L'intimité mise sous tutelle
Extrait
La lutte contre la mise aux normes
Dora est une jeune fille qui souffre de troubles apparents du comportement. Elle est très entourée par des parents attentifs, un médecin qui la suit, un épicier et sa mère qui l'emploient. C'est à l'étal qu'elle rencontre un homme d'âge mûr, négociant en parfum, qu'elle va suivre dans une chambre d'hôtel.
Là commence une histoire ambivalente, physique et brute, à travers laquelle Dora découvre aussi la force du sentiment amoureux. Les parents et le médecin, d'abord sensibles aux questions de la vie sexuelle de Dora, vont progressivement la mettre sous tutelle jusqu'à la contraindre à son insu à l'avortement puis à la stérilisation. Deux événements qui signent la fin d'une relation émouvante et trouble entre Dora et son amant.
La pièce oscille entre un langage poétique et un parlé direct, voire cru, projette l'intimité de l'héroïne dans l'espace public ; elle fait d'un sujet particulier et sensible, la sexualité, un manifeste presque social qui pourrait se lire comme un droit à la différence.
H.L.
Par la Compagnie Deus Ex Machina.
Traduit de l'allemand par Pascal Paul-Harang. L'Arche est l'éditeur et l'agent du texte représenté.
La version pour la scène est établie par Hauke Lanz et Marc Moreigne.
Dora : Pourquoi. Vous ne baisez pas
Le médecin : Je préfère un autre mot Dora. J'appelle ça faire l'amour.
Dora : C'est quoi la différence.
Le médecin : C'est moins brutal.
Dora : J'aime quand c'est brutal. Sinon je ne ressens rien.
Le personnage central de la pièce, Dora, semble être naïve. Elle emploie un langage simplifié et paraît ne jamais s’autocensurer.
Dora serait comme l’inconscient à voix haute de son entourage, dont elle questionne et déstabilise les règles et les habitudes. En parlant ouvertement de sa vie intime, et sexuelle en particulier, avec ses mots infantiles, en parlant de ce qui ne se dit pas, elle force les autres personnages à nommer leurs propres tabous. En répétant sans cesse les expressions des autres tout en modifiant le contexte de leur utilisation, elle rend finalement brut et dérangeant le langage de son entourage, au premier abord pourtant si policé et civilisé. Par ces processus intrusifs ou répétitifs, et semble-t-il involontaires, Dora crée un effet de miroir déformant des normes tacitement établies par la micro société de la pièce.
Ainsi, Dora « l’anormale » amène les autres à se poser la question de la norme. Et finalement, Dora enceinte, ce qui est « normal » pour une femme, devient ici l’apothéose de « l’anormalité ». Les névroses sexuelles de nos parents portent une dimension émouvante et dramatique dans le contraste entre la croyance de Dora dans un amour inconditionnel, et la trajectoire de la pièce qui, du réveil de la sexualité de Dora jusqu’à sa répression progressive, culmine dans son avortement, sa stérilisation et son amant qui l’abandonne.
C’est le thème de la pièce, celui de la résistance contre la « mise aux normes » insidieuse de la société, celui de l’insupportable différence qu’il convient de contraindre, jusqu’à « stériliser », qui a motivé le choix de mettre en scène Les Névroses sexuelles de nos parents.
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