Objet perdu

Aubervilliers (93)
du 9 mai au 16 juin 2006
1h45

Objet perdu

Trois pièces courtes sur la mémoire : la pluie, le récit, le violon. Dans un bar, à l’heure de la fermeture, sous les traits énigmatiques d’un étranger, la mémoire vient se glisser insidieusement près de M. Skelton. Elle ne le lâchera plus et l’entraînera malgré lui vers la reconnaissance de son histoire.

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Pourquoi des pièces courtes

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Trois pièces courtes sur la mémoire : la pluie, le récit, le violon.

C'est sous l'emblème du lien que nous avons créé au début de la saison dernière avis aux intéressés de Daniel Keene. Lien : ce qui nous attache, nous relie, nous emprisonne, nous retient. Je me souviens avoir entendu Daniel me dire que sa pièce s'était construite sur son désir d'explorer la dépendance et son paradoxal retournement. Léo, l'enfant immature, dépend totalement de son père, mais que son père puisse mourir comme il le souhaite dépend totalement de Léo. Malgré l'énergie obstinée et méticuleuse qu'il met à dénouer ce lien, le père devra renoncer à cette séparation et c'est ensemble, attachés de nouveau par la main qu'ils se donnent, qu'ils affronteront leur destin. Dans l'œuvre de Daniel, on rencontre souvent des personnages qui construisent, reconstruisent ou déconstruisent un lien. Parfois ils cherchent à le créer à l'issue d'une rencontre hasardeuse, parfois ils cherchent à le briser par un acte violent, un meurtre, une fuite, un exil… Un objet ou un être symbolisant ce lien, des outils, un mur, un chien, un fleuve, un banc… C'est de la vie concrète qu'il tire la force poétique et la violence de ce qui relie les gens entre eux dans un monde d'éparpillement. avis aux intéressés en est, dans sa singulière brièveté, un exemple éclatant.

Une autre forme d'attachement vient parfois traverser son œuvre, celui de la mémoire (qui est par excellence le lien avec nous-même, avec notre histoire) et de la mémoire juive notamment: c'est tout naturellement par bribes, inventaires ou textes courts qu'elle affleure. C'est cet autre type de construction du lien que je voudrais explorer durant la saison prochaine - tandis que se déroulera dans la grande salle la reprise d'avis aux intéressés - en organisant trois de ses textes comme trois étapes d'un voyage mémoriel, le voyage forcé d'un vieil homme - Monsieur Skelton - vers lui-même, à travers la résurgence d'un événement important de son enfance. Les trois pièces n'ont pas été écrites par Daniel pour être reliées par une dramaturgie, l'expérience consiste donc à vérifier que le théâtre les met dans une résonance mutuelle comme trois actes d'une pièce éparpillée dans la conscience de l'auteur. Il n'est peut-être pas si paradoxal, travaillant sur ce qui nous lie, que le regard d'un metteur en scène fasse du lien l'outil de production d'une histoire à raconter au public.

Deux de ces trois textes - la pluie, le violon - ont déjà été joués et sont assez connus. C'est sans doute le fait de les relier qui nous les fera entendre différemment tout en les respectant pour ce qu'ils sont. Ils ont la forme poétique que donne parfois Daniel à son écriture ; le fragment, le monologue. Le troisième, le récit, moins connu, relève d'une autre forme que l'on retrouve souvent dans son œuvre, le dialogue. Un dialogue serré, combatif, qui en l'occurrence oppose deux volontés : celle de se souvenir et celle d'oublier.

Insidieusement, dans un bar, à l’heure de la fermeture, sous les traits énigmatiques d’un étranger, la mémoire vient se glisser auprès de Monsieur Skelton. Elle ne le lâchera plus et l’entraînera malgré lui vers la reconnaissance de son histoire. Au terme du long inventaire des choses dont ont dû se séparer tous ceux qui devaient partir sans bagage et dont elle fut la gardienne, la mémoire rendra à Monsieur Skelton l’objet qu’il lui avait confié jadis au moment de monter dans le train : un petit flacon d’eau de pluie, qu’il avait omis depuis son retour de venir lui réclamer. Seul avec lui-même, Monsieur Skelton se reverra enfant à l’heure du départ, serré entre son père, sa mère et son frère, « comme les soies hérissées d’une brosse mains jointes valises entre les pieds ». À la dernière minute il pourra tendre à son enfance meurtrie et oubliée, le flacon d’eau de pluie comme s’il se passait à lui-même le témoin de sa propre histoire, retrouvant ainsi les fils d’une mémoire qu’il avait tenté de déjouer.

Didier Bezace, mai 2005

Les trois textes sont publiés aux Éditions Théâtrales.

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  • Pourquoi des pièces courtes

En règle générale je préfère les quatuors aux symphonies. Dans un quatuor la contribution de chaque instrument peut être clairement entendue et peut-être comprise. Le possible dialogue entre les instruments peut être extrêmement subtil, infiniment complexe ; ou il peut s'agir de la forme la plus élémentaire d'appel et de réponse. Ce dialogue est, par essence, théâtral. Quand ils se conjuguent pour rendre une seule « voix », les instruments du quatuor peuvent créer un son à nul autre pareil, faire à la fois l'effet d'une tempête piégée dans une bouteille et du tumulte chaotique déchaîné depuis un champ de bataille. Cette puissance dramatique, son urgence, cette densité lyrique est ce qui me porte vers les quatuors. Pourtant ce qui en dernier ressort fait que je continue à les écouter, c'est leur échelle. Leur échelle est humaine. Je ne saurais la décrire autrement. Pour moi les « drames » des quatuors sont des drames humains ; dans les complexités qu'ils inspirent et les réponses qu'ils exigent réside la matière de notre condition mortelle.

Mais je suis censé parler ici de pièces.

Cela fait vingt ans que j'écris pour le théâtre. J'écris aussi bien des pièces longues que des courtes. Les pièces de ce volume font partie des secondes. J'ai commencé à les écrire il y a quelques années, comme un exercice formel. J'entends par là que j'ai commencé à les écrire pour mon plaisir et mon édification personnelle. Je n'avais aucune idée de ce que j'allais découvrir, aucune préconception de ce qui pourrait s'avérer possible.

La poésie était, et demeure, mon point de départ en tant qu'auteur. C'est souvent le « lieu » de ma consolation et parfois le gage absolu de mon purgatoire. Il est très rarement aisé d'être vivant. La poésie peut souvent embrasser et la joie et le désespoir que l'on éprouve quand on croit que vivre c'est savoir, que savoir c'est dire, que dire c'est se faire entendre et que se faire entendre est impossible. Et pourtant…

Je voulais simplement savoir s'il était possible d'écrire des pièces qui « fonctionneraient » comme des poèmes. Qu'est-ce que je veux dire ? Je suppose que cela dépend de la façon dont vous pensez que fonctionne un poème. Que fait un poème ?

Si l'expérience est la matière de l'art alors à quoi l'art soumet-il l'expérience ? Peut-être réduit-il l'expérience à quelque chose de compréhensible, de consommable. Il en fait un « artefact » ; le résidu de quelque chose. Vous pouvez l'acheter, vous pouvez le vendre. Vous pouvez vous en passer.

Mais il se peut aussi que l'art « condense » l'expérience. Pour moi, un poème est la première pression à froid de l'expérience. Quelque chose d'essentiel est extrait du chaos de la vie ; à partir de l'inconnu quelque chose est construit que l'on peut connaître, au cœur du tumulte un silence est découvert, de la confusion naît la clarté. Et c'est toujours temporel, un rappel de notre mortelle condition, un plaisir qui insiste sur sa difficulté.

Quand mes pièces sont jouées, ce qui se passe sur scène ne se passe qu'une fois. Rien ne peut être répété, même si tout est répété chaque soir que se joue la pièce ; les mêmes mots, les mêmes mouvements, le même dénouement.

La répétition ou bien étouffe ou bien enrichit l'expérience. Le théâtre est un lieu où aucune répétition n'est jamais la même que la précédente. Un poème est un désaveu du privilège qui nie la mortalité : il n'est ni éternel ni immédiat. Il est l'un et l'autre. Un poème n'existe que dans l'instant où il est lu ou entendu. Le reste est mémoire.

Mais je suis censé parler ici de pièces.

Les pièces de ce livre m'ont soutenu et m'ont éprouvé. C'est par elles que j'ai redécouvert le théâtre. Elles sont mon dialogue avec la réalité du théâtre et le théâtre de la réalité. Elles sont mes « pressions à froid ».

Je pense à elles comme à des poèmes. Peut-être sont-elles des poèmes récalcitrants, incertains de leur naissance et pourtant confiants dans leur être. Mes quatuors à cordes. Quand vous écoutez un quatuor à cordes vous pouvez souvent entendre le souffle des instrumentistes.

Daniel Keene, Pièces courtes - Introduction
Éditions Théâtrales, mai 2001

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Spectacle terminé depuis le vendredi 16 juin 2006

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