Dans le cadre du Festival d'Automne 2009.
"Mon ami, vous vous trompez, vous n’êtes pas Jésus. Vous êtes le fils de Mikkel Borgen de Borgensgaard."
La force d'une parole incarnée
Note de mise en scène
Ordet (La Parole) est l’histoire d’un miracle. Deux communautés religieuses opposées dans leurs convictions vont être confrontées à la mort, puis à la résurrection. Ce n’est pas une pièce « religieuse ». C’est un suspense métaphysique, une histoire d’amour. Un entre-deux monde qui pose la question de la croyance, de la force de vie, des rapports de l’individu et du collectif. Ordet (La Parole) n’affirme rien mais sème le doute, se déploie en douceur. C’est ce texte que Dreyer a adapté pour le cinéma en 1954. Dans cette nouvelle traduction de Marie Darrieussecq, il est créé pour la première fois en France. (extrait du programme du Festival d’Avignon 2008)
Un monde à la fois proche et lointain, moderne et ancien ; un monde en même temps terrien et profondément religieux quelque part au Nord de l’Europe. On y invoque le ciel pour toutes sortes de raisons plus ou moins métaphysiques, parfois même prosaïques. On s’y affronte sur des différends théologiques aux motifs terre-à-terre, qui renvoient à la lutte pour la domination. C’est un monde mêlé où différentes conceptions s’opposent farouchement. Le langage y joue un rôle puissant, comme si les mots devaient toujours être suivis d’effets. D’où le titre de cette pièce du Danois Kaj Munk, Ordet, en français La Parole. Carl Theodor Dreyer en fit un film célèbre. Le metteur en scène Arthur Nauzyciel et la romancière Marie Darrieussecq ont remarquablement adapté en français cette pièce sur le pouvoir des mots où la question de la foi occupe une place centrale. Mais aussi plus largement la question de l’amour et de ce qui justifie une vie humaine.
Avec les chanteurs de l'Ensemble Organum : Mathilde Daudy, Marcel Pérès et Antoine Sicot.
Traduction et adaptation Marie Darrieussecq et Arthur Nauzyciel.
Ordet signifie « le verbe », « la parole ». Ordet est l’histoire d’un miracle. Deux communautés religieuses opposées dans leurs convictions vont être confrontées à la mort, puis à la résurrection. C’est ce texte que Dreyer a adapté pour le cinéma en 1954. Il n’a encore jamais été créé en France. Ce projet m’accompagne depuis la création de mon premier spectacle, Le Malade imaginaire ou le silence de Molière.
Préparant Le Malade imaginaire ou le silence de Molière, j’avais écrit, pour le programme en 1999, le texte suivant : « Mon histoire commence en un lieu où il n’y a plus d’homme, plus de langage, plus de nom. En m’apprenant à compter avec les chiffres du numéro tatoué sur son avant-bras, mon grand-père m’a inoculé Auschwitz. J’ai connu les chiffres avant les lettres. Ces chiffres indélébiles étaient son nom. Derrière les lettres de mon nom, il y a l’histoire des souffrances de ma famille, et celles de millions de gens. Pendant des années, parfois toute leur vie, les survivants n’ont rien dit. Quand mon grand-père me parlait, j’essayais de comprendre ses phrases faites de mots étrangers, des bribes d’une autre langue, perdue, bientôt oubliée. Une langue d’avant l’horreur et qui ne se reconstituera jamais vraiment. Alors, la plupart du temps, il se taisait. Mon père, lui, me racontait l’histoire que son père n’avait jamais pu lui raconter, et qu’il avait apprise par d’autres. C’est me raconter cette histoire qui fait de lui un père. C’est la dire et ne jamais oublier qui ferait de moi un homme. »
Le relisant aujourd’hui, je comprends à quel point cette histoire m’a mené au théâtre.
Ordet n’est pas une pièce « religieuse ». C’est un suspense métaphysique. Une expérience. Un entre-deux monde. C’est un objet théâtral étonnant, qui pose la question de la croyance, de la force de vie, des rapports de l’individu et du collectif, de la transmission et de la transcendance. À l’image de son auteur, paradoxal et contradictoire, Ordet n’affirme rien mais sème le doute, se déploie en douceur, distille le trouble. Et libère finalement de notre corps défendant une émotion profonde.
Si Ordet bouleverse autant, c’est qu’on s’y réunit pour combattre la mort et l’extrémisme, qu’on y fait ce qu’on peut avec ses moyens d’humains, et que c’est au moment où rien ne semble plus possible, que - justement, quelque chose arrive : un miracle, un rêve, c’est impossible à nommer. Et ce serait à la fois un signe de l’existence de Dieu, une confiance absolue dans l’homme et sa capacité à aimer et à inventer avec d’autres, le privilège de l’artiste que de réparer l’injustice de la vie avant la mort et de faire du théâtre le lieu de tous les possibles. En ça, le miracle ne nous interroge pas que dans notre rapport à Dieu. Si le miracle est théâtral, il nous rappelle son impossibilité dans le réel et nous renvoie à notre condition de mortels. Nous savons qu’il n’y a pas de miracle sur cette terre : nous devons accepter notre monde visible et notre temps fini comme une réalité, et tenter d’y être heureux, ici et maintenant.
Comment continuer à croire ? En qui ou en quoi ? Ces questions sont toujours aussi troublantes. « Mon Père pourquoi m’as-tu abandonné ? » peut-on lire dans la Bible. J’ai aussi hérité de ce doute, de cette désillusion, parce qu’il est très difficile de continuer à chercher des preuves de l’existence de Dieu dans les fours crématoires. Et si Le Malade imaginaire se terminait par : « Ah ! mon Dieu ils me laisseront ici mourir… », Ordet (La Parole) s’achève sur : « La vie ! La vie ! La vie »…
A. Nauzyciel, septembre 2005
l'émotion pure;la retenue des larmes n'a pas été possible; entre mysticisme et humanité, c'est un vertige difficile à négocier.
l'émotion pure;la retenue des larmes n'a pas été possible; entre mysticisme et humanité, c'est un vertige difficile à négocier.
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