Krystian Lupa entame une nouvelle exploration, avec comme point de départ Catégorie 3.1 de Lars Norén, auscultation quasi ethnographique des marges sociales. Le titre désigne la case réservée aux cas sociaux dans les formulaires de l’administration suédoise. Dans la pièce, alcooliques, drogués, prostitués, psychotiques, SDF, chômeurs peuplent Sergelstorg, une place du centre de Stockholm.
Un important travail documentaire alimente le projet de Lupa et c’est une sorte d’installation qu’il nous propose dans laquelle idéalement il aurait aimé nous voir, nous spectateurs, nous asseoir, regarder puis quitter les lieux, comme une sorte de passage.
Dans cette création, les personnages, en panne d’existence et d’histoire, baignent dans une réalité qui, à la manière d’un acide, les dépersonnalise et fait de la scène le lieu où ils viennent se dissoudre. Ou peut-être se sauver ? C’est la question que veut poser Lupa entouré, pour sa première création en français, de jeunes actrices et acteurs issus d’écoles d’art dramatique francophones.
Comme à son habitude, l’improvisation sera au centre du travail : il s’agira pour les acteurs de réinventer leurs rôles en écrivant des monologues intérieurs inspirés par les personnages de Norén et d’explorer les forces de l’irrationnel et du subconscient. Comme toujours, Kristian Lupa fait confiance au théâtre lui-même pour mettre à jour, dans des existences presque effondrées, ce qui de l’être humain se dresse et peut vivre.
Librement inspiré de Catégorie 3.1 de Lars Norén.
Ce qui m’a le plus fasciné dans le texte de Norén, c’est de constater à quel point beaucoup de ces personnages sont désintégrés. Leurs mécanismes sont en panne. Chacun est en panne d’une autre manière. D’ailleurs ce qui m’ennuie un peu, c’est que le fait d’être en panne se répète de façon un peu trop systématique. D’un autre côté, c’est bien sûr une vérité de cette réalité. Ici, aucune intrigue ne se développe. Si jamais une graine commence à germer, elle est aussitôt détruite. Ces personnages commencent souvent quelque chose, mais le perdent aussitôt. Ils ont d’énormes problèmes pour s’appuyer sur leur logique propre. Un peu comme si la réalité était un acide qui dépersonnalise chacun. Tout ce qui est logique arrive d’ailleurs. Des familles, par exemple. C’est comme si l’on venait dans ce lieu pour se dissoudre, pour s’oublier. La question est : cette action de dissoudre est-elle davantage un secours ou une catastrophe ?
Ce texte, j’aurais peur de l’aborder comme on aborde un texte classique. Pourquoi cette matière recueillie sur le terrain devraitelle maintenant être traitée comme une bible ? Ce n’est pas du Shakespeare. C’est du témoignage brut, même si on a le sentiment d’un certain sacré. Il y a un rituel mystérieux qui apparaît dans cet endroit, un métalangage. Le lieu a presque un caractère de palimpseste, avec une superposition de couches, où on devine les traces des couches antérieures. Les didascalies posent de vraies questions. Il y a par exemple un chien qui arrive. Il est perdu, il a peur. Il s’approche d’une personne mais ne lui fait pas confiance.
Et tout d’un coup, comme pris de frayeur, il s’enfuit ! C’est une réalité qui est décrite, mais qu’il n’est pas possible de répéter. Par conséquent, vouloir l’interpréter de façon classique nous mènerait à quelque chose de faux.
Krystian Lupa
15, rue Malte Brun 75020 Paris
Station de taxis : Gambetta
Stations vélib : Gambetta-Père Lachaise n°20024 ou Mairie du 20e n°20106 ou Sorbier-Gasnier
Guy n°20010