Retour aux sources d’un bouleversement. Dans les années 80, sous le règne de Margaret Thatcher. Dans un système libéral à l’occidental. Trois temporalités, trois chemins et des dizaines de femmes pour peindre les débuts d’un féminisme sclérosant et absurde et raconter l’incommunicabilité et le déterminisme. Trois petits tours et puis s’en vont… à leur destins. A l’histoire qui est en marche. Un samedi soir. Diner de fête. Marlène, personnalité de caractère nouvellement investie d’un poste à responsabilités célèbre sa promotion, entourée de grandes figures féminines de l’Histoire.
Un repas orgiaque, onirique, cruel, baroque, orgasmique. Où l’on bouffe et l’on parle et l’on se saoule et l’on parle, et on se remplit et on hurle à la vie, à son absurde condition, à la mort, à l’identité, au genre et aux hommes. Dans une immense cacophonie délirante, vont se mêler les épopées d’Isabella Bird (1831-1904) voyageuse de l’ère victorienne, les réflexions de Dame Nijo (née en 1258) sur ses droits de courtisane de l’Empereur et sa condition de nonne bouddhiste, sur le travestissement de La Papesse Jeanne entre 854 et 856, de la révolte de Dulle Gret, sujet d’un tableau de Bruegel, et de l’asservissement de la douce Griselda, héroïne d’un conte de Chaucer.
Un Lundi Matin. Dans les locaux d’une agence de placement au féminisme vengeur. Le quotidien de Marlène et de ses collègues. Qui recrutent, scrutent et décortiquent. L’âme humaine et les velléités d’ascension sociale comme les aspirations familiales.
Un dimanche soir. Un an plus tôt. Dans une banlieue paumée de l’Angleterre ouvrière où l’imaginaire est sclérosé. La confrontation de Marlène avec sa soeur Joyce, et sa fille Angie qui tentent d’exister et de survivre dans un paysage désespérément immobile.
Trois temps pour reconstituer la petite histoire, celle d’une jeune femme prête à tout pour effacer ses origines, et pour comprendre la Grande, celle d’un monde en profonde mutation sociale et politique.
Top Girls est une pièce musicale : dans la rythmique qu’elle installe, dans la symphonie de la parole qu’elle propose : crescendos hystériques et adagios réfléchis, mais aussi dans la partition du mouvement qu’elle dessine au travers d’une chronologie destructurée… De cette partition, se dégage trois mouvements musicaux, différents, singuliers qui se jouent dans un même décor mouvant, avec des actrices polymorphes. A eux trois, ils forment un tout : la petite histoire, celle du destin de Marlène, figure de proue d’un féminisme vengeur, et la grande, la plongée dans un monde qui bascule. Que nous racontons pour mieux crier notre refus de l’émergence de l’Individu comme unique modèle de survie.
Mouvement 1 : Les voix du spectral : un surréalisme baroque pour raconter l’universel.
Ouverture : C’est le destin de Marlène, femme libre, libérée et libérale... A la table de sa promotion, un soir de célébration, avec l’énergie d’une cacophonie joyeuse dont on ne peut pas tout entendre, avec le faste d’une scène orgiaque, des femmes, parlent, mangent, boivent et rient et piaillent. Un mouvement musical enlevé, joyeux, baroque, foisonnant. Mais à la « Cène » du banquet, attablées avec Marlène ce sont des figures historiques, des fantômes-fantasmes, des femmes iconoclastes qui dînent. Mortes. Déjà dans l’Histoire. Petit à petit, les fiers destins racontés haut et fort, alcool aidant, cèdent la place aux aveux de faiblesse sur le prix à payer pour être une femme libre. Les éclats de rire laissent le champ libre aux monstrueux visages de ces femmes, en déficit de maternité, en quête d’idéaux ravageurs… Un mouvement musical decrescendo ou les mots de ces « héroïnes » sonnent comme des échos à la vie de Marlène : soeur, enfant, travestissement, bébé, accomplissement… Pour lire la pièce à l’aune de cette scène, celle de l’universelle question du déterminisme et de la liberté.
Mouvement 2 : Une partition de l’action, « plus vite, plus haut, plus fort »
Dans l’Angleterre des années 80, dans une agence de placement, au féminisme vengeur que nous avons voulu construite en open-space identique et effrayant. Sur un tempo presto, dans des espaces que les actrices font et défont, des working girls pugnaces, reproduisent les mécanismes de domination masculine qu’elle dénonce, en menant une politique libérale et capitaliste dans leurs entretiens d’embauche. Comme une vertigineuse mise en abîme d’un monde schizophrénique où l’entreprise nous aspire, on vacille de personnage en personnage, les espaces dépassent et engloutissent les protagonistes, laissant découvrir un monde en profonde mutation sociale et politique.
Mouvement 3 : Soudain l’immobilisme : une parenté avec le réalisme social
Dans la même Angleterre, mais dans sa campagne profonde, l’histoire, la petite réapparait. Celle d’une tragédie familiale, celle d’une parole étouffée, d’un mensonge, dans laquelle le spectateur est propulsé, presque comme un voyeur. Dans la cuisine ou dans l’arrière-cour d’une maison sans avenir, des femmes s’opposent : adolescentes en mal de rêves, ou soeurs liées par le poids du secret, avec la seule force de la parole, elles questionnent le pouvoir des mots et la force des silences. L’action s’est arrêtée, « il n’y a pas grandchose par ici »…si ce n’est les mots, leur violence, les accords majeurs qu’elles jouent pour se blesser et le conflit idéologique puissant qui divise l’Angleterre en deux visions du monde : ceux qui comme Margaret Thatcher choisiront de s’en sortir et les autres.
13, rue Pierre Sémard 94400 Vitry-sur-Seine