« Il faut s’évader ! Se transfigurer ! Devenir autre ! »
Se trouver (1932) est un extraordinaire portrait de femme et d’actrice. Donata Genzi, dispersée en de multiples personnages, n’arrive plus à être elle, ni même à être ; pour se trouver, elle tente une aventure sentimentale et fuit le théâtre, mais son métier d’actrice pèse sur l’être de femme qu’elle cherche : chaque geste, chaque inflexion de voix lui viennent d’une pièce qu’elle a déjà jouée ; elle ne se réalise pas plus dans la vie que dans son métier. Elle décide alors de tenter une dernière expérience cruciale : retourner sur scène en prenant le risque de fragiliser sa relation amoureuse et de se perdre définitivement.
Se trouver débat aussi du théâtre mais sur un plan plus intime que dans les autres pièces de Pirandello. Entre désir d’être dans la vie et passion de la créer, où se situe la vérité ?
Stanislas Nordey, grand lecteur de textes contemporains, aime aussi retourner vers les classiques pour en débusquer la modernité. Il s’attaque pour la première fois à Pirandello et retrouve au centre de l’œuvre un personnage de femme complexe et combattant comme il les affectionne.
Traduction de l’italien : Jean-Paul Manganaro.
Je m’attache depuis quelques années, à l’intérieur d’un parcours dont la cohérence m’importe, à mener de front l’exploration d’un répertoire contemporain et la nouvelle écoute d’auteurs parfois négligés (Feydeau, Hofmannsthal, Camus). La création de Se trouver s’inscrit pour moi dans l’un des plis de ce double mouvement.
Luigi Pirandello ne fait a priori pas partie de mon paysage. Je n’ai jamais eu le désir de parler de théâtre au théâtre. C’est une première fois. J’ai donc plongé à l’intérieur de l’oeuvre et de la vie de forçat de l’écriture, sans préjugé aucun, mais avec une curiosité ouverte et libre. Se trouver occupe une place particulière dans l’oeuvre du grand maître italien. C’est une oeuvre quasi testamentaire. Elle arrive au bout du chemin et elle synthétise en quelque sorte les dix années de passion pour la comédienne Marta Abba, d’ailleurs dédicataire de l’oeuvre.
Après une grande partie de sa vie consacrée à sa femme Antonietta, sans cesse au bord de la folie, et qu’il devra se résoudre à faire interner n’ayant pas d’autre choix, au vu des accès de violence de celle-ci, Pirandello - après avoir vécu quasi cloîtré avec cette femme et sa famille - entame une partie de sa vie nomade. Cette période est marquée par la rencontre avec Marta Abba qui va devenir son interprète et sa muse (il est alors directeur de compagnie, metteur en scène, c’est un homme de théâtre complet. À partir de leur rencontre, il va écrire pour elle de Comme tu me veux aux Géants de la montagne (le personnage d’Iles) tous les grands rôles féminins de son répertoire.
Voici, dans une lettre à Marta Abba, comment Pirandello résume son entreprise : « Au fond, la comédie est des plus simples : la difficulté est de trouver l’absolu, avec une femme qui est comédienne et qui veut être femme ; et comme femme, elle ne se retrouve pas et risque de ne plus se trouver comme comédienne ; et puis elle se retrouve comédienne, mais elle ne retrouve plus l’homme qui la fait être aussi femme... Et, parce que le vrai absolu - inacceptable dans la vie - est ce que Saló dit au premier acte : ou femme ou actrice, qui est d’ailleurs ce que j’ai toujours dit moi, pour moi : « la vie, ou on vit ou on écrit. » Mais Donata est jeune, elle est belle, et elle veut aussi vivre... C’est là son drame, et il est d’autant plus compliqué qu’elle ne sait pas fermer les yeux ; et la seule fois où elle les ferme, elle risque de mourir et ne voit plus rien... Comment « se trouver » ainsi ? On se perd et on ne se trouve pas ; ou tour à tour on se perd et on se retrouve ; et alors comme les autres... et plus rien d’absolu ! »
Trois actes que l’on pourrait nommer successivement :
1. Se donner,
2. Se perdre,
3. Se trouver
Se trouver est de fait un portrait rêvé et objectif, à la fois de la comédienne Marta Abba (Donata Genzi dans la pièce) mais bien sûr aussi une introspection de l’écrivain lui-même qui projette dans l’auto-analyse de Donata Genzi sa propre vision de lui-même et de ses rapports tourmentés, voire antagonistes, entre l’Art et la Vie pour un artiste au sens le plus élevé du terme.
Pirandello s’adosse de façon consciente pour l’inspiration à La Dame de la mer d’Ibsen, qu’il a mise en scène lui-même quelques années auparavant avec Marta Abba dans le rôle-titre. La pièce a été créée en France en 1966 dans une mise en scène de Claude Régy et n’a quasiment jamais été reprise depuis. La traduction
de Jean-Paul Manganaro est une nouvelle traduction inédite commandée pour l’occasion, qui sera publiée prochainement dans un numéro de l’avant-scène théâtre.
Stanislas Nordey, janvier 2012
« Dans un décor monumental, élégance années trente et austérité, Stanislas Nordey fait surgir les forces qui sous-tendent la pièce. Il extirpe un tragique grec archaïque de scènes pourtant apparemment mondaines, il imprime des humeurs à la Hitchcock au mouvement général, il laisse sourdre les parentés avec Ibsen de ce drame en trois actes qui fait aussi penser à Claudel. (…) Dans cette partition complexe et longue, Emmanuelle Béart est tout simplement exceptionnelle. » Armelle Héliot, Le Figaro
« Se trouver est une magnifique pièce qui joue sur les méandres du métier de la scène et de la vie ; en 2h20mn, Luigi Pirandello nous conduit dans des endroits rarement investis au théâtre et a fortiori par un rôle féminin. » Un Fauteuil pour l’orchestre
« Emmanuelle Béart (…) fait une fois de plus la preuve qu’elle est une grande actrice de théâtre à la présence lumineuse, toute de vibrations intimes. Elle sublime le personnage de Pirandello et lui donne une dimension d’une intensité rare, tout entière dans ce combat mené en solitaire à la vie, à la mort. » Rue du théâtre
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