" Nous n’étions coupables de rien. Ou bien si peut-être ? "
Éva et Rudi, en deuil de leur fille suicidée il y a quinze ans, évoquent avec Georges et Isabelle, leurs amis d’enfance, la présence de la jeune fille, dont le fantôme s’est logé sous l’escalier, et le retour de leur fils adoptif disparu à la même époque. Leurs amis, eux, sont fiers de leur fils, le “maître d’école” qui fait la joie de leur vieillesse et vient chaque soir les visiter. Des fautes cependant semblent alourdir son âme.
Ailleurs, dans la petite ville tranquille et paisible, une femme étrangère dérange la réunion des parents d’élèves, prétendant que le “maître d’école” aurait violé son enfant. Impuissante face au mur solidaire des parents, elle s’obstine à faire entendre la voix de sa terreur.
Après Hilda qu’il met en scène au Rond-Point en 2005 et la commande d’une première pièce Rien d’humain (2003), Christophe Perton poursuit son chemin avec Marie NDiaye. La mort, la famille, les fantômes, l’héritage, la culture et l’humiliation : autant de thèmes jetés en vrac dans leurs discussions comme des mots paysages et dont l’auteur s’est emparée pour faire jaillir une nouvelle œuvre ciselée et tranchante. Comme dans ses romans, elle scrute, au cœur même du réel et sa trivialité, ce qui en révèle la profonde étrangeté, l’énigme ou le malaise.
Texte publié aux éditions Gallimard.
J’aime raconter des histoires qui me sont proches, dans lesquelles je me sens intimement impliqué. On a beau dire qu’un Marivaux est moderne, visionnaire, etc., il n’en reste pas moins un auteur d’une autre époque et les meilleures relectures n’en font pas mon contemporain. Les rares classiques que j’ai pu aborder étaient pour la plupart des pièces inédites en français (Lenau, Lenz, Euripide). Mais j’ai surtout besoin au théâtre du regard sur le monde et de la pensée des écrivains qui sont mes contemporains.
Je connaissais Marie NDiaye par ses romans. Elle a accepté d’écrire une première pièce pour la Comédie de Valence à la demande de Pauline Sales, qui travaillait à mes côtés en tant qu’auteure permanente. C’est ainsi que j’ai fait sa connaissance. J’ai ressenti progressivement une forte proximité avec son écriture, son univers et sa personnalité. Il y a une dimension fantastique et une part de mystère dans son écriture qui me touchent profondément comme si quelque chose dans sa compréhension passait par des réseaux souterrains où l’intuition est peut-être plus forte que la raison.
Dans Les Grandes Personnes, il est question de parents terribles, insouciants et de vieux enfants qui attendent d’être libérés de leurs rôles, de trahison et de manquement à sa parole, de crime et de mort, d’esprits qui reviennent réclamer justice ou offrir la consolation. C’est un récit sur le mensonge et le manque d’amour.
Je travaille avec des comédiens d’horizons différents et je tente des réunions parfois improbables. Je ne crois pas avoir constitué de famille d’acteurs mais avec le temps se créent de vraies fidélités. Pour Les Grandes Personnes, lorsque nous en avons parlé avec Marie NDiaye, j’ai pu évoquer des figures d’acteurs auxquels je pensais. D’une certaine façon, la pièce a été écrite pour certains d’entre eux.”
Christophe Perton
L’écriture [de Marie NDiaye] produit une sorte de film, plus ou moins transparent, mais qui arrache la réalité à sa tranquille normalité. Elle crée une distance minimale mais suffisante pour que le monde nous apparaisse autrement, dans son inquiétante étrangeté, fait de monceaux de couleurs dont le dessin continue à nous échapper, comme lorsque nous regardons de trop près une affiche. Défamiliarisé, le monde se montre dans sa brutale cruauté, une cruauté mise à nu par la quête insatiable d’une famille où, enfin, peut-être, nous pourrions nous sentir reconnus et aimés.
[...] L’étrange fatalité qui accable et singularise les héros de Marie NDiaye réside dans cette faculté malheureuse qu’ils ont de ne pas savoir ni pouvoir se fondre dans le flux. Ils vivent douloureusement la résistance subjective qu’ils opposent malgré eux au monde, comme si, précisément, cette seule et incompréhensible barrière, celle d’être encore un sujet moral, leur interdisait d’accéder enfin au Réel, les empêchait d’accepter sans plus de scrupules de devenir amoral du monde.
Dominique Rabaté, Marie NDiaye, Culture France/Éditions Textuel/INA, 2008
Le théâtre [de Marie N Diaye] peut apparaître comme une sorte de principe de simplification ou de dénudation des mécanismes qui régissent l’oeuvre romanesque, mais selon un éclairage plus direct, une dramaturgie plus resserrée. Comme chez Samuel Beckett, Nathalie Sarraute ou Robert Pinget (pour prendre à dessein des écrivains de prose romanesque qui sont passés à un moment crucial de leur oeuvre par le théâtre), le choix du mode dramatique est sans doute, pour Marie NDiaye, à la fois le moyen d’un déblocage et la poursuite, par un autre biais, du même travail sur le langage et sur la représentation des relations humaines mises à nu.
Si le ressort de l’action n’est plus confié qu’au seul jeu des dialogues – il y est très peu fait appel aux ressources du monologue, à la présence d’un seul personnage en scène - la mécanique des relations intersubjectives se révèle dans la froideur de ses mouvements, dans la géométrie glaçante de ses renversements. C’est une quasi-abstraction des affrontements, qui révèle l’essence terrible de la relation humaine, dans ce qu’elle a justement d’inhumain, pour reprendre le titre de la pièce intitulée Rien d’humain.
Dominique Rabaté, Marie NDiaye, Culture France/Éditions Textuel/INA, 2008
« Marie NDiaye a brodé une pièce en forme de roman dans laquelle s'enchevêtrent tous ses thèmes obsessionnels, l'amour de et pour ses parents, l'aveu, la culpabilité, l'adoption et la vie avec des fantômes qui sont, comme on sait, toujours présents parmi nous. Comme dans les livres qui lui ont valu ses grands succès, elle mêle tout cela dans sa langue de feu. Elle a la chance d'être servie par des acteurs magnifiques. » L'Express, Philippe Alexandre
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