Seven Lears

Avant d’être vieux et de quitter le pouvoir, le roi Lear fut un enfant, puis un jeune homme, puis un beau jour, un roi. Il eut peut-être des frères ou des sœurs, une femme… trois filles assurément. Bref, il eut une vie… une vie de bavardage et d’interrogations conduisant à l’irrémédiable : au début de la folie et au commencement du Roi Lear de Shakespeare… Ce parcours, Barker l’imagine et l’expérimente en sept tableaux, plus un interlude, pour respirer.

Parce qu’on en connaît l’issue, on peut se demander si le Lear de Barker acceptera un jour son destin. Né sous le signe de l’intelligence, il n’était ni destiné, ni prêt à gouverner. Sa sagesse s’y refuse, et il lui faut apprendre le mal pour gouverner. Un prêtre, en le lui montrant, va se charger d’apprendre le mal à cet enfant, pourvu de la sagesse mais pas de l’expérience. Et Lear se complaît dans cet apprentissage, s’y vautre parfois, mais souvent son humanité le rattrape, alors il hésite et ne se comporte plus comme sa fonction l’exige. Tout est problème dès qu’on a une once de raison et de distance! Or il est le centre de la toile, le point d’ancrage d’un royaume et autour de lui se tissent les autres destinées…

« Lear représente la tragédie, ou plutôt la passion post-chrétienne d’un monde sans dieux ni Dieu. » écrit Jean-Luc Nancy à propos du Roi Lear de Shakespeare. C’est de ce postulat que part la pièce de Barker, réponse en négatif, verso de la pièce de Shakespeare. Barker sous-titre sa pièce « The Pursuit of the Good ». En s’interrogeant avec Lear sur « comment Etre », il nous offre une multitude de possibilités sur le questionnement, un « catalogue » du questionnement. Il en fait une pièce d’expérimentations, à travers cette quête impossible du bien. D’abord, expérimentation du langage, moteur de Lear et de son interrogation, moteur de la pièce, et de l’homme. Et aussi expérimentation des questions formulées, pouvant aller jusqu’à la fabrication d’une machine volante. Ou encore expérimentation de diverses formes de jeu théâtral, le drame, la farce, le burlesque, l’épique, la tragédie de chambre, comme vérification de comportements, de points de vue. Autant de tentatives qui interdisent toute conclusion, toute certitude, mais entraînent dans un débat vertigineux.

C’est un voyage dans un cerveau, dans un chaos de matière cérébrale, dans lequel pas à pas, en tâtonnant, nous avançons. Irrémédiablement.

Agnès Bourgeois

Traduction de Mike Sens.