Résumé de la pièce
Note d'intention du metteur en scène
Autour de Les Fusils de la mère Carrar
Maurice Maeterlinck
La presse en parle
Nous sommes en Espagne à la fin du mois d’avril 1937.
La guerre civile qui oppose les forces républicaines du gouvernement socialiste, démocratiquement élu en février 1936, aux putchistes de l’extrême droite, en rébellion depuis le 18 juillet 1936, est à son apogée. La ville de Guernica vient d’être anéantie par les bombardiers nazis venus soutenir les phalanges franquistes.
Brecht a écrit Les Fusils de la mère Carrar pour répondre à la politique de non-intervention défendue par les démocraties occidentales vis-à-vis de la guerre civile espagnole. En un acte - le temps que cuise le pain - la pièce fait le récit du cheminement de Teresa Carrar, veuve de guerre, qui s'oppose au départ pour le front de ses deux jeunes fils.
L'un d'eux pêche en mer. Le frère de Teresa, venu chercher les fusils de son défunt mari, la presse, des villageois aussi. Carrar résiste de tout son être. Mais, devant le corps de son fils assassiné sur son bateau par une patrouille maritime alors qu'il pêchait de nuit, elle remet les trois fusils qu'elle tenait cachés.
Cette volte-face in extremis est-elle crédible ? Pour Antoine Caubet, le metteur en scène, l'acceptation de la mère ne consacre pas la fin d'un aveuglement, mais apparaît plutôt comme un cri de rage et de douleur, une sorte de suicide irraisonné : " Il ne s'agit ici ni de drame de guerre, ni de théâtre militant. Il s'agit, avec des corps, de la lumière, des sons, de décrire les tourments d'une femme qui veut seulement garder ses enfants vivants au milieu d'une guerre."
Voilà ce qui fait la beauté cachée de cette œuvre : la vérité ne se situe pas seulement dans l'argumentaire, mais également dans l'autre dimension du langage : celle qui exprime les émotions et la souffrance. Et les affrontements qui animent la pièce ne sont autres que le reflet du déchirement intérieur de l'héroïne, sorte de mise en scène de l'éternelle conversation dont on s'entretient soi-même - la vie de l'esprit.
"Un pauvre ne peut pas se dresser contre les généraux. Je ne l’ai pas mis au monde pour que derrière une mitrailleuse il guette ses semblables. S’il y a de l’injustice dans le monde, je ne lui ai pas appris à s’y associer. S’il revient ce n’est pas parce qu’il dirait qu’il a battu les généraux que je lui ouvrirai davantage ma porte !
Je lui dirai, et ça à travers la porte, que je ne veux personne dans ma maison qui se soit couvert de sang. Je le retrancherai de moi-même comme un pied malade.
Je le ferai. On m’en a déjà ramené un. Lui aussi croyait qu’il aurait de la chance. Mais nous n’avons pas de chance. Peut-être que vous le comprendrez avant que les généraux en aient fini avec nous." (La mère Carrar à son frère)
Traduction française de Gilbert Badia (Éditions L'Arche).
Les Fusils de la mère Carrar est une pièce écrite à la va-vite par Brecht pour répondre à la politique de non-intervention défendue par les démocraties occidentales vis-à-vis de la guerre civile espagnole. Pièce de circonstance donc, et qui n’est pas destinée à finir au Panthéon brechtien, de l’aveu même de son auteur… petite pièce en effet, rapide, où la maïeutique et la didactique brechtienne se mettent à l’œuvre aisément, où la "bonne" politique, l’engagement nécessaire sont vertueusement démontrés par le sympathique et rusé ouvrier venu récupérer les fusils chez sa sœur…
Considérée comme cela, ce qu’elle fut pendant des décennies, la pièce peut paraître simpliste et quelque peu datée, sans écho sur nous aujourd’hui. Mais peut-être faut-il être infidèle à cette vision de Brecht pour le regarder en face, peut-être faut-il le prendre à contrario pour le découvrir…
Car enfin, qui peut une seconde croire que la mère Carrar "s’engage", après avoir résisté de tout son corps et de toute son âme, parce que son fils est mort et que la "lumière" de la raison l’illumine enfin, définitivement, et met un point final à son aveuglement ? N’est-ce pas bien plus une sorte de fuite en avant vers le combat, vers la perte de soi-même, un cri et de douleur et de rage désespérées, une folie, oui une folie, une extrême violence qui soudain l’envahit. Car (et n’en déplaise à Brecht lui-même) nous ne vivons pas gouvernés par la raison et la dialectique, mais nos corps et nos émotions sont portés et bouleversés, emmenés par les vents des évènements et de l’histoire. Et face à cette histoire qui nous prend, nous essayons de penser, de réfléchir et de nous déterminer, mais tout entier, corps et âme, et pas seulement avec une pensée claire et raisonnable…
Ainsi, les conversations qui animent la pièce sont une sorte de réfléxion intérieure menée par le personnage de Carrar, ce sont les bribes de ce qu’on se dit à soi-même, tout ce que l’on ne sait que trop, l’éternelle conversation, murmure, dont on s’entretient soi-même, la vie même de l’esprit.
Antoine Caubet
Autour de Les Fusils de la mère Carrar
"Nous avons pensé que la critique marxiste donnait la clef pour l’explication de l’histoire passée et présente.
Nous avons trouvé des exemples merveilleux de vertu, de dévouement, d’enthousiasme et de capacité de travail, d’efficace, de désintéressement, d’affranchissement, dans les sections et les individus du parti. La froideur et la critique sans pitié nous attiraient aussi. Comme les sacrifices demandés aux goûts et aux sentiments, voire à l’intelligence individuelle. La critique a posteriori des conclusions de l’intelligence et de nos propres "textes" nous séduisait fort. Elle nous parut ressembler à la critique des textes par le Temps. Ce n’était qu’un des points de vue de l’artiste que nous sommes (L’artiste ne refuse aucun point de vue critique).
Mais nous nous sommes aperçus de plusieurs choses : que cette critique ad hominem (critique économistique) ne valait pas mieux que la critique psychologique, qu’elle engendrait une prétention grotesque et criminelle, qu’elle refoulait l’instinct, l’intelligence du cœur.
1° Tuait, le désir, l’élan.
2° Créait une prétention desséchante, un rigorisme ridicule et tuant."
Francis Ponge in Nioque de l’avant-printemps, L’imaginaire ©Gallimard,
Les Fleurys, 8 avril 1950
"Et, sortant de l'espace, j'entre dans le jardin en friche des grandeurs et j'arrache la permanence trompeuse, la belle assurance des causes. Infini, je lis seul ton manuel, sans personne, l'herbier sauvage et nu, le recueil de problèmes des géantes racines."
Ossip Mandelstam, Tristia et autres poèmes, NRF, Poésie ©Gallimard
"Le propos de l’art, si tant est qu’il ait un propos, est la vérité, une tentative vaine, ratée, d’atteindre la vérité - le contraire de la politique, qui n’est pas vaine mais a un but précis, et qui prévoit non de rater mais de réussir, et est, c’est bien connu, pleine de mensonges (pas les mensonges des politiciens, mais les mensonges de la simplification). Elle traite, comme le théâtre qu’elle engendre, du connaissable et du connu, alors que l’art traite de l’inconnaissable et de l’inconnu."
"Pour inventer la vérité, l’artiste doit descendre dans l’inconnu sans limites de l’âme humaine ; résister à l’évident et aller au cœur enfoui des choses où le sens même est rare. "
Gregory Motton, extraits d’un article paru dans The Guardian du 16 avril 1992
" Il ne s’agit plus ici de la lutte déterminée d’un être contre un être, de la lutte d’un désir contre un autre désir ou de l’éternel combat de la passion et du devoir. Il s’agirait plutôt de faire voir ce qu’il y a d’étonnant dans le fait seul de vivre. Il s’agirait plutôt de faire voir l’existence d’une âme en elle-même, au milieu d’une immensité qui n’est jamais inactive. "
"Et si nous sommes étonnés par moments, il ne faut pas perdre de vue que notre âme est souvent, à nos pauvres yeux, une puissance très folle, et qu’il y a en l’homme bien des régions plus fécondes, plus profondes et plus intéressantes que celle de la raison ou de l’intelligence."
Maurice Maeterlinck, "Le tragique quotidien", in Le trésor des humbles
(Les textes de Motton et Maeterlinck sont cités dans Répliques ©Babel, La Mort de Tintagiles, commentaire dramaturgique de Claude Régy).
La haute poésie, à la regarder de près, se compose de trois éléments principaux : d’abord la beauté verbale, ensuite la contemplation et la peinture passionnées de ce qui existe réellement autour de nous et en nous-mêmes, c’est-à-dire la nature de nos sentiments, et enfin, enveloppant l’œuvre entière et créant son atmosphère propre, l’idée que le poète se fait de l’inconnu dans lequel flottent les êtres et les choses qu’il évoque, du mystère qui les domine et les juge et qui préside à leurs destinées. Il ne me paraît pas douteux que ce dernier élément est le plus important.
Voyez un beau poème, si bref, si rapide qu’il soit. Rarement, sa beauté, sa grandeur se limitent aux choses connues de notre monde. Neuf fois sur dix, il les doit à une allusion aux mystères des destinées humaines, à quelque lien nouveau du visible à l’invisible, du temporel à l’éternel.
Or, si l’évolution peut-être sans précédent qui se produit de nos jours dans l’idée que nous nous faisons de l’inconnu ne trouble pas encore profondément le poète lyrique, et ne lui enlève qu’une partie de ses ressources, il n’en va pas de même du poète dramatique. Il est peut-être loisible au poète lyrique de demeurer une sorte de théoricien de l’inconnu. À la rigueur il lui est permis de se tenir aux idées générales les plus vastes et les plus imprécises. Il n’a point à se préoccuper de leurs conséquences pratiques. S’il est convaincu que les divinités d’autrefois, que la justice et la fatalité n’interviennent plus aux actions des hommes et ne dirigent plus la marche de ce monde, il n’a pas besoin de donner un nom aux forces incomprises qui s’y mêlent toujours et dominent toute chose. Que ce soit l’univers ou Dieu qui lui paraisse immenses et terribles, il importe assez peu. Nous lui demandons principalement qu’il fasse passer en nous l’impression immense ou terrible qu’il a ressentie.
Mais le poète dramatique ne peut se borner à ces généralités. Il est obligé de faire descendre dans la vie réelle, dans la vie de tous les jours, l’idée qu’il se fait de l’inconnu. Il faut qu’il nous montre de quelle façon, sous quelle forme, dans quelles conditions, d’après quelles lois, à quelle fin, agissent sur nos destinées, les puissances supérieures, les influences inintelligibles, les principes infinis, dont, en tant que poète, il est persuadé que l’univers est plein. Et comme il est arrivé à une heure où loyalement il lui est impossible d’admettre les anciennes, et où celles qui les doivent remplacer ne sont pas encore déterminées, n’ont pas encore de nom, il hésite, il tâtonne, et s’il veut rester absolument sincère, il n’ose plus se risquer hors de la réalité la plus immédiate. Il se borne à étudier les sentiments humains dans leurs effets matériels et psychologiques.
Dans cette sphère il peut créer de fortes œuvres d’observation, de passion et de sagesse, mais il est certain qu’il n’atteindra jamais à la beauté plus vaste et plus profonde des grands poèmes où quelque chose d’infini se mêlait aux actions des hommes ; et il se demande s’il doit décidément renoncer aux beautés de cet ordre.
Préface à l’édition du "théâtre complet", 1901
"La scénographie (Isabelle Rousseau) tient de l'épure. Pas d'accessoires, rien que des signes. La scène est lieu de débat. Vitez réclamait "un théâtre des idées". En voilà. (…) Ce travail rigoureux, d'une simplicité savante, nous convie à penser sur un mode fraternel, agite devant nous les questions de l'action inéluctable, pèse le pour et le contre sur la balance des émotions aiguillée par l'appartenance de classe. Ce n'est pas tout à fait antédiluvien. "Jean-Pierre Léonardini, L'Humanité, 24 janvier 2005
"Caubet nous fait en effet cheminer dans une âme entre secrets et aveux, obscurité et lumière. Carrar "fait son deuil" en se préparant elle-même à la mort, en sortant les fusils ; celle-ci supporte l'indicible en combattant, en s'oubliant, en s'offrant. Sous des éclairages crépusculaires, comme en noir et blanc, c'est incompréhensible, mystérieux. Et silencieusement bouleversant." Fabienne Pascaud, Télérama, 9 novembre 2005
"(…) Cela vaut le coup de tendre l'oreille, parce que tout résonne : les contradictions des personnages (les voisins qui écoutent la radio et ont des enfants dasn les deux camps, le curé qui penche pour la République), la violence des sentiments de la mère, qu'interprète une actrice d'une puissance rare, de la tête aux pieds. Caubet cite le cinéaste Jean-Marie Straub expliquant que, pour qu'un texte tienne debout, il faut d'abord que l'acteur se tienne debout : " il n'y a pas d'âme en dehors du corps. Et quand un corps n'a pas (…) de forme, il n'a pas d'âme." Elisabeth Moreau est une actrice qui se tient debout." René Solis, Libération, 5 novembre 2005
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