Le projet Fassbinder - Les ordures, la ville et la mort

du 10 au 29 juin 2003
2H30

Le projet Fassbinder - Les ordures, la ville et la mort

L'histoire se passe "Sur la lune, parce qu'elle est aussi inhabitable que la terre, surtout les villes". Une ville aussi donc, inspirée largement à Fassbinder par Francfort «une ville, dit-il, où à chaque coin de rue, partout et tout le temps on rencontre, quand on ne bute pas immédiatement sur elles, les contradictions que d'ordinaire on travaille en tout autre lieu avec succès à voiler.» Putes et maquereaux, d'anciens nazis devenus travestis ou infirmes, un juif dit "riche", des policiers véreux, des antisémites malades, des homosexuels cachés y sont rassemblés. Un purgatoire de destins inextricablement mêlés dans un monde envahi par la peur…

Les Ordures, la ville et la mort
La face cachée de la lune
Théâtre et cinéma
Musique
Présentation de L'Ombre des anges par Daniel Schmidt
Le Juif riche par Gilles Deleuze
Prise de position à propos de Les Ordures, la ville et la mort par R.W. Fassbinder
Théâtre des Lucioles - Un collectif d’acteurs

L'histoire se passe "Sur la lune, parce qu'elle est aussi inhabitable que la terre, surtout les villes". Une ville aussi donc, inspirée largement à Fassbinder par Francfort «une ville, dit-il, où à chaque coin de rue, partout et tout le temps on rencontre, quand on ne bute pas immédiatement sur elles, les contradictions que d'ordinaire on travaille en tout autre lieu avec succès à voiler.» Putes et maquereaux, d'anciens nazis devenus travestis ou infirmes, un juif dit "riche", des policiers véreux, des antisémites malades, des homosexuels cachés y sont rassemblés. Un purgatoire de destins inextricablement mêlés dans un monde envahi par la peur… C'est en tout cas une humanité cauchemardée à l'extrême, d'une implacable lucidité, que met en scène et en musique Fassbinder. Les Ordures, la ville et la mort est un opéra de quat'sous moderne, un conte de fées triste, un mélodrame d'aujourd'hui et de toujours. Une forme populaire, à mille lieux du discours rassurant, qui lui permet de rendre accessible des sujets dont personne ne veut entendre parler.

On sait mais on ne veut pas en parler. Nous savons, d'autant plus aujourd'hui, que le silence fait que le tabou reste entier, se prolonge et que la discrimination peut se reproduire. Ce qui ne pouvait pas se dire avant peut-il se dire aujourd'hui ? Affronter les démons, les grandes peurs, les nommer, c'est dire qu'ils existent. Encore. Sous d'autres formes. Alors le redire.

Pierre Maillet

«Le thème de mes films et de mes pièces depuis dix ans est resté le même : la possibilité de se servir des sentiments et de les exploiter à l'intérieur du système dans lequel nous vivons et dans lequel il est sûr qu'une ou plusieurs générations devront vivre après nous.»

«Formuler l'angoisse, n'est-ce pas déjà vivre autrement ?»

R.W. Fassbinder

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Les Ordures, la ville et la mort est une pièce qui, sans jamais avoir été jouée en France, y a déjà son histoire. Une histoire faite d'un débat confisqué et de la mise en lumière de tabous. La polémique a été importée d'Allemagne à travers L'Ombre des anges, adaptation cinématographique de Daniel Schmidt réalisée en 1976 avec l'équipe de Fassbinder. Elle a condamné à vingt-cinq ans de silence une pièce traitant précisément du silence face à l'Histoire, d'une société du refoulement et des retours de bâton que cela porte en germe.
Ce que met en place Fassbinder à travers ce conte, c'est un dispositif aiguisé à même de révéler les projections, les sentiments inavouables enfermés dans ce que Primo Levi appelait la cage d'arrogance et de culpabilité qui a suivi la Shoah. à moins de confondre la parole de Fassbinder et celle de ses personnages, c'est-à-dire, pour citer Gilles Deleuze à propos de la pièce, de confondre énoncé et énonciateur, on ne peut, sauf à être de mauvaise foi, prétendre que cette pièce est antisémite. En tendant comme elle le fait un miroir à l'inconscient collectif et aux divers mécanismes de projection, elle prend le risque de susciter des réactions émotionnelles, de renvoyer chacun à ses zones d'ombre. Mais qu'attend-on du théâtre : qu'il dise ce qui est bien, ou qu'il provoque des interrogations ?
Qu'il apaise les tensions ou qu'il ait la cruauté de rouvrir les plaies mal pansées de l'Histoire ?

La pièce est un conte noir, qui se déroule "sur la lune, car elle est aussi inhabitable que la terre". Elle nous montre la face nocturne d'une grande ville livrée à la spéculation immobilière où s'entremêlent et se croisent plusieurs destins. Un juif qui, pour accomplir sa vengeance à l'encontre des bourreaux de ses parents, décide de reprendre à son compte l'image qu'on se fait de lui, et de servir les intérêts du capitalisme en utilisant son nouveau statut d'intouchable. Un ancien responsable nazi caché sous les traits d'un travesti et qui chante les années 30 la nuit dans les bars. La fille de celui-ci, prostituée, qui lie son destin à celui du juif et accomplit avec lui un parcours tragique vers la lucidité. Son mari et maquereau, enfin, qui une fois déchu de sa place de bourreau domestique, embrasse la fonction de victime expiatoire de la ville. 

La forme de la pièce emprunte au collage et à l'opéra et Fassbinder y déploie une langue choisie, décalée et souvent référencée. Si les chansons qui ponctuent la pièce ramènent si souvent au passé, c'est que, comme le nazi Müller, elles avancent masquées, c'est qu'elles maquillent sous la musique la langue des pères, qui agit encore sur les esprits. Les personnages sont des figures qui recueillent des paroles, des réceptacles. Seul A., dit le Juif riche, et peut-être dans une moindre mesure Roma B., la prostituée, ont une conscience plus aiguisée. Si, pour Roma, les mensonges aident à rester en vie, la vérité sur le passé nazi de son père lui sera fatale. Elle réalise que, sous le masque de Zarah Leander, se tapit une foi inaltérée dans l'avenir du nazisme. L'œuvre de Fassbinder a souvent été comparée à celle de Balzac, tant elle embrasse les diverses couches de la société et les diverses façons dont elles s'accommodent de l'Histoire.

Les Ordures, la ville et la mort s'inscrit et se comprend dans l'ensemble de cette œuvre et en représente pour le public français le chaînon manquant. La question des relations entre Juifs et Allemands après la seconde guerre mondiale est bien abordée d'une façon marginale dans d'autres volets de son œuvre, jamais elle n'a été traitée aussi directement. Cette question ouvre la porte à des émotions violentes, avivées par l'actualité politique. Mais pourquoi y aurait-il un moment historique plus propice pour l'aborder qu'aujourd'hui ? Où, pour inverser la question, quand sera-t-il trop tard ? Au-delà de la question juive, c'est la question de l'autre qui est en jeu : l'autre, dont on se fabrique une image pour se définir soi-même par la négative, cet autre dont le juif est pour Fassbinder le parfait représentant. Aujourd'hui, il est temps de rompre le silence qui a recouvert Les Ordures, la ville et la mort, de libérer la parole sur les tabous qui sont le cortège des après-guerres, en Allemagne, en Algérie, ou ailleurs. Le thème de la peur traverse cette histoire de part en part. à moins de vouloir cantonner le théâtre dans un rôle pédagogique, il faut vaincre la peur que cette pièce inspire. Le travail d'assimilation de l'Histoire est à ce prix.

Jörn Cambreleng 
traducteur et dramaturge

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«Je fais des mises en scène au théâtre comme si c'était du cinéma et puis je tourne mes films comme si c'était du théâtre…». Toujours dans la problématique d'embrasser l'univers de Fassbinder, nous avions envie de traiter ce rapport constant entre le cinéma et le théâtre, comme il le définit si bien lui-même. Un grand nombre de ses films ont d'abord été des pièces avant de devenir des films. Les ordures, la ville et la mort fait partie de ceux-là. La pièce est écrite en 1976 et l'année suivante elle est adaptée au cinéma dans sa quasi-intégralité par Daniel Schmidt sous le titre de L'ombre des anges. Même si Fassbinder n'en assure pas la réalisation, il produit le film, y tient un des rôles principaux ; son équipe, acteurs comme techniciens, participe également au film. L'espace scénique du spectacle ressemble à un plateau de tournage. Nous travaillons sur le spectacle avec un vidéaste, Bruno Geslin, collaborateur des Lucioles sur nos précédentes créations.
Il est sur le plateau avec les acteurs. On voit le film en train de se faire, l'histoire essayer de se construire devant nous et la fabrication même du théâtre et du cinéma renforce d'autant plus la magie de la fable. Ce spectacle est aussi un hommage au cinéma, quand le faux devient plus vrai que le réel. L'intervention de l'image a plusieurs fonctions. Elle intervient en direct : le vidéaste filme les acteurs qui jouent devant un écran bleu, leur image est projetée simultanément sur un écran avec un fond en transparence ; elle intervient aussi comme un décor ; un acteur jouant deux personnages dialogue en champ-contre-champ avec son autre rôle par l'intermédiaire d'un film… Ces quelques exemples pour dire que l'image n'est jamais là d'un point de vue formel et esthétique, elle intervient au service de l'histoire, c'est un des acteurs de la pièce et un décor à part entière. Elle en accentue la violence ou la magie mais reste toujours en interaction avec le plateau. Cette ambiance du décor visible et l'affirmation de l'artifice racontent aussi cette ville "lunaire" qui est le cadre de la pièce. Le spectacle s'ouvrira aussi sur un court-métrage. Comme une ouverture d'opéra. En image et en musique. Un générique, ou plus exactement l'illustration du titre : les Ordures, la ville et la mort… Ce film a été tourné durant deux nuits, il a rassemblé tous les acteurs de la pièce ainsi que soixante-dix personnes, proches de la compagnie des Lucioles ou amis. Une plongée dans un univers nocturne et irréel. La ville… 

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Dans la pièce, la musique est omniprésente. Elle participe à ce sentiment d'intemporalité, définit les personnages et parle souvent à leur place, bref elle fait partie intégrante du texte. Jusque dans les personnages : Marie-Antoinette a une place de narrateur qui ne s'exprime que par chansons ; Jim, son acolyte est un chanteur des rues ; Kraus Peter est un ancien chanteur devenu un des puissants de la ville, il ne chante plus, il est accroché au pouvoir (pour l'anecdote, Fassbinder a utilisé le nom d'un véritable chanteur allemand nommé Peter Kraus, qui pourrait être équivalent chez nous à des chanteurs comme Richard Anthony, ou Franck Alamo…) ; Müller, l'ancien dignitaire nazi, chante en travesti dans les bars de nuit des chansons de Zarah Leander, (chanteuse et actrice allemande des années 30 compromise pour ses relations avec le régime nazi)… La structure de la pièce est construite comme L'Opéra de quat'sous : les chansons ouvrant ou fermant les scènes… Le choix de la musique est très éclectique : excepté deux chansons écrites par Fassbinder pour la pièce, les autres chansons sont déjà existantes. Il y a de l'opéra : La Traviata de Verdi, Tristan et Yseult de Wagner, du cabaret avec les chansons de Zarah Leander, un tango, de l'opérette, des chansons de variétés, Peter Kraus et Catarina Valente, chanteuse italienne très connue en Allemagne, des berceuses populaires et des chants nazis… Ce choix de références est spécifiquement adressé aux Allemands qui reconnaissent tout de suite ce à quoi Fassbinder fait allusion. Cet appel à la mémoire collective par la musique est très important, c'est pourquoi pour restituer la pertinence de l'effet voulu par l'auteur, nous allons faire un travail de recherche pour trouver des équivalents à certaines références allemandes. Nous travaillons sur le spectacle avec Pierre Allio, qui fait le travail d'adaptation musicale sur les musiques de référence et crée aussi des moments musicaux à certains moments de la pièce, comme une musique de film, une dramatisation de l'histoire… La musique sera interprétée sur scène ; Pierre Allio au piano sera accompagné de Jean-Yves Gratius au violoncelle et de Benoît Gaudelette, percussionniste. Les chansons seront aussi interprétées en direct, par les acteurs…

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[…] L'histoire de la prostituée trop belle pour attirer les clients et du juif enrichi dans la spéculation immobilière m'a semblé d'abord un document mystérieux sur une irritation grandiose. Je ne me suis pas arrêté aux problèmes d'urbanisme ni à ceux du fascisme underground qui sont évoqués. Je me suis trouvé devant une comédie folle, un conte de fées triste, un mélodrame magique.

[…] En entrant dans la pièce, je voyais de plus en plus clairement que les rôles sont écrits au-delà des personnages : les personnages sont des figures qui recueillent des paroles. 

[…] Quand on essaie de saisir des personnages, ils glissent, leurs traits changent, "s'interchangent". Ils ne sont jamais ce qu'ils sont. Ils sont dans un perpétuel travestissement d'apparences et de sentiments. Leurs rapports sont réduits à des vérités paradoxales : «Je te bats parce que je t'aime».

[…] L'Ombre des anges montre la passivité des morts-vivants chez qui toute émotion a été broyée, même la peur. Seuls la prostituée et le juif osent avoir peur, donc ils peuvent évoluer. Les autres s'accrochent à leurs malentendus. Ainsi les vieux nazis nostalgiques : celui qui croit avoir des siècles devant lui, celui qui regrette que tous les juifs n'aient pas été gazés […]» 

Propos recueillis par Colette Godard
Le Monde, le 3 février 1977

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Le film de Daniel Schmidt, L'Ombre des anges, qui sortait à Paris dans deux salles est accusé d'antisémitisme. L'attaque est double, comme toujours, puisque des organismes reconnus exigent des coupures ou réclament l'interdiction, tandis que des groupes anonymes menacent, font des alertes à la bombe. Il devient très difficile alors de parler de la beauté, de la nouveauté et de l'importance de ce film. On aurait l'air de dire : le film est si beau qu'on peut lui pardonner un peu d'antisémitisme… Le premier effet de ce système de pression est donc que non seulement le film risque de disparaître en effet, mais disparaît déjà en esprit, emporté dans un problème absolument faux. Car il y a certainement des films antisémites. Il y en a d'autres dont on voit qu'ils déplaisent à tel groupe pour des raisons précises, déterminables. Ici, au contraire, ce qui marque le franchissement d'un seuil, c'est l'inanité radicale de cette accusation. On croit rêver. Il est bien vrai que ces mots "le Juif riche" sont souvent prononcés pour désigner un personnage. Que de tout ce personnage émane un charme explicitement voulu, ce n'est pas sans importance. Schmidt a très bien expliqué un des caractères principaux de son film : les visages sont comme à côté des acteurs, et ce qu'ils disent, à côté des visages. Si bien que le Juif riche peut lui-même dire "le Juif riche". Les acteurs puisent dans un ensemble d'énoncés et un ensemble de visages, qui commandent une série de transformations. Les mots "le Gnome, le Nain" désignent un inquiétant géant dont tous les gestes et la fonction sont précisément ceux d'un nain. Les énoncés nazis, les déclarations antisémites s'accolent au personnage anonyme qui les tient, vautré sur un lit ; ou bien dans la bouche de la chanteuse travestie qui se trouve précisément être un ancien dignitaire nazi.

Qui sont les personnages, puisqu'il faut bien chercher sur quoi prétend reposer 'accusation véhémente d'antisémitisme ? Il y a d'abord la prostituée poitrinaire, fille du dignitaire nazi. Il y a le "Juif riche", dont la fortune vient de l'immobilier et qui parle du métier qu'il fait : expulsion, destruction, spéculation. Le lien qui se noue entre les deux vient de ceci : le sentiment d'une grande peur, peur de ce que le monde va devenir. De cette peur qui les habite, la femme tire involontairement une force qui trouble tous ceux qui l'approchent, et qui fait que, quoi qu'elle fasse, si gentille qu'elle soit, on croit se sentir méprisé par elle. Le "Juif riche" en tire plutôt une indifférence au destin, comme une force qui le traverse, une distance qui le met au-delà, dans un autre monde. Ombres d'anges. Tous deux ont la puissance de la transformation, parce qu'ils ont cette force et cette grâce (de même la transformation du souteneur). Le "Juif riche" doit sa richesse à un système qui n'est jamais présenté comme juif, mais comme celui de la ville, de la municipalité et de la police ; en revanche, il tient sa grâce d'ailleurs. 

La prostituée doit son état à l'écroulement du nazisme, mais sa force, elle la tient d'ailleurs. Tous deux, seuls vivants vulnérables dans la ville, dans la Nékropolis. Seul le juif sait qu'il n'est pas méprisé par la femme ni menacé par sa force. Seule la femme sait ce qu'est le juif et d'où vient sa grâce. Elle demande finalement au juif de la tuer, parce qu'elle est fatiguée et n'a plus envie de cette force qui lui semble ne servir à rien. Lui va voir la police, se fait encore protéger par elle au nom du système immobilier, mais n'a plus envie de cette grâce qui devient étrangement mala-droite, incertaine. Voir image sur l'écran : tout cela est le contenu explicite du film. Où est l'antisémitisme, où peut-il bien être ? On se frotte les yeux, on cherche. Est-ce le mot "Juif riche" ? D'accord, ce mot est très important dans le film. Dans les bonnes familles, naguère, on ne devait pas prononcer le mot juif, on disait israélite. Mais c'était justement des familles antisémites. Et que dire d'un juif qui n'est pas israélite, ni israélien, ni même sioniste ? Que dire de Spinoza, le philosophe juif, exclu de la synagogue, fils de riches commerçants, et dont le génie, la force et le charme n'étaient pas sans rapport avec ce fait qu'il était juif et se disait juif ? C'est comme si l'on interdisait un mot du dictionnaire : la Ligue contre l'antisémitisme déclare antisémites tous ceux qui prononcent le mot Juif (à moins que ce ne soit dans les conditions rituelles d'un discours aux morts). La Ligue refuse-t-elle tout débat public, et se réserve-t-elle le droit de décider sans aucune explication de ce qui est antisémite ou non ? 

Schmidt a dit son intention politique, et le film ne cesse de la montrer, de la manière la plus simple et la plus évidente. Le vieux fascisme, si actuel et puissant qu'il soit dans beaucoup de pays, n'est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d'autres fascismes. Tout un néo-fascisme s'installe, par rapport auquel l'ancien fascisme fait figure de folklore (le chanteur travesti dans le film). Au lieu d'être une politique et une économie de guerre, le néo-fascisme est une entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d'une paix non moins terrible, avec organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes les petites angoisses qui font de nous autant de micro-fascistes, chargés d'étouffer chaque chose, chaque visage, chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle de cinéma. «Je n'aime pas les films sur le fascisme des années 30. Le nouveau fascisme est tellement plus raffiné, plus déguisé. Il est peut-être, comme dans le film, le moteur d'une société où les problèmes sociaux seraient réglés, mais où la question de l'angoisse serait seulement étouffée.» (Daniel Schmidt)

Si le film de Schmidt est interdit ou empêché, ce ne sera pas une victoire pour la lutte contre l'antisémitisme. Mais ce sera bien une victoire pour un néo-fascisme, et le premier cas où l'on pourra se dire : mais enfin, où était, ne serait-ce que le prétexte, l'ombre d'un prétexte ? Quelques-uns se rappelleront la beauté du film, son importance politique, et la manière dont il aura été éliminé. 

Le Monde
18 février 1977

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On a reproché à ma pièce Les ordures, la ville et la mort d'être "antisémite". Sous le prétexte de ce reproche, on expose dans certains milieux des thèses et des interprétations qui n'ont rien à voir avec moi, ni avec ma pièce. Sur la pièce : il y a effectivement, parmi les personnages de cette pièce, un juif. Ce juif est un agent immobilier ; il contribue à transformer la ville au détriment des conditions de vie des gens ; il fait des affaires. Il n'a pas créé la situation dans laquelle ses affaires peuvent être faites, et il n'a pas à en répondre ; il se sert de cette situation. L'endroit où l'on peut découvrir une telle situation s'appelle Francfort-sur-le-Main. 

L'affaire elle-même, bien qu'elle se situe à un autre niveau, est une répétition de faits du XVIIIè siècle, alors que le seul commerce de l'argent était permis aux juifs et que ce commerce de l'argent - souvent la seule possibilité pour les juifs de survivre - ne fournissait en définitive par ailleurs des arguments qu'à ceux qui avaient quasiment contraint les juifs à cette activité et qui étaient leurs véritables adversaires. Cela ne se passe pas autrement dans le cas de la ville dans ma pièce.

Pour être plus précis : il faudrait envisager les mobiles de ceux qui s'insurgent quand on parle de ces faits matériels. Ce sont les véritables antisémites. Il faudrait examiner pourquoi, au lieu de vérifier des faits matériels, réels, on argumente contre l'auteur d'une pièce avec des phrases qu'il a inventées - afin de rendre critiquables certaines données - pour ses personnages.

Il y a aussi dans cette pièce des antisémites ; mais il n'y en a pas seulement dans cette pièce, mais, par exemple, à Francfort aussi. Bien entendu, ces personnages - je trouve à vrai dire superflu de le souligner - ne reflètent pas l'opinion de l'auteur dont l'attitude vis-à-vis des minorités devrait être suffisamment connue par ses autres travaux. Précisément un certain nombre d'invectives grossières dans la discussion me confirment dans cette crainte d'un "nouveau fascisme" qui m'a fait écrire cette pièce-là.

Le 28 mars 1976

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Créé en 1994, le Théâtre des Lucioles réunit des acteurs issus de la première promotion (1991-1994) de l'école du Théâtre national de Bretagne : Paola Comis, Marcial Di Fonzo Bo, David Jeanne-Comello, Mélanie Leray, Frédérique Loliée, Pierre Maillet, Valérie Schwarcz, élise Vigier.

Dès l'abord, la question de groupe est mise en exergue ; ces trois années d'école les amènent à travailler comme le ferait une troupe en résidence dans un lieu, plus que comme des élèves. La notion d'individualité est rapidement confrontée à celle du collectif ; chacun met en jeu son propre univers face à ceux des autres. C'est en troisième année que l'envie de continuer à travailler ensemble s'impose et qu'une manière de fonctionner s'invente : un groupe d'acteurs, dont les projets naissent de propositions de l'un ou l'autre d'entre eux. Comment travailler ensemble ? Ne pas créer une compagnie fermée. Plusieurs metteurs en scène possibles selon le désir, pour que le regard tourne. L'autorité n'est jamais au même endroit. Possibilité, en tant que groupe d'acteurs, de travailler avec un metteur en scène extérieur. Garder l'ouverture ; c'est en faisant que la règle se crée, pas l'inverse. Chaque projet a sa règle. Donner une vraie place à l’acteur.

Le travail de plateau n'est ni préétabli ni directif ; après une longue période d'improvisation, ça rebondit, ça échange, ça dialogue entre deux acteurs, celui qui joue et celui qui regarde. Certains peuvent choisir de travailler un peu plus sur la lumière, la scénographie ou les costumes. On retrouve dans tout cela la question des Lucioles : la possibilité d'une parole multiple, différente à l'intérieur d'un même ensemble. La contradiction, l'explosion ou la fragmentation, en tous les cas une parole inachevée, sans cesse en construction ou en tentatives, et non pas un discours. Préserver la vie, le mouvement. Les Lucioles sont de l'éphémère ; dans leur nom même y est inscrit cette notion très importante pour eux du mouvement. Une compagnie d'acteurs qui se nourrit aussi de rencontres avec d'autres artistes, acteurs et metteurs en scène. Ainsi, les Lucioles ont travaillé avec Marc François, qui les a mis en scène dans deux pièces de Corneille, La mort de Pompée et Cinna. Puis, au cours de ses créations (au nombre de douze à ce jour), le collectif a intégré d'autres comédiens et artistes à certains de ses projets (Marc Bertin, Pierre Allio, les Portugaises Ensablées, Marie Payen, Bruno Geslin, Vincent Voisin, Raoul Fernandez, Nantène Traore …) et s'est aussi associé à des auteurs : Leslie Kaplan et Philippe Minyana. De plus, chacun des acteurs va travailler ailleurs, avec d'autres compagnies, d'autres metteurs en scène ; à l'extérieur, le travail se continue. Ce qui rassemble les Lucioles, c'est le plaisir du jeu, le plaisir d'être “déplacé” à l'intérieur du groupe, tout en ayant une connaissance aiguë des autres. Même si les Lucioles sont “très volages”, toutes ont la nécessité de revenir à cet endroit de travail, avec leurs énergies profondément différentes, dans une pensée circulante et contradictoire. Géré en association loi 1901, le théâtre des Lucioles s'est donné pour mission la création, la diffusion de spectacles et la sensibilisation du public au théâtre. Il est financé conjointement par le Conseil Général d'Ille-et-Villaine, le Conseil Régional de Bretagne, la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Bretagne et le Ministère de la Culture et de la Communication.

Six acteurs du collectif du Théâtre des Lucioles participent à la création du Projet Fassbinder Les ordures, la ville et la mort.

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76, rue de la Roquette 75011 Paris

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  • Bus : Commandant Lamy à 2 m, Basfroi à 243 m, Charonne - Keller à 244 m, Voltaire - Léon Blum à 384 m
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Spectacle terminé depuis le dimanche 29 juin 2003

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