.
Laurent Gaudé trace un chemin singulier entre théâtre et roman. Lorsque j'ai lu Cris, j'y ai vu d'emblée une oeuvre théâtrale d'une force peu commune et pourtant c'est un roman. C'est sans doute la frontière, la limite qui s'exprime dans cette oeuvre qui m'intrigue, comme si l'auteur se refusait à choisir vraiment alors entre la forme théâtrale et la forme romanesque. Notre enjeu ici sera avant tout de transformer cette matière hybride en matériau de plateau vivant.
L'écriture est nerveuse, extrêmement charpentée, plusieurs fables et les douze personnages offrent par la densité de leur parcours de belles partitions pour de jeunes acteurs.
Et puis la guerre, vue du côté de ceux qui meurent plutôt que de ceux qui survivent, il n'y a pas de héros dans Cris, le spectateur est confronté tout au long du spectacle à la disparition possible à tout moment de chacune des figures.
Stanislas Nordey
Le médecin
« Les cris que poussent les hommes qui se débattent sur mes tables, je ne sais pas les nommer… Je ne sais pas ce qui peut produire les cris dont tu parles et que j’ai moi-même déjà entendus, animal ou homme. Je ne sais pas si ce sont des lamentations ou les fous rires d’une bête sauvage. On dit que c’est un soldat, aliéné lors d’une attaque, qui n’a jamais retrouvé ses lignes et qui erre en nous insultant, nous qui n’avons jamais rien fait pour essayer de le retrouver. Personne ne peut dire si c’est un Allemand ou un Français. Personne ne peut dire de quoi il vit et où il se terre. Certains affirment que c’est le fantôme écorché du champ de bataille. Qu’il vient hurler à nos oreilles, la nuit, pour nous rappeler nos meurtres du jour. Je ne sais pas Marius. Mais je suis sûr d’une chose, c’est qu’il ne reviendra pas. Ni ici, ni en face. Tant qu’il aura un peu de force, tant que ses poumons pourront s’emplir d’air, de l’air vicié des charniers, il gueulera sur nos têtes pleines de dents. »
Cris, Laurent Gaudé, édition Babel, page 31
159 avenue Gambetta 75020 Paris