Le verbe théâtral
L’Acteur sacrifiant
Notes sur le spectacle
De la parole s’envole de partout en ruban. (Valère Novarina)
Commencée à la fin des représentations de L'Origine rouge, La Scène témoigne des questions les plus simples et les plus enfantines que l'on pose au théâtre : Que voit-on sur scène ? Voit-on les hommes ou leur langage ? Les acteurs chutent : souffrent-ils vraiment ? La passion, à laquelle on assiste n'est-elle celle du langage ? La parole est-elle notre matière, comme le bois pour Pinocchio ? Pourquoi revenons-nous toujours au théâtre rire de notre chute ?
Certainement que la pièce s'achèvera par un rébus : la résolution de toutes choses en une phrase tournoyant dans l'espace.
La scène où l’acteur entre est à chaque fois la table de l’espace offerte et nouvelle devant nous : un vide où opérer l’homme - disséminé, épars, déconstruit en paroles faits et gestes, chutes, stations. L’acteur porte l’homme devant lui : il marche sur le plateau apparaissant soudain comme une portée humaine.
Mi-bête, mi-homme, tigre et dompteur, centaure parlant, moitié d’animal, homme hors de lui - il retourne le corps humain à l’envers, il présente l’homme en anatomie ouverte et en grammaire apparente : tout l’intérieur humain exposé devant nous, offert, sacrifié aux point cardinaux. Chaque fois qu’un acteur entre, de l’homme apparaît tout ouvert et sans aucun sous-entendu humain.
À la fin, plus personne sur scène - mais la figure humaine répandue en parole. Nous assistons au théâtre à la passion du langage : l’effusion de la parole a eu lieu devant nous, son offrande. Comme si le langage était le vrai sang. […] Par la manducation de sa bouche, par le feu de combustion de son système respiratoire, orant et en déséquilibre, victime et sacrificateur, l’acteur est un logophore qui porte son langage comme une anatomie devant soi, qu’il verse, épanche visiblement - c’est l’acteur analphabétique, il détresse les langues, les coud autres, dévide les paroles, dé-représente et disparaît une fois les mots brûlés dans l’air.
Sur la table de la scène, le premier sacrifié c’est le personnage, le deuxième c’est l’acteur, et le troisième c’est toi, spectateur…
Valère Novarina, janvier 2003
La peinture de Valère Novarina tente de capter au sol les énergies de l’espace, les variations thermiques, magnétiques du lieu, les matières souterraines, les angles invisibles, les rivières cachées. L’écrivain use du matériau pictural comme du verbe : langues à vifs, dialectes oubliés, latin animal, grec de cirque, patois en perdition ou néologismes jaillissants. Son langage singulier, du Discours aux animaux à L’Origine rouge, du Drame de la vie à L’Opérette imaginaire donne à voir le verbe théâtral comme substance charnelle, parfois douloureuse, souvent comique.
“ Que voit-on sur scène ? ” Les acteurs chutent. Souffrent-ils vraiment ? La passion qui s’offre devant nous est-elle celle de l’acteur - ou du langage ? La parole est-elle notre matière véritable - comme le bois pour Pinocchio ? Sommes-nous en mots comme les pantins sont en bûches ? Sommes-nous les jouets de ce que nous entendons ? Comment se développe et s’explique dans l’espace, comment se déplie le tissu respiré, du langage ? Comment le spectateur se souvient-il de l’envers des mots et toujours du négatif de la scène précédente ? Pourquoi l’acteur entre-t-il ? Que voit-on dans le langage ? Rien ? Toutes les choses ? Est-il notre chair ? Est-il la matière même ? Le langage est-il l’Acteur de l’Histoire ?
Retournant sur les lieux de L’Origine rouge, Valère Novarina poursuit et précise sa recherche d’un théâtre où le spectateur et l’acteur seraient agis par la force “ hallucinogène, salvatrice et terrifiante ” des mots - et où sur scène, par instants, la parole se verrait.
15, rue Malte Brun 75020 Paris
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Guy n°20010