Note d'intention
Extrait
Note de l'auteur
Du pauvre B.B.
Par la Compagnie Hypermobile
Traduction de Stéphane Braunschweig. Le texte est publié aux éditions de L’Arche.
«Une bibliothèque de prêt : un homme d’affaires douteux, Shlink, se propose d’acheter à l’employé Garga le point de vue anodin qu’il porte sur un livre insignifiant. Garga refuse, les enchères montent, le combat s’engage…
Écrite en 1923, avant l’élaboration de son théâtre épique, la pièce permet de découvrir un jeune Brecht surprenant qui évoque Rimbaud par son esprit de vagabondage furieux et anarchique : "J’essayais des combinaisons de mots comme on mélange des boissons fortes". L’œuvre s’organise en une succession de rounds, et les opposants sacrifient tout : famille, travail, fortune, pouvoir. Et si le combat s’avère n’être qu’une lutte avec l’ombre, tous deux y verront leur désir mis à nu ; mort pour l’un, découverte amère et ironique de la liberté pour l’autre. "De ces villes restera celui qui les traversait : le vent." »
Clément Poirée
Shlink. Vous relevez le combat ?
Garga. Oui ! Naturellement sans
mise en jeu de ma part.
Shlink. Et sans en demander la
raison ?
Garga. Sans en demander la raison.
Je ne veux pas savoir à quoi vous
sert un tel combat.
« Je me souviens, pas très précisément il est vrai, dans quelles circonstances fut écrite la pièce Dans la jungle des villes ; en tout cas, je me rappelle les aspirations et les idées qui me hantaient alors. D’abord j’avais vu une médiocre représentation des Brigands de Schiller, une de ces représentations dont la pauvreté même fait ressortir les grandes lignes d’une bonne pièce et où les intentions valables du poète ressortent dans la mesure même où elles n’ont pas été réalisées.
Dans cette œuvre, donc, on se dispute un héritage bourgeois par des moyens qui sont loin d’être tous bourgeois ; la lutte est extrêmement sauvage et déchirante. C’était la sauvagerie de cette lutte qui m’attirait. Or, en ces années là (après 1920), je m’intéressais au sport en général, et à la boxe en particulier, en tant que manifestation des « grandes distractions mythiques dans les villes géantes de l’autre côté de la grande mare à harengs». De sorte que je voulais dans ma nouvelle pièce faire disputer une sorte de « combat en soi » ; un combat sans autre cause que le plaisir de se battre, et sans autre but que de déterminer le «meilleur homme ».
Bertolt Brecht, Théâtre complet, t.vi, L’Arche, 1957
Moi, Bertolt Brecht, je suis des forêts noires,
Ma mère m’a porté dans les villes, alors
Que j’étais dans son ventre. Et le froid des forêts
Sera en moi jusqu’au jour de ma mort.
Je suis chez moi dans les villes d’asphalte. Muni
Depuis toujours des derniers sacrements :
De journaux. De tabac. Et d’eau-de-vie.
Soupçonneux, paresseux, satisfait finalement.
Je suis gentil avec les gens. Je fais ce qu’ils font,
Je porte un chapeau melon. Je dis :
«Ce sont des animaux à l’odeur tout à fait spéciale. »
Et je dis : « Ça ne fait rien, J’en suis un, moi aussi. »
De temps à autre, avant midi, sur mes chaises à bascule,
J’assieds deux ou trois femmes, en toute tranquillité.
Je les regarde et je leur dis : «Vous avez avec moi
Quelqu’un sur qui vous ne pouvez pas compter. »
Le soir je réunis chez moi quelques hommes,
Nous nous adressons les uns aux autres en nous donnant
Du « gentleman». Les pieds sur ma table ils disent : «Pour nous
Les choses vont aller mieux. » Et jamais je ne demande: «Quand? »
Vers le matin, dans le petit jour gris les sapins pissent
Et leur vermine, les oiseaux, commence à crier.
C’est l’heure où moi, en ville, je vide mon verre, jette
Mon mégot et m’endors, inquiet.
Nous nous sommes installés, espèce légère,
Dans les demeures dites indestructibles (en pratique
Nous avons construit ces grandes boîtes de l’île Manhattan
Et ces fines antennes qui distraient L’Océan Atlantique).
De ces villes restera : celui qui les traversait, le vent !
Sa maison réjouit le mangeur : il la vide. Nous sommes,
Nous le savons, des gens de passage
Et ce qui nous suivra : rien qui vaille qu’on le nomme.
Dans les cataclysmes qui vont venir, je ne laisserai pas, j’espère,
Mon cigare de Virginie s’éteindre par amertume, moi,
Bertolt Brecht, jeté des forêts noires
Dans les villes d’asphalte, au temps où dans ma mère, autrefois.
Moi, Bertolt Brecht, je suis des forêts noires,
Ma mère m’a porté dans les villes, alors
Que j’étais dans son ventre. Et le froid des forêts
Sera en moi jusqu’au jour de ma mort.
Bertolt Brecht, traduction Maurice Régnaut.
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