" On servit des rognons de taureau, des loirs, des rossignols, des hachis dans des feuilles de pampre ; et les prêtres discutaient sur la résurrection. " Gustave Flaubert
Noli me tangere, « ne me touche pas ! » dit le Christ ressuscité à Marie-Madeleine. Pour tous ses contemporains, ce n’est encore qu’une phrase latine qui dit bien ce qu’elle veut dire : Hérode voudrait toucher sa nièce, qui voudrait toucher Jean-Baptiste, qui ne voudrait pas qu’on le touche. Après sa mémorable Dame de chez Maxim, Sivadier retrouve l’Odéon avec une désopilante « comédie biblique » de son propre cru...
La scène est en Judée, en 26 de notre ère, dans la citadelle de Machaerous. Du haut de ses remparts s’ouvre une perspective imprenable sur la Mer Morte. En se penchant, Hérode le Tétrarque peut en voir miroiter les eaux, et scintiller peut-être les piques et les éperons des troupes que les nomades ont levées contre lui. Le Tétrarque sait-il déjà qu’il va recevoir de la visite – celle d’une fille un peu trop belle, celle d’un homme un peu trop puissant ? Pris entre le désir de l’une et la crainte de l’autre, ce pauvre Hérode risque de perdre la tête - si l’on ose dire…
À l’Odéon, depuis les temps déjà lointains où Italienne avec orchestre faisait asseoir dans la fosse ses spectateurs ravis de se prendre pour des musiciens, nous apprécions le travail de Jean-François Sivadier et de son équipe. Un Lear, un Danton, et une Dame de chez Maxim plus tard, il a plus que confirmé sa stature de metteur en scène. Il nous revient cette fois-ci, accompagné d’une bonne partie des comédiens de La Dame, pour créer l’un de ses propres textes, une bien curieuse machine à jouer qui puise ses ressources chez Wilde et Shakespeare et parcourt une variété de tons allant du lyrique au trivial, voire à la franche bouffonnerie.
De la Salomé de Wilde (écrite directement en français et inspirée, comme on sait, du dernier des Trois Contes de Flaubert), Sivadier a retenu le cadre général de l’intrigue. Une fois encore, Salomé va danser devant Hérode, son beau-père, pour lui arracher le présent qui doit entraîner sa perte : la tête de Iaokanann, dit le Baptiste, sur un plateau d’argent. Et une fois encore, son extraordinaire performance produira l’effet recherché. Mais cette fois-ci, la fille d’Hérodias ne sera pas seule à se donner en spectacle devant le Tétrarque. Une bande d’acteurs amateurs, pour célébrer l’anniversaire du souverain, a préparé à son intention une petite pièce, un miracle naïf et déjà digne du Moyen-Âge, mais malheureusement pour eux, le thème choisi va tomber on ne peut plus mal... Dans ces modestes serviteurs des planches, on aura reconnu des émules de Bottom et de ses compères artisans, ineptes tragédiens improvisés qui égaient le dernier acte du Songe d’une nuit d’été. Mais ils tiennent aussi de la troupe de professionnels qui vient rendre visite à Hamlet, car leur représentation doit également produire un effet politique (comme si Hérode, l’ami des Romains, avait quelque chose de l’usurpateur Claudius…). Différents théâtres, différents désirs se croisent et se recroisent dans ce drame où la lune est comme un trou de serrure où Dieu aurait collé son œil.
« Jean-François Sivadier livre au public des Ateliers Berthier un petit miracle théâtral savamment intitulé Noli me tangere. (...) Il monte une intense et truculente comédie biblique de son cru (...) et invente, avec et pour sa famille d’acteurs, une écriture scénique de grande qualité, un spectacle dont l’articulation texte, comédiens et scénographie s’avère époustouflante. » Lorène de Bonnay, Les Trois coups.
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