L'injustice ordinaire
Note d’intention de mise en scène
Une division en trois couches
L’univers sonore
La question est posée ici sur l’injustice fatale, cosmique, celle de la naissance. Mais la question est surtout posée sur l’injustice ordinaire, la mesquine machinerie de la peur et de la survie. Pour survivre, les gens mènent des vies terribles. Le babil est un monument édifié en l’honneur de ces vies, une encyclopédie des destins et des révoltes brisées.
Au texte percutant comme une cataracte de Novarina, travaillé pour la première fois dans son intégralité, Maria Zachenska répond par une mise en espace éclairante : trois étages de jeu représentent la hiérarchie sociale imposée, mesquine, forcément inattaquable que dénonce Le babil des classes dangereuses. Chaque personnage renâcle, remâche sans fin ce quotidien qui blesse, le désir de justice et d’égalité qui bout et mine leurs vies telle une violence rentrée. La révolte est-elle possible ? Pourtant ces consonances sociales et spirituelles ne se départissent pas d’un sens original du cocasse. La langue de Novarina offre souvent ces échappées triviales, drôles, nécessaires tant la langue elle-même est aussi le lieu de cette mise en cause de l’établi. Le babil des classes dangereuses est un « trou du cul » de chantier !
« Depuis La Prise du Palais d’Hiver, spectacle organisé par le pouvoir soviétique et joué par un millier de figurants et d’acteurs au
Palais d’Hiver, dans Leningrad ravagé par la révolution de 1917, il n’y a pas eu de texte qui saisissait avec tant d’appétit l’âme du peuple, le mouvement des masses et l’extase de la révolution.
La classe ouvrière est décrite comme naïve, la classe dirigeante comme grossière ; sans pour autant avoir peur de tomber dans la caricature, c’est-à-dire en y tombant avec élan. »
Maria Zachenska
Maria Zachenska, metteur en scène, formée au CNSAD de Prague, après cinq ans de travail dans les théâtres praguois, crée la Compagnie Parallèles à Paris en 1996. Le babil des classes dangereuses est sa sixième mise en scène en France.
"Le monde d’aujourd’hui fonctionne sur une conception hiérarchique qui induit une exécrable brutalité. Le babil des classes dangereuses figure et dénonce cet état de fait et désacralise ce modèle présenté comme inévitable par les instances supérieures (patronat terrestre aussi bien que céleste...).
De par sa longueur et sa densité, ce texte n’a jamais été monté dans l’intégralité de ses six actes. Les mises en scène proposées ne concernaient qu’une partie du texte (le monologue d’Adramélech). Pour ma part, c’est l’ensemble de la pièce qui m’intéresse, par ce qu’il crée de significations particulières : aussi bien dans les transformations successives de la forme, que dans l’accumulation des contenus et, surtout, dans son histoire globale, celle de l’éternelle révolte menée bêtement et bêtement étouffée.
Dans la réalisation, je parie sur un univers réaliste développé d’une manière onirique et dépourvu de toute logique courante. Le spectacle va osciller entre la stylisation nécessaire à l’articulation des formes dominantes - des images, et un effet de réel dû au développement de situations dramatiques fortement ancrées dans le quotidien. Ce fond réaliste fera ressortir la parole aux limites de l’inexprimable, telle que nous la propose l’auteur.
L’idée principale de ce montage est une division de l’espace en trois couches : enfer, purgatoire, ciel. Ceci en accord complet avec, d’un côté, les consonances bibliques de l’écriture et, de l’autre côté, son thème de la hiérarchie sociale et cosmique. L’univers visuel du spectacle est entièrement régi par cette fraction en trois.
Le plus haut/plus bas au sens figuré qui nous renvoie à une position sociale, devient un plus haut/plus bas au sens propre, grâce à un échafaudage, dont la présence est confirmée par maintes allusions, dans le texte, à des travaux, des outils de travail, des briques, de la peinture, bref, à un chantier de construction. Effectivement, les personnages de la pièce sont sur un chantier. Il est leur lieu de travail autant que leur lieu d’existence. Selon l’endroit, où se trouve le personnage sur l’échafaudage, son environnement change. De cette manière le spectacle met en avant le sens métaphorique de ce qui se passe sur scène tout en gardant l’énorme attachement à la matière, ainsi que nous le fait sentir le texte.
En bas - en enfer, il y a de la boue, de la terre mouillée (ou tout ce qui peut nous les rappeler). Quelques passerelles, puisqu’il y a une petite hiérarchie à l’intérieur de la grande hiérarchie, et pour que le mouvement des personnages ne soit pas inévitablement ralenti par la lourdeur de ce sol. La population du bas est nombreuse : ouvriers, chauffeurs, malades, infirmes, tueurs à gages, infirmières, vendeurs.
Au milieu - au purgatoire, se trouvent des bureaux. La qualité principale est la propreté et le goût. La population y est mieux habillée : agents de recrutement, majors, fonctionnaires d’état, députés, propriétaires d’immeubles, avocats, politiciens.
En haut - au ciel, se trouve une loge pour personnes d’importance, un nuage joliment décoré. De là nous observent Bouche et Oreille."
« Ce qui me semble intéressant, c’est de partir comme en peinture d’un triptyque musical. Trois niveaux de jeu pour trois univers musicaux évolutifs. Comme du babillage au départ pour finir en véritable composition. Je soulignerai grossièrement le trait : trois niveaux scénographiques pour trois «musiques différentes».
Par ailleurs un travail sur les «sons enfantins» ou des rappels d’enfance, sons fabriqués à partir d’instruments existants ou trouvés sur place c’est à dire dans la scénographie même est une piste à exploiter. Si nous utilisons des instruments présents, il faut donc évaluer le traitement de la masse sonore constituée par les instruments et les instrumentistes (comédiens musiciens).
Il s’agit donc d’un travail sur la polyphonie, travail de différencier des voix et des sons pour un univers commun. Chants polyphoniques et autres babillages comme une langue inventée, toujours proche de l’enfance, langue originelle. Chants scandés, la musique grossissant de plus en plus pour ne faire plus qu’une avec la langue. »
Vanessa de Winter
Le spectacle dure 2 h 10. Si le départ est plutôt dynamique, le rythme devient rapidement monotone et les dialogues répétitifs. La pièce gagnerait certainement en clarté si elle était écourtée. La violence verbale et physique caractérise cette pièce. Les propos sont sombres, voire décourageants. Il y a tout de même de belles performances de comédiens à relever. Je crains que le théâtre de l'Etoile du Nord ne retombe dans une phase sombre comme celle qu'il a connu en présentant des pièces comme "Baal" ou "Terres mortes". Dommage !
Le spectacle dure 2 h 10. Si le départ est plutôt dynamique, le rythme devient rapidement monotone et les dialogues répétitifs. La pièce gagnerait certainement en clarté si elle était écourtée. La violence verbale et physique caractérise cette pièce. Les propos sont sombres, voire décourageants. Il y a tout de même de belles performances de comédiens à relever. Je crains que le théâtre de l'Etoile du Nord ne retombe dans une phase sombre comme celle qu'il a connu en présentant des pièces comme "Baal" ou "Terres mortes". Dommage !
16, rue Georgette Agutte 75018 Paris