Une main écrit sur le mur :
La joie est-elle sans raison ?
Un perroquet répète sept fois :
Les mots pensent-ils pour nous ?
Valère Novarina
« Le modèle secret est peut-être Faust - non celui de Goethe - mais un Faust forain vu enfant à Thonon dans les années cinquante, joué entre deux airs de Bourvil par Gugusse, le « célèbre clown de la Loterie Pierrot ». Faust-Gugusse prétendait que toute notre vie avait lieu « en temps de carnaval », puisque le finale en était un « adieu à la chair » ; madame Albertine, sa comparse dans le public, lui lançait, en trois mots, de prendre ça comme un don, une offrande : et elle lui proposait toutes les quatre minutes de jouer sa vie aux dés... [...]. J’essaye de reconstituer l’ordre des scènes de cette pièce vue enfant [...] Le Vrai sang est un drame forain, un théâtre de carnaval, en ce sens que les acteurs, d’un même mouvement, [...] incarnent et quittent la chair, sortent d’homme, deviennent des figures qui passent sur les murs, des traces peintes d’animaux, des empreintes, des signaux humains épars, lancés, disséminés : des anthropoglyphes. »
Le chantier ouvert par Novarina semble donc avoir puisé à plusieurs sources. D’abord, celle de l’enfance – l’âge où s’opère tout naturellement l’indistinction entre « grande culture » et traditions populaires : Faust peut être, avec profit, incarné par un clown. Ensuite, celle des étymologies italiennes du mot « carnaval », dérivé tantôt de carne levare, « ôter, enlever la chair », tantôt de carne, vale ! « adieu, la chair ! ».
Avant le Carême, corps ou chair carnavalesques s’exposent et s’offrent festivement, mais cette exposition est inséparable d’une disparition où la chair se dévore et où le corps se masque. Ce paradoxe était fait pour retenir l’attention de Novarina, selon qui l’acteur n’entre en scène que s’il en sort du même coup… Or cette apparition évanouissante, tout en creusant la place du théâtre, consomme – à tous les sens du terme – beaucoup d’humanité. Comme le dit encore Mme Albertine, « le seul avantage que nous avons sur les marionnettes », c’est que « les marionnettes ne peuvent offrir leur bois ». L’humain, lui, est un animal qui laisse des traces sur les parois, même s’il lui faut saigner au passage (troisième source, donc : la préhistoire, le besoin chamanique de se produire par « signaux humains épars » auquel nous devons tant de mains négatives et d’« anthropoglyphes» ).
Le vrai sang est peut-être celui qui se donne, et qui peut servir d’encre. Ce n’est donc pas de bois que seront faits des personnages – plus d’une vingtaine – tels que Jean Monomonde, Saporigène ou la Dame du Déséquilibre, précipités dans une trentaine de scènes – dont la première, à elle seule tout un programme, s’intitule « Entrée dans le Mélodrome » !
«Si vous croisez un humain sautant comme un cabri du côté de la place de l'Odéon sur le coup de 22h30, demandez lui d'où il vient, il y a fort à parier qu'il vous réponde : je viens de voir Le Vrai sang. » Jean-Pierre Thibaudat, Rue89
«Avec Le Vrai sang, l'auteur français signe un de ses meilleurs spectacles, une sorte de synthèse de tout son univers, de son verbe-monde, incarné par une bande d'acteurs renversants, dopés par cette amphétamine qu'est la langue novarinienne. » Fabienne Darge, Le Monde du 9 janvier 2011
Place de l'Odéon 75006 Paris